A lire si le thème vous intéresse. Caroline Goldman, psychologue clinicienne, trace dans cet article les écueils d’une « tendance », celle de vouloir expliquer nombre de difficultés chez l’enfant par le « haut potentiel » – et elle propose quelques clefs pour y voir plus clair : « Il ne faut pas tester les enfants pour aller chercher un HQI, car une haute intelligence ne cause aucune souffrance. Cette démarche constituera donc toujours une fausse piste. Lorsqu’il y a souffrance, elle est ailleurs, du côté de l’affectivité. » (C.Goldman). Si ici elle s’intéresse aux enfants, nous pouvons affirmer les mêmes précautions à prendre dans l’accompagnement d’adultes.
Original sous forme de podcast, retranscrit par Le Carnet Psy, original ici.
Caroline Goldman est psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, auteure de plusieurs ouvrages de psychologie de l’enfant et réalisatrice de « Caroline Goldman, le podcast »
« HPI (Haut Potentiel Intellectuel) »
Les enfants dont le QI est supérieur à 130 sont-ils en souffrance ?
Non, en tout cas, rien ne le prouve. Notre époque aime beaucoup les étiquettes diagnostic, et parmi elles, se trouve en bonne place depuis une quinzaine d’années l’idée assez saugrenue qu’avoir un HQI (c.-à-d. un haut quotient intellectuel) serait une espèce de maladie associée à des traits typiques de personnalité et à des symptômes plus ou moins douloureux.
Or, nous savons aujourd’hui que cette vision a été tronquée par ce qu’on appelle un « biais de recrutement » : les psychologues reçoivent par définition des enfants en souffrance et ne croisent pas les enfants à HQI en bonne santé psychologique, « dans la nature ». Donc généraliser des observations issues de leurs consultations n’était pas valide pour définir un « profil » d’enfants à HQI.
D’où provient ce malentendu entre ces réalités scientifiques et ce qui est véhiculé dans les médias ?
Je pense que ce malentendu vient de la rencontre entre deux sources : d’un côté, des souffrances parentales (de voir leur enfant souffrir sans explication) et de l’autre, une certaine paresse opportuniste de psychologues un peu légers sur le plan des capacités de discernement psychopathologique et ravis de faire plaisir à leurs patients en leur apportant une bonne nouvelle… et aussi, disons-le, de bien gagner leur vie hein puisque faire passer des tests de QI est un exercice facile et très rémunérateur ; distribuer des scores chiffrés est également très facile, et imputer tous les traits problématiques d’un enfant à des compétences intellectuelles chiffrées l’est encore plus.
Alors c’est gonflé hein… de créer une maladie qui n’en est pas une et d’inventer tout un marché autour (avec, il y a encore 5 ans, une pression au dépistage systématique. Heureusement, on n’a pas eu le temps d’en arriver là…), donc il fallait oser, mais comme vous le savez, dans une foule, il y a toujours quelqu’un qui ose, et qui montre le chemin aux autres !
En 2008, Jeanne Siaud-Facchin, qui sortait d’une carrière de publicitaire, a sorti un livre-slogan intitulé « trop intelligent pour être heureux », et il a selon moi lancé cette idée, avec l’efficacité du marketing, puisque les parents préfèrent en toute logique considérer leur enfant comme supérieurement intelligent, plutôt que simplement douloureux et symptomatique. Il est plus facile de dire pour un psy (et d’entendre pour un patient) qu’un enfant est infernal en classe « parce qu’il est vraiment beaucoup plus intelligent que tout le monde, ce qui le décale et lui cause un l’ennui impossible à supporter »… que dire (pour le psy) et entendre (pour les parents) : « votre enfant est déprimé par votre absence au quotidien, il est en manque d’amour, c’est ce qui le fait exploser à l’école, car la distance creuse et réactive le manque. Il appelle davantage de tendresse, rentrez plus tôt chez vous le soir et résolvez les problèmes de famille et de couple qui vous font tous vraisemblablement fuir la scène familiale. Nous allons faire ça ensemble si vous en êtes d’accord ». Ou encore : « votre enfant bouillonne de la proximité avec vous, madame (ou monsieur), vous l’investissez avec trop d’intensité, vous comblez tous ses désirs, vous l’écoutez trop, vous lui parlez trop, il a besoin de distance pour pouvoir se calmer ; là, il transporte l’excitation de votre promiscuité relationnelle sur la scène sociale, avec sa maîtresse et ses camarades qui ne peuvent pas suivre… » Tout ça est moins consensuel, moins facile… mais c’est en principe notre travail de psy, et il demande du courage. Et aussi une longue formation.
