« Protection de l’enfance, une urgence nationale »

dans le journal La Croix,

Tribune

À l’occasion des Assises de la Protection de l’Enfance qui se tiennent cette année à Marseille les 4 et 5 juillet prochains, un collectif de personnalités du monde de l’enfance nous alerte sur la situation dans le domaine de la protection de l’enfance. Ils co-signent cette tribune (1).

  • Boris Cyrulnik, pédopsychiatre, Catherine Dolto, médecin, haptothérapeute, Didier Houzel, professeur en pédopsychiatrie, Danielle Rapoport, psychologue, fondatrice de Bien-traitance, Françoise Molenat, pédopsychiatre en périnatalité, Dominique Decant-Paoli, pédopsychiatre, présidente du CIRDH-FV. Brigitte Chatoney, Fondatrice d’Aire de famille, Présidente de la FNC et Frédéric Van der Borght Psychologue, Vice-président de la FNCP

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« Bien s’occuper des tout-petits et de leurs parents, c’est faire de l’humain un horizon, et c’est le meilleur et peut-être le seul véritable rempart contre la barbarie. » Catherine Dolto, médecin, haptothérapeute.

Nous tirons un signal d’alarme car il y a urgence dans la protection de l’enfance. Intervenant sur l’ensemble du territoire français, « Aire de famille » est témoin de la souffrance invisible des bébés, des enfants, de leurs familles et des professionnels. Nous avons le devoir d’en parler clairement : On ne reconstruira pas un système de protection de l’enfance juste et pertinent sans s’appuyer sur une alliance avec les familles. Mettre en place une mesure de protection pour l’enfant sans faire un réel travail d’accueil et d’accompagnement de ses parents est vain, coûteux et renforce sa détresse.

La situation actuelle est particulièrement aiguë pour des familles précaires et vulnérables relevant de l’enfance en danger. C’est donc une urgence !

L’intention d’éradiquer la maltraitance faite aux enfants renforce paradoxalement la violence du système de protection de l’enfance : il est de plus en plus bureaucratique, et donc alourdi par un contrôle social normatif qui terrorise les familles les plus fragiles et plombe la créativité des professionnels du secteur.

Un système à bout de souffle :

On constate dans bon nombre de départements, une forte augmentation des placements d’enfants et en particulier de bébés dès la maternité. (Voir le dernier rapport de l’ONPE intitulé « penser petit » – mars 2019) La protection de l’enfance est souvent le premier budget des départements alors que les résultats sont loin d’être à la hauteur de l’investissement.

Les placements peuvent avoir des effets collatéraux parfois plus destructeurs que le danger dont on souhaite protéger l’enfant.

Les contraintes administratives imposées aux professionnels de l’aide sociale à l’enfance (entre autres) sont chronophages et si lourdes qu’elles ne leur laissent même plus le temps d’assurer leur mission première de protection de l’enfant et de sa famille. Cela provoque maltraitance institutionnelle et burn-out.

Ainsi, pour les cadres du secteur, le souci de se protéger prend souvent le pas sur l’objectif de protection de l’enfant. La capitulation est une des conséquences pour un grand nombre de professionnels qui se sont pourtant fortement engagés au départ.

Les surcoûts des failles du système et des effets destructeurs sur le moyen et long terme, sont sous-évalués et reviennent en boomerang quelque temps après, généralement à l’adolescence. Plus de 26 % des SDF sont des jeunes sortis de la protection de l’enfance en particulier des « jeunes majeurs » d’à peine 18 ans.

Pourtant l’expérience montre qu’il y a des solutions, certes exigeantes, mais elles existent !

Une approche réellement innovante dans le secteur de la protection de l’enfance est très attendue non seulement par les parents mais également par de nombreux professionnels de terrain.

Repenser notre représentation de la famille

Le gouvernement semble avoir pris conscience du problème en mettant en place un secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance. C’est une excellente nouvelle qui laisse espérer une meilleure prise en compte des réalités du terrain et nous apprécions particulièrement que l’amélioration de la protection de l’enfance soit considérée comme un défi majeur : une démarche de concertation a été lancée au niveau national.

Pour « Aire de famille », qui s’inscrit dans cette démarche d’ouverture, faire mieux c’est d’abord faire autrement. Pour cela il est essentiel de remettre en cause certaines de nos représentations, certitudes et idéologies, et de respecter, aux côtés de la mère la place du père, en l’incluant dans l’accompagnement autant que possible.

