« Éloge indocile de la psychanalyse » par Samuel Dock

livre_moyen_429.jpg« J’avais vingt ans. Un de mes amis venait de mourir. Dans les jours qui ont suivi son décès, sans qu’alors je comprenne ni comment ni pourquoi, des idées qui semblaient appartenir à un autre – absurdes mais non dépourvues de férocité, ce ne pouvait pas être les miennes – petit à petit ont germé dans mon esprit. Une, c’est ridicule, facile à chasser, il faut ne plus y songer. Deux, c’est hélas revenu mais ce n’est pas grave, il suffit de respirer, de marcher un peu. Trois, c’est devenu plus compliqué, voilà qu’elles s’attardent. Quatre. Cinq. Six. Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? Sept. Huit. Neuf. Plus possible de compter. Que reste-t-il de moi ? Quelques fragments épars. Je n’arriverai jamais à les réunir. Ces fleurs étranges prolifèrent, elles tapissent chaque émotion, chaque organe, s’infiltrent dans mes poumons, se lovent dans mes yeux, elles m’aveuglent. La douleur grandit et mon existence se réduit. Il devient si difficile de me concentrer, de travailler, de rencontrer mes amis, de croire en un avenir de nouveau en paix. Tout cogne trop fort. Tout fait trop mal. Ma personnalité retrouvera-t-elle un jour sa forme, ma vie, sa place? Reviendrai-je indemne de cet exil en enfer ? Intact ? Toujours le même, celui d’avant cette catastrophe ordinaire? J’étais plongé dans cette solitude que seuls connaissent ceux dont le visage impassible ne trahit pas l’interne agonie, ceux qui s’abîment en eux-mêmes sans pouvoir le hurler ou le chuchoter, même pas l’écrire. J’étais étudiant en psychologie, parce que je voulais être écrivain et que je supposais que je trouverais dans cette science de quoi rendre plus tangibles les personnages fictifs dont je me hâtais de raconter les destins. La psychanalyse, jusqu’à présent, avait suscité chez moi surtout de la fascination et un intérêt intellectuel. Mais j’y concentrais maintenant tous mes espoirs de trouver une explication à ce qui m’arrivait, un sens puisque plus rien n’en avait, la guérison de ce mal, allez, au moins son nom, un souffle, la clé de mes chaînes. L’interruption de l’invasion, juste une pause pour reprendre mon souffle, me rappeler qui j’étais. Une consolation. Mais j’ai trouvé bien plus qu’un soulagement dans le cabinet de mon premier analyste, de l’homme qui comme aucun autre m’a sauvé. À ses côtés, je me suis familiarisé avec ces guerres qui me déchiraient, j’ai caressé les pulsions de vie, tendu la main à Thanatos. J’ai osé me pen- cher sur cette douleur qui forait un gouffre dans mon nombril, qui aspirait tout, le cœur, l’envie, l’espoir, la rage. J’ai su me la représenter pour ne plus m’en effrayer, m’en emparer à pleine main, me réjouir de tout ce qu’à ce manque fondamental doit mon désir. J’ai appris à me panser, à me raconter, à faire jaillir de la plus froide des nuits la plus intense des narrations, à façonner dans le matériau brut de la vie les contours d’une existence qui me ressemble. Déposer enfin ces blessures que pour soulager d’autres, mes parents, ma sœur, je m’entêtais à porter. Reconnaître dans la polymorphie de l’humanité la mienne aussi, tout n’est pas toujours joli et il n’y a pas de quoi s’alarmer. De la cendre extraire des instants précieux. Dans le mensonge, révéler l’authenticité. Sur son désir, ne jamais céder. Penser. Aimer. Inventer. Éprouver. Être. Écrire. Je croyais que l’angoisse m’avait tout pris, que plus rien ne serait jamais pareil. Plus rien ne l’a été, c’est vrai, maintenant que de ces verbes je découvrais la signification véritable. C’est à cette psychanalyse-là que j’ai souhaité dans ce livre rendre hommage. Celle qui m’a rendu à la vie quand je la croyais finie. Celle qui m’a fait naître ». Samuel Dock.

 » Dans cet ouvrage passionnant, Samuel Dock défend une pratique nouvelle de son métier, plus accessible et plus humaine. Récusant toute approche élitiste de la psychanalyse, il en présente les concepts fondamentaux : plus de cent vingt-cinq entrées, dont « amour », « désir », « obsession », « inconscient », « refoulement », « dépression », « narcissisme »… En puisant dans son propre vécu, dans celui de ses patients ainsi que dans la culture populaire pour illustrer son propos, l’auteur signe un texte profond et ludique.

Samuel Dock décrit le rôle de la psychanalyse dans la société et confronte la science de Freud au monde contemporain : développement personnel, médias, société de consommation, réseaux sociaux, genre, pornographie… Ces nombreux thèmes, exposés dans une langue précise et délicate, sauront à la fois initier le néophyte à la psychanalyse et questionner le psychanalyste chevronné.

Le lecteur est invité à découvrir l’envers d’une scène rarement dévoilé, mais surtout à partager la conviction que la cure analytique demeure un espace unique pour revivre son histoire intime et explorer les voies de sa transformation. » 

Editions Philippe Rey.

Date de parution : 05/09/2019
ISBN : 978-2-84876-761-1
Format : 14.5 x 22 cm
Pages : 432
Prix : 20.00 €

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