Depuis ce premier livre en 2008, une petite poignée de psy autoproclamés « spécialistes » du HQI règnent médiatiquement en France sur ce vaste marché à fantasmes sans aucune justification scientifique (ils ont toujours manœuvré en marge complète du monde scientifique), mais ils recueillent le soutien d’associations militantes très actives de parents qui ont été pris dans ce piège marketing et entretiennent la flatterie (je pense notamment à Adda, de Kermadec, Revol, Nusbaum…).
Jérôme Pellissier, maître de conférences en psychosociologie, a publié à ce sujet, en 2021, chez Dunod un livre absolument remarquable, très facile à lire et très drôle (« La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence »), je vous le conseille très vivement.
Des chercheurs en psychologie se sont enfin décidés à parler il y a environ 4-5 ans, autour de 2018 (je pense notamment à Nicolas Gauvrit, qui a eu le courage de pointer parmi les premiers cet égarement médiatique)… Cette prise de parole a obligé nos « spécialistes autoproclamés » à publier des ouvrages beaucoup plus souples dans leurs descriptions de ces enfants, dont ils ont peu à peu fini par reconnaître à quel point ils ne se ressemblaient pas, mais ils continuent néanmoins à les faire exister sous un groupe d’appellation lié à leur QI (surdoués, à haut potentiel intellectuel, précoces, zèbres, etc.), et aussi à leur imaginer un développement particulier.
Et ce mythe a malheureusement eu le temps d’infiltrer de très nombreux segments pédiatriques, institutionnels, et même politiques (je pense ici au rapport Delaubier de 2015 dont la conclusion était « bof, rien ne prouve que ce que disent ces gens est juste, mais dans le doute, compte tenu de la souffrance des familles, on va continuer à les écouter et poster un référent EIP dans chaque département, en attendant que la science valide cette intuition du public concerné…) Science qui n’a donc rien validé du tout depuis…
Les caractéristiques douloureuses qu’on leur impute généralement sont donc fausses ?
Oui. De nombreuses méta-analyses (c.-à-d. des croisements d’études de grande envergure) ont été répertoriées dans un numéro spécial de la revue ANAE [dont le titre était « Le haut potentiel en question », en 2018]. Elles ont démontré :
1/que la santé psychique de ces enfants, lorsqu’ils ne consultent pas, est la même que les autres enfants, donc qu’il n’y a pas de fragilité psychique particulière liée au HQI [et donc, encore moins « due » au QI].
2/ Elles ont affirmé l’absence de singularité parmi les caractéristiques de leur cerveau, absolument équivalentes aux autres
3/elles ont aussi démontré que l’idée d’une pensée en arborescence (formule de Jeanne Siaud-Facchin) ne correspondait à aucune réalité observable (numéro d’ANAE, 2012).
4/ que leur réussite scolaire et professionnelle était plutôt meilleure que dans la population générale.
5/ que ces sujets n’étaient pas plus anxieux que la population générale (L. Martin en 2010)
6/ et leur sensibilité et leur émotivité étaient exactement les mêmes que chez les autres.
En bref, il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent pour justifier de maintenir cette entité de personnes “ HPI ” qui finalement se ressemblent aussi peu entre elles que les personnes blondes, brunes ou compétentes en art martiaux.