En 2004, « Aire de famille » a ouvert à Paris le premier centre parental en France. Sa mission, a été d’accueillir dès la vie prénatale (*), des jeunes couples en grande détresse qui désirent assumer et protéger ensemble leur enfant. C’est un dispositif avec un hébergement en appartement qui permet un travail éducatif intensif au quotidien alliant soutien à la parentalité et à la conjugalité, à une prévention des violences intrafamiliales.

Cet accueil du père avec la mère est extrêmement favorable au développement de l’enfant et est fortement recommandé par l’OMS en particulier quand la femme est vulnérable.

Dans ce type de dispositif, toutes les dimensions de la responsabilité sont accompagnées, en passant par la santé, le logement, la formation et l’insertion professionnelle, dans un décloisonnement et une transversalité aux vertus très émancipatrices pour les familles et au plus grand bénéfice des enfants.

La mise en place d’un centre parental

Cette nouvelle possibilité permet désormais aux départements de développer ce type d’établissement qui s’avère dynamisant et stimulant pour les professionnels et les familles et ouvre des perspectives encourageantes. La loi détermine le profil des familles susceptibles d’être accueillies dans un centre parental mais elle ne définit pas son cadre singulier, ni son fonctionnement et ses pratiques. Pour remplir une telle mission sans la dévoyer, ni la corrompre, la mise en place d’un centre parental nécessite la formation des équipes sur le plan du management et des pratiques professionnelles selon l’approche développée par Aire de famille dans le cadre d’un partenariat nécessairement étroit et de confiance avec l’Aide sociale à l’enfance et le tribunal pour enfant.

« Aire de famille » invite à cette révolution nécessaire relatée dans : « Protéger bébé et ses deux parents dès la vie prénatale » (éditions Erès, collection 1001BB). Il ne s’agit en aucun cas de « stocker » des familles en détresses multiples dans un centre parental mais de permettre à ces familles d’être accompagnés dans l’expression et l’accomplissement de leurs désirs, de leurs réels besoins et leur projet de sortir de la répétition pour quitter les dispositifs de protection de l’enfance au terme de leur séjour.

Une prévention précoce, prévenante et bienveillante

Un centre parental offre un contexte qui permet de penser avec les parents la protection de leur enfant. L’intérêt des centres parentaux est de prendre le temps d’une longue observation participante du système familial tout entier. Ce type d’observation est d’un apport considérable pour une meilleure évaluation des besoins de protection de l’enfant, mais aussi pour la formation des personnels, mieux à même dans un tel contexte de prendre la mesure des risques projectifs auxquels ils sont confrontés, notamment dans les situations les plus sévères.

Nous sommes convaincus qu’une prévention précoce, prévenante et bienveillante constitue un enjeu primordial non seulement pour l’enfant d’abord et ses parents qui en bénéficient mais également pour la société dans son ensemble, tant sur le plan économique que social.

À l’initiative de la Fédération Nationale des Centres Parentaux, et par des formations dispensées par « Aire de famille », les centres parentaux commencent à fleurir sur tout le territoire français. Un label est en cours d’élaboration qui clarifiera et définira le cadre des pratiques des centres labélisés permettant aux familles en grande dépendance de retrouver leur autonomie en s’engageant sur le chemin de leur intégration.

(*) Les découvertes récentes liées à la relation prénatale mère-père-bébé ont modifié nos repères théoriques et pratiques ainsi que l’apport de l’haptonomie.

dans La Croix « Pédophilie, les victimes veulent briser le silence »

 

 

par Emmanuelle Lucas , le 19/11/2018 à 18h57 (article ici)

Mal connues, sous-estimées, les violences sexuelles commises sur les enfants pèsent sur leur vie entière. Devenues adultes, de nombreuses victimes expliquent aussi que le poids du déni a largement pesé sur leurs épaules.

Olivier veut témoigner. Et c’est la voix encore brisée d’émotion que cet homme de 59 ans entame le récit de ce qui s’est passé il ne sait plus trop quand, « certainement quand j’avais 14 ou 15 ans ». Olivier commence donc à raconter une jeunesse docile et prisonnière d’un père pourtant aimé de tous, directeur d’école et pédagogue respecté, lauréat des palmes académiques. Il raconte surtout ces séances d’éducation sexuelles « poussées » pendant lesquelles ce père venait lui apprendre « ce qui était supposé être la sexualité des hommes ». Il s’agissait en fait de séances d’attouchements et viols qui ont instillé un poison lent dans la vie du jeune garçon.

