« Thérapie individuelle ou thérapie de couple ? » par Gaetana Vestamente

La question que pose Gaetana Vestamente est intéressante, et la vignette clinique sur laquelle elle s’appuie dans son article ci-dessous évocatrice. Rappelons, suivant le joli titre d’un livre de Philippe Caillé, psychiatre systémicien et psychanalyste, « Un et un font trois » (éd.ESF, 1991), que dans un couple on est toujours déjà « trois » : chacun des partenaires et le couple. Chacun des « ces trois » peut être reçu en consultation : chacun des partenaires du couple, qui sera alors reçu en thérapie individuelle, et de fait auprès de thérapeutes différents ; et l’entité « couple » constituée par les deux partenaires, qui seront alors reçu en thérapie de couple par un professionnel dûment formé à cet accompagnement. La question la plus intéressante à mon sens, qui surgit également dans mes consultations en individuelle, est celle de ce à quoi travaille chaque espace. Un espace en individuel pour quoi, un espace couple pour quoi ? Quelle que soit la thématique que mon patient aborde (son couple, son partenaire de vie, son boss, une relation familiale, amicale, sociale, etc.), la chose que nous pouvons mettre au travail dans un espace de thérapie individuelle est comment ce patient-là qui vient me consulter est affecté, vit, pense, à ce sujet. Il ne s’agit donc pas de « parler sur » (« sur » le couple, « sur » le partenaire, « sur » le boss, « sur » la relation familiale, amicale, sociale etc.) mais bien avec ce patient-là de ce qui lui, il vit. Pour le dire autrement, les questions sur un couple, sur un partenaire, sur un boss, etc. sont toujours bienvenues dans un espace de thérapie individuelle. Elles y seront de facto mises au travail sous un autre angle que dans un espace de thérapie de couple. Et, à mon sens et dans mon expérience, ces différents espaces et leurs angles de travail sont riches et complémentaires.

Pour les professionnels intéressés par la thérapie de couple, et aussi par celles et ceux que cela intéresse, j’invite à explorer le site L’Ecole du Couple fondé par mes collègues Anne Sauzède-Lagarde et Jean-Paul Sauzède en suivant ce lien : ici. Au-delà des propositions de formation, le site regorge aussi d’articles et de références bibliographiques. Bonnes découvertes !

Quel rôle prend le thérapeute individuel dans le Couple ? Que permet-il ? Qu’empêche-t-il ?

Article de Gaetana Vastamente paru en janvier 2022.

J’ai reçu un couple de 27 ans au bord de la rupture, madame hésite à quitter monsieur, elle a une relation extra conjugale depuis quelques mois. Pour lui c’est la douche froide !

Ce qui m’a frappée dans ce couple, c’est à quel point tout se fait séparément, isolément et qu’ en 27 ans, il ne se sont disputés qu’une seule fois… rien n’est jamais dit ! Elle exprime enfin : « je me sentais de plus en plus seule et ne l’ai jamais dit. » Lui :  « je travaille énormément et tout allait bien. »

Madame est en thérapie depuis plusieurs année, sa thérapeute individuelle est même devenue comme une amie ! Je les questionne sur la place , l’impact qu’elle pourrait avoir dans leur couple… la question leur semble saugrenue…  Pourtant, elle démarre la 2e séance, en disant que cela lui a fait un électrochoc : «  cela fait 10 ans que je me réfugie chez ma thérapeute plutôt que d’aborder les choses avec lui. Je voulais son avis à elle pour tout… même dernièrement sur la manière de rompre ou de continuer avec lui. J’allais toujours chez elle pour gérer mes frustrations dans mon couple…Je me suis rendue compte que je prenais ainsi soin de moi, je me sentais enfin écoutée, comprise… mais je ne prenais pas soin de mon couple»

Ce couple a ainsi pu aborder ensemble ce tournant … parler ensemble de ce qui a mené à cette crise, cette relation extra-conjugale…. Ne plus se retourner vers un tiers mais amener les frustrations, besoins, désirs dans le Nous. Ils ont ensemble réfléchi à comment elle allait rompre avec son amant, que dire aux enfants, aux amis…