Ce qui est aussi passionnant que réconfortant, c’est que ces dernières avancées épidémiologiques, sociologiques et en neurosciences entrent en écho étroit avec les recherches sérieuses en psychologie clinique, mais aussi avec le positionnement plus particulier de la psychanalyse pour qui la sur-efficience intellectuelle, bien que largement étudiée, a toujours été un non-sujet pour orienter les prises en charge des patients. La psychanalyse parle de surinvestissement de la pensée, mais ce surinvestissement n’est absolument pas, en lui-même, perçu comme pathologique. Il peut être l’indicateur d’une défense lourde, comme chez “ les calculateurs prodiges ” étudiés par Serge Lebovici. Vous savez, ces patients à qui l’on donnait une date au hasard et qui retrouvaient immédiatement le jour de la semaine auquel elle correspondait. Par ex. : le 7 novembre 1932 ? C’ÉTAIT UN MARDI ! ». Il avait identifié que ces patients étaient au bord de la folie en fait, de la psychose autistique, et que ce surinvestissement de la sphère logique suppléait à leur vide identitaire, les maintenait dans un accrochage stérile au réel, constituait un ultime rempart avant de sombrer dans la désorganisation.
Mais ce surinvestissement de la pensée peut aussi signer un accès hyper sophistiqué à la sublimation intellectuelle sur fond de belle névrose… (donc ne peut en aucun cas être qualifié de symptôme). Pour la psychanalyse, finalement, le HQI ne témoigne de rien de plus que ce qu’il indique : un fort investissement de la pensée, pouvant être fondé par la pire des menaces psychiques, mais aussi par le meilleur des ressorts pulsionnels sublimés, entre plaisir de pensée et créativité. À ce titre, isoler le HQI et l’associer à un trait particulier n’aurait aucune pertinence.
Pourtant, de nombreux enseignants, parents, psychologues, éducateurs (etc.) reconnaissent à ces enfants des traits communs…
Alors en réalité ces enfants ont des profils très différents, je l’ai évoqué un peu plus tôt, qui finalement suivent essentiellement la logique de notre lieu de rencontre avec eux. Les enfants consultants de mon échantillon de thèse, par exemple, dont les QI étaient tous supérieurs à 140, provenaient de consultations psychiatriques et allaient mal (certains étaient au bord de la psychose, d’autres étaient très déprimés, etc.). Par contre, les enfants non consultants que j’avais recrutés dans un établissement scolaire lambda (et qui s’ignoraient) avaient révélé des profils très différents, dont certains étaient parfaitement sains [ce qu’on appelle « normalo-névrotiques »]. J’en ai moi aussi, de mon côté, déduit que souffrance et HQI pouvaient être dé-corrélés et que le HQI ne pouvait s’inscrire dans aucun « profil ». Je suis donc très heureuse de voir éclore toutes ces données épidémiologiques, neuroscientifiques et psychosociales qui entrent en écho étroit avec mes propres observations cliniques psychanalytiques.
Il y a par ailleurs quelque chose à comprendre du côté de la culture, qui me semble directement liée à tout ceci. Cette incongruité conceptuelle, d’ériger une qualité comme source d’exception inconfortable [« trop intelligent pour être heureux »] aurait-elle eu autant de succès il y a 50 ans ? Je ne crois pas. Elle arrive à une époque assez narcissique où les enfants sont devenus des faire-valoir de leurs parents et où la différenciation des générations est un peu gommée, notamment en termes d’autorité. Beaucoup de psy (sérieux ceux-là) ont abordé l’idée qu’aujourd’hui les parents étaient dans la séduction, plus que dans l’éducation… et tout cela a un retentissement sur l’évolution de la psychopathologie de l’enfant, c.-à-d. des symptômes des enfants. La majorité de ceux qui consultent dorénavant, qu’ils aient un HQI ou non, présente des problématiques de limites éducatives.
Ces enfants mal limités se distinguent tous par :
– une excitation psychique particulièrement vive (esprit critique, humour, avidité intellectuelle et/ou alimentaire, intolérance à l’ennui, irritation face aux répétitions d’informations, écriture bâclée, difficultés d’endormissement…),
– par un manque de distance avec les gens et les évènements (hyperréceptivité, sensibilité à l’injustice, hyperempathie),
– et par un intérêt précoce pour des thèmes renvoyant aux limites (tels que les dinosaures, les planètes et la mort)…
Lorsque ces enfants mal limités ont un HQI, la pensée est prise dans l’excitation psychique globale de ces enfants et se métabolise à travers une grande avidité ; sauf que cette soif d’apprendre et de maîtriser l’information apparaît aussi comme un moyen inconscient :
1/de nourrir une illusion de force et d’ascendant sur les interlocuteurs adultes (ces enfants supportant plus généralement très mal l’échec et de se confronter à leur impuissance),
2/, mais aussi de constituer le seul moyen de se canaliser (c.-à-d. de trouver un contenant à leur excitabilité — d’ailleurs, dès qu’ils quittent la tâche intellectuelle, le débordement pulsionnel reprend).