Lever un coin du voile

Comme lui, de nombreuses victimes éprouvent, une fois parvenues à l’âge adulte, un besoin de lever un coin du voile sur ces souffrances qui marquent au fer rouge leur existence tout entière. Certaines se sont confiées dans le documentaire d’Éric Guéret diffusé mardi 20 novembre sur France 2. L’un d’eux, Laurent Boyet, résume l’esprit de ces victimes : « le silence, on en crève ». Dans une société où la protection des enfants a progressé, où ceux-ci bénéficient d’une attention que jamais ils n’ont eue dans l’histoire, les violences sexuelles qu’ils subissent restent taboues. En partie parce qu’intrinsèquement, ce drame est celui du silence. Il se déroule en effet dans l’intimité, derrière les portes closes. Olivier, lui, ne se pardonne pas de n’avoir jamais pu échapper à son père. « Il me disait que c’était comme cela qu’on devenait grand. Alors je l’ai cru. Même si au fond de moi je détestais ce qu’il me faisait, je n’ai pas pu m’y opposer », témoigne-t-il.

 

Face à un pédophile, l’enfant victime ne peut effectivement rien, expliquent les spécialistes. D’abord parce qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive et n’a pas les mots pour exprimer ce qu’on lui a fait. À cela s’ajoutent des mécanismes plus complexes. « La pédophilie n’est pas totalement comprise par les professionnels,commence Mélanie Dupont, présidente de l’association Centre de victimologie des mineurs (1) et psychologue à l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu. Il y a plusieurs profils d’agresseurs : des grands pervers, qui font du mal pour faire du mal, et de grands immatures qui interprètent les gestes de l’enfant comme un appel à la sexualité. Ceux-là savent très bien parler aux plus jeunes. Dans un cas comme dans l’autre, il est particulièrement compliqué pour l’enfant de faire la part des choses. Longtemps, il va s’enfermer dans une forme de dégoût de lui-même, de sentiment de culpabilité de n’avoir pas su dire non qui l’emmène en grandissant à des comportements autodestructeurs. »

Armes de guerre

Les récents progrès de l’imagerie médicale expliquent les mécanismes à l’œuvre. « Nous savons désormais que les violences sexuelles sur mineurs comptent parmi les plus destructrices. C’est pourquoi d’ailleurs elles sont utilisées comme armes de guerre dans les conflits, explique la psychiatre Muriel Salmona, l’une des spécialistes les plus reconnues de cette question. Ce n’est pas un hasard car en fait elles représentent, comme les crimes de guerre, une négation absolue de l’humanité. »

La victime doit ainsi mettre en place des mécanismes de survie. « Lors de l’agression, la victime ressent un tel stress que, pour assurer sa survie, son « cerveau » disjoncte, reprend Muriel Salmona. Il ne répond plus aux signaux d’alerte. C’est pourquoi les victimes restent souvent passives, ne se débattent pas par exemple. Cela leur est malheureusement reproché lors des procès. Les avocats des auteurs leur disent : « mais enfin, pourquoi n’avez-vous pas réagi, ou parlé ? » En fait, elles n’en sont tout simplement pas capables. Elles sont en état de sidération. »

L’imagerie médicale montre aussi que ces souvenirs traumatiques restent stockés dans le cerveau. Ils peuvent y demeurer tapis des années avant de resurgir. C’est le phénomène de l’amnésie traumatique. « Ces souvenirs assaillent alors la victime, poursuit Muriel Salmona. Celle-ci ne sait plus ce qui relève d’elle et de l’agresseur. Par exemple, certaines se prennent à ricaner du même rire que leur agresseur. Afin d’y échapper, elles cherchent alors à faire à nouveaux « disjoncter » leur cerveau, en s’oubliant dans les conduites à risques, les addictions, etc. »

Olivier a vécu ce faux calme avant la tempête. « Longtemps, je n’y ai plus pensé, reprend-il. Je croyais que j’avais oublié. Je me suis marié, j’ai eu des enfants, un métier, une maison. Bref, tout allait bien en surface. » Jusqu’au jour où son fils aîné a atteint ses 14 ou 15 ans, l’âge qu’il avait quand son père a commencé à le violenter. « Et là, tout est revenu d’un coup, explique Olivier. J’ai complètement pété un câble. » Il revit les séances de viols subis à l’adolescence. Ces images le hantent.