Le Nous se crée, un nouveau couple se dessine de séance en séance… ils se parlent, décident ensemble, et découvrent que c’est possible

Mais pourquoi pas avant ? Elle : « parce que j’avais le prérequis qu’il n’était pas capable de me comprendre, d’échanger sur le plan émotionnel avec moi…. Et je retournais chez ma thérapeute… alors que je découvre à ma grande surprise que oui, il en est capable et cela ravive le Nous »

Lui : « je gérais ma vie de couple comme mon entreprise : si rien ne grippe, c’est que ça fonctionne … je ne m’étais pas rendu compte qu’elle n’était pas satisfaite »

Je ne peux m’empêcher de me demander … et si l’espace de la thérapie individuelle n’avait pas existé, qu’est-ce que cela aurait-il changé dans la circulation des frustrations, l’expression des besoins et la recherche commune de solutions au sein de ce couple ?

En tant que thérapeute individuelle qui reçoit de plus en plus de personnes amenant des problèmes de couple, quel rôle je joue au sein des couples que je ne vois pas?

Quel est mon rôle dans le développement du Je ? Quelle place je  prends en renforçant le sentiment que le partenaire ne participe pas comme il devrait au bien – être de mon client … « Il ne me comprend pas … ça ne sert plus à rien que je lui parle, je parle et ça ne sert à rien » ou  « je ne dis rien, il ne comprendrait pas… »

L’espace de dialogue du couple se déplace entre la thérapeute et son client , le mutisme augmente, l’incompréhension aussi  … car souvent le partenaire ne se rend compte de rien… Comme le disait Monsieur : « on fait de moins en moins de choses ensemble mais bon, c’est normal, il y a le travail, les enfants , la maison … et on va recommencer à voyager dès qu’on aura plus de temps… »

Le temps passe et le partenaire devient aux yeux de celui qui est en thérapie individuelle de plus en plus inadéquat.

Le client évolue, il change, …le partenaire ne le reconnait plus… cela le stresse et l’amène à répéter les mêmes attitudes, les mêmes comportements… La crise amplifie…. Jusqu’où ? La rupture ? La relation extra-conjugale ? La thérapie du couple ?

Même au plus fort de la crise, on peut remettre du dialogue, de la compréhension, changer la dynamique du couple et recréer du Nous… si les deux le veulent et se mettent au travail, c’est possible…

Aujourd’hui en tant que thérapeute individuelle et thérapeute du Couple, chaque fois qu’une personne me parle d’une difficulté avec l’autre partenaire, je propose une thérapie du Couple car je sais que l’espace privilégié pour faire grandir chaque individu par rapport à son couple est le couple lui-même, et que la thérapie individuelle encombre cet espace.

Une réponse

  1. Bonjour Astrid.
    Cet article est effectivement intéressant. Néanmoins, sa conclusion me surprend. Je suis d’accord avec l’idée que le couple peut être un lieu de croissance des conjoints et, en tant que thérapeute de couple, je tente de faire en sorte que croissance des conjoints et développement du couple soient en synergie, chacun favorisant l’autre.
    Mais je suis plus réservé lorsqu’elle écrit que « la thérapie individuelle encombre cet espace [la thérapie de couple] ». C’est bien le cas dans l’exemple cité par notre consoeur, mais le problème ne me semble pas venir de la thérapie suivie par la femme : elle aurait pu tout aussi bien se « servir » d’un(e) ami(e) pour remplir ce rôle de tiers. C’est l’absence de « nous » et la solitude à deux qu’elle crée qui rend nécessaire ce tiers, tellement nécessaire qu’il lui a fallu un deuxième tiers, l’amant, pour combler cette solitude. Dans le cas relaté ici, on peut y voir une forme de déflexion.
    Dans mon expérience avec les couples comme en thérapie individuelle, je constate bien souvent une forte synergie entre thérapie du couple et thérapie individuelle du ou des conjoints. Selon moi, la situation « d’encombrement » de la première par la seconde est probablement exceptionnelle. Qu’en penses-tu ?
    Antoine

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