Pourquoi est-ce que je vous détaille ici les traits des enfants mal limités, qui constituent une bonne moitié des enfants consultant des psy contemporains en France ? Parce que cette description est exactement celle dressée par nos faux spécialistes du HPI dans les médias…
Vous m’aurez comprise, je pense donc que nos pseudo spécialistes ont attribué cette symptomatologie, cette excitation, au HQI de leurs petits patients, alors qu’elle découlait d’une problématique de limites éducatives. Et ont donc, sans le savoir, consacré l’ensemble de leur théorisation (livres, interviews, interventions dans les colloques…) à décrire une autre réalité que celle qu’ils pensaient définir [ils décrivaient simplement des « enfants mal limités consultant en cabinets libéraux », et non « les enfants à HQI »].
Comment expliquer que de nombreux psychologues se soient laissés séduire par cette vague médiatique ?
Je vous l’ai dit, ce fantasme de sujets « trop intelligent pour être heureux » ou « marginalisés par leur sentiment de différence » (autre formule cocasse, cette fois-ci de Monique de Kermadec, 2011)… ce fantasme est séduisant, car simple et positif.
Je pense aussi que le manque théorico-clinique en psychologie de l’enfant autour de ces problématiques de limites éducatives a sa responsabilité.
Dans l’enseignement en psychologie, l’enfant « débordant » continue à exister tel qu’il était décrit dans la littérature du début du XXème siècle : incompris, carencé et déprimé. Or, la psychopathologie de l’enfant a évolué et tous les acteurs de la pédopsychiatrie contemporaine s’accordent à dire que les consultations concernent dorénavant autant des problématiques de « trop » (donnant lieu à des troubles du comportement), que des problématiques de « pas assez » (donnant lieu à des dépressions). Je parle ici d’enfants choyés à la maison (par des parents présents, sains, hyper mobilisés et empathiques), mais présentant néanmoins une excitation permanente, une intolérance à la frustration et de la violence… Ces enfants sont « trop » curieux, trop exigeants, trop généreux, trop aimants, trop bruyants, trop sensibles, trop agités, etc.
Les psychologues n’ont pas été formés à cette problématique de « trop » d’amour, ils ne savent pas guider les parents pour rétablir les limites éducatives sur la scène familiale. Et l’enfant, qui est par ailleurs heureux, sensible, curieux, à l’aise dans la relation…, est ainsi fréquemment renvoyé chez lui au motif qu’« il va bien », mais sans solutions pour le rendre moins pénible avec son entourage.
On se trouve alors face à une impasse : que faire si les psychologues ne souhaitent pas plus que les parents incarner cette fonction limitante (donc frustrante) que l’enfant appelle à travers ses symptômes ?
Sans diagnostic ni prises en charge appropriées, ces parents tentent de trouver des solutions… et cet « espace diagnostic sans nom » se voit traité depuis des années par toutes sortes d’inspirations pseudoscientifiques dans lesquelles ont germé le « HPI », mais aussi les abus de « TDAH », les TOP ou « l’hypersensibilité »…
Quelles conséquences sur vos jeunes patients ?
S’entendre dire que tous nos symptômes sont dus à une intelligence supérieure, c’est très confortable. N’importe qui préfère recevoir un compliment plutôt qu’un diagnostic… Mais l’effet est de courte durée, car le vrai souci qui se trouve sous les symptômes, perdure.
Je vois arriver dans mon cabinet de consultation des enfants et des adolescents qui cohabitent depuis des années avec cette étiquette flottante qui a tenu lieu de diagnostic et a pris l’espace qui aurait dû être tenu par de véritables soins. Cela a généré chez certains des préoccupations anxieuses sur leur fonctionnement (ils disent se sentir « différents »), et chez d’autres un fantasme élitiste qui les a éloignés des autres (par ex., un discours méprisant sur la bêtise de leurs camarades, ou sur la lenteur des profs…). Il m’est même arrivé plusieurs fois d’entendre parler de drames en partie causés par ce faux diagnostic (suicide d’une adolescente).
Que conseillez-vous aux parents d’enfants diagnostiqués « haut potentiel intellectuel » et dont la souffrance ne s’est manifestement pas atténuée au fil des mois/années ?
Voici mes conseils.
À ceux qui envisagent de faire tester leur enfant pour savoir s’il est HPI ou non, vous l’aurez compris, je leur conseille d’y renoncer, car ça ne servira à rien. Il ne faut pas tester les enfants pour aller chercher un HQI, car une haute intelligence ne cause aucune souffrance. Cette démarche constituera donc toujours une fausse piste. Lorsqu’il y a souffrance, elle est ailleurs, du côté de l’affectivité.
En plus de ça, j’aimerais vous sensibiliser à un aspect déontologique que je trouve très important. Je pense, comme Weschler (qui est l’inventeur des tests d’intelligence qui sont utilisés partout dans le monde aujourd’hui) que ces évaluations du QI ne devraient être proposées qu’en cas de suspicion de DIFFICULTÉS intellectuelles, de difficultés autour des apprentissages. Je rappelle ici que le psychologue est censé être un soignant qui choisit ses outils d’investigation, et pas un vendeur de QI qui teste les enfants sur demande du public, pour assouvir la curiosité des parents… Le psychologue ne devrait jamais se laisser instrumentaliser dans l’exploration et la mise à nu d’un psychisme d’enfant. Ça n’est pas du tout anodin, c’est même potentiellement très effractant, et il faut qu’il y ait une grande souffrance chez l’enfant pour justifier de cette exhibition de son monde interne. Imaginez-vous entre vos deux parents à 8-10 ans, une dame leur décrivant en menu détail votre intelligence, donc également votre inintelligence (car on n’est généralement pas intelligents en tout)… alors ? Est-ce que la scène est confortable ? franchement…
Un autre problème provient du fait de prendre le risque que des scores moyens déçoivent des parents ou freinent l’enfant dans ses futures ambitions académiques ou professionnelles. Je m’explique. Je me souviens d’un centralien que j’avais reçu pour MENSA et qui avait majoré sa promotion en maths. Le bilan avait révélé un QIP (score de raisonnement logique) de 105 (soit dans la moyenne). J’avais recalculé 4 fois ce score… et je le lui avais annoncé un peu penaude. Or, lui n’avait pas été si surpris et il m’a tout de suite dit qu’il avait travaillé 200 fois plus que les autres pour prouver à son père qu’il en était capable. Sa performance a donc jailli d’ailleurs que de son équipement intellectuel évalué par le QI. Le désir, la revanche, l’ambition, le plaisir… sont autant d’ingrédients (de moteurs) impliqués de façon décisive dans la réalisation de soi… et pourtant ils ne non évalués par le QI… Est-ce que j’aurais maintenu ces portes ouvertes à ce monsieur si je l’avais testé sur la demande de ses parents lorsqu’il avait 8 ans ? Avec un raisonnement logique de 105, je pense qu’il n’aurait jamais entrepris d’impressionner son père. Ce chiffre l’aurait découragé, comme un parchemin futuriste déterminant…
Mon conseil aux parents des enfants dont les symptômes ont déjà été imputés à ce chiffre de QI, c’est de ne pas tomber dans les solutions stéréotypées de sauts de classe, sur-stimulations ou hyper-tolérance à leurs excès. Lorsque certains psy peu scrupuleux vous expliquent qu’un enfant à HQI ne peut pas rester silencieux en classe, ne peut pas attendre et tolérer l’ennui 5 minutes : ils s’égarent. Produire un effort n’a jamais propulsé aucun enfant, même très intelligent, dans un malheur insurmontable. Si la mise en passivité lui est intolérable, c’est qu’il y a un problème d’un autre ordre (par exemple une dépression ou une problématique limite — peut-être autre chose) qui nécessitera, lui, d’être traité, et ce tout à fait indépendamment de son QI.
Voilà ce que je souhaitais vous dire d’essentiel aujourd’hui, en 2022, à propos du HQI. Je pense qu’il est vraiment temps que l’édifice de ce fantasme d’intelligence maudite se fissure, par respect pour la souffrance des enfants consultants qui en appellent à de véritables diagnostics et de véritables prises en charge, comme tous les autres enfants.
Mes conseils bibliographiques pour aller plus loin :
– Le premier livre absolument incontournable (au sujet de l’état des lieux de la recherche) : Le haut potentiel en question des Dr BRASSEUR et CUCHE, professeures de psychologie en Belgique (2017, éditions Mardaga).
– Le second, pour sa dénonciation du « marché » derrière l’entretien médiatique de ce fantasme : Dr Jérome PELLISSIER, maître de conférence en psychosociologie La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence, Dunod, 2021.
– À propos de la prise en charge de ces patients à HQI :
– Approche neuropsychologique et TCC : le podcast « métadechoc » avec Stéphanie Aubertin, psychologue.
– Approche psychodynamique : mon article dans Le journal des psychologues paru en 2012 : Soigner l’enfant surdoué ?
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Kermadec (de) M., L’adulte surdoué, apprendre à faire simple quand on est compliqué », Éditions Albin Michel, 2011
Marcelli D., L’enfant, chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Éditions. Albin Michel.
Golse B., « Les états-limites chez l’enfant et l’adolescent », revue Adolescence, 2015/4 (T.33, n° 3), p.771-778.
Siaud-Facchin J., L’enfant surdoué : l’aider à grandir, l’aider à réussir, éditions Odile Jacob, 2012
Besancon M. et Lubart T. (2012), A.N.A.E, 199, 425.
Goldman C., Établir les limites éducatives : Évaluation, diagnostic, action thérapeutique, Éditions Dunod, 2019
Goldman C., « Enfants surdoués : génie ou folie ? Articulations théoriques et projectives », Thèse de doctorat d’État en psychologie clinique et psychopathologie, université Paris V-Descartes.
Goldman C., « Le surinvestissement de la pensée chez l’enfant surdoué : trois études de cas », revue La psychiatrie de l’enfant, PUF, Paris, numéro 50, 2007/2, pp.527-570.
Goldman C., « Soigner l’enfant surdoué ? », Revue Le journal des psychologues, 2012.
Brasseur S. & Cuche C., Le haut potentiel en question, éditions Mardaga, 2018
Martin L. et al., Gifted Child Quarterly, 54, 31, 2010
Pellissier J. (2021), La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence, Dunod, 2021.
Ramus F. & Gauvrit N., « La légende noire des surdoués », revue La recherche, mensuel 521, mars 2017.
Revol O., Poulin R., Perrodin D., 100 idées pour accompagner les enfants à haut potentiel, Éditions Tom Pousse, 2015.
Gauvrit N. & Guez A., « Réussite scolaire et professionnelle des personnes à haut potentiel intellectuel », revue A.N.A.E., 2018, Vol 30, N° 152 à 157.
Kermadec (DE) M., L’enfant précoce aujourd’hui, Éditions Albin Michel, 2015.
Guenole F., Baleyte J-M & Speranza M., «La santé mentale des enfants et adolescents surdoués : synthèse des données quantitatives », revue A.N.A.E, 2018, Vol 30, N° 152 à 157.
Ramus F., « Les surdoués ont-ils un cerveau qualitativement différent ? », revue A.N.A.E., 2018, Vol 30, N° 152 à 157.
Brasseur S. & Grégoire J., « Les jeunes à haut potentiel sont-ils hyperémotifs ? », revue A.N.A.E, 2018, Vol 30, N° 152 à 157.
Siaud-Facchin J. (2008), Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué », Éditions Odile Jacob, 2008
Rufo M. & Duverger PH. (2018), Qui commande ici ? Conseils aux parents victimes d’enfants tyrans, Éditions Anne Carrière, 2018