Il fait une grave dépression et doit être hospitalisé un temps en hôpital psychiatrique. Son couple n’y résiste pas. « Je suis devenu violent verbalement avec mes enfants que pourtant j’adore. Mais je voulais les endurcir pour que jamais ils ne soient aussi dociles et faibles que je l’avais été au même âge. » Depuis, il a repris pied et arrive plus ou moins à tenir ses démons à distance. « Pourtant, ces souvenirs me pourrissent la vie. Jamais je ne m’en remettrai complètement »,raconte-t-il.

Des pistes thérapeutiques existent

Pourtant, des pistes thérapeutiques existent. « Avec mes patients, je vois tous les jours qu’il est possible de se reconstruire, témoigne Muriel Salmona. Il faut néanmoins pour cela que les professionnels soient formés à ce type de prise en charge, ce qui n’est pas toujours le cas. » Le site de son association Mémoire traumatique et victimologie (2) met de nombreux documents à disposition gratuitement.

Reste que la psychologie seule ne suffit pas toujours à aider certaines victimes, quand elles ont été abusées dans l’Église ou quand elles ont un sentiment religieux fort. Elles font alors face à un vide spirituel qui nourrit un profond désarroi. « Ce lien du psychologique et du spirituel est une question compliquée,confirme Isabelle Le Bourgeois, psychanalyste et religieuse auxiliatrice. Souvent, les personnes abusées se tournent vers leur prêtre en paroisse mais celui-ci n’est pas forcément formé pour les écouter. Il existe des endroits plus spécifiques, comme le Centre spirituel de spiritualité ignatienne Manrese de Clamart (Hauts-de-Seine). Dans ce genre de structures, la qualité de l’écoute ne fait pas de doute, notamment parce qu’il existe une supervision de la part de la hiérarchie, ainsi qu’une réelle expertise. »

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Des ressources pour les victimes et les témoins

Le secteur associatif multiplie les initiatives afin d’aider à un meilleur repérage et à une aide des victimes de pédophilie.

►L’Enfant bleu lance, le 20 novembre, une plate-forme digitale destinée aux victimes comme aux témoins afin de les orienter dans leurs démarches. AlerterPourSauver.org

► SOS Villages d’enfants lancera en mars 2019 des formations à l’usage de tous les professionnels afin de les aider à mieux repérer et intervenir auprès des enfants victimes. www.sosve.org

► Association « Survivants, victimes au masculin pluriel », nouvellement lancée, offre un soutien pour les hommes qui ont été victimes de l’inceste. www.apreslinceste.com

► Et toujours, le 119, la plate-forme d’écoute téléphonique dédiée aux maltraitances. Psychologues, assistantes sociales répondent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à toutes demandes de conseils émanant de victimes ou de témoins.

Emmanuelle Lucas

 

 

 

 

 

« La Gestalt, le corps pour allié » in La Croix, 8 août 2018

Élodie Maurot , le 08/08/2018 à 6h00

Méthode de psychothérapie, la Gestalt-thérapie propose un travail sur soi qui prend appui sur le corps. Reportage à Rennes, lors d’un stage mêlant danse et exploration personnelle.

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Delphine Lebourgeois est une artiste et illustratrice française installée a Londres. Elle travaille pour la presse et expose ses travaux à travers le monde. Ses collages puisent dans des references stylistiques variées, de Botticelli aux comics, ou les symboles et la poésie se répondent. / Delphine Lebourgeois pour La Croix

Une musique s’élève, lente et puissante. Au sol, quinze corps sont allongés, immobiles. Petit à petit, délicatement, ils se mettent à bouger, à s’étirer, à se déployer, puis à se redresser, comme appelés vers le ciel. Ils restent quelques instants dans cet acmé, puis décroissent, se replient, se recroquevillent, avant de reposer au sol, immobiles…

Célestine Masquelier-Demulier, danseuse professionnelle et Gestalt-thérapeute, a proposé cet exercice dansé, figurant une « fleur qui croît et décroît », avec une ambition précise. « Je vous propose de nous mettre en mouvement par la danse, pour faire surgir du nouveau dans nos vies », a-t-elle expliqué aux participants de ce stage de deux jours, proposé par l’école Gestalt Plus, à Rennes. En jalons, elle a déposé deux citations de chorégraphes : « Pina Bausch disait ”Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus !”, et Susan Buirge : “Faites attention à ce que vous dansez, car ce que vous dansez vous le devenez…”. » Une manière d’indiquer que la danse est une chose sérieuse. Et un medium précieux dans la connaissance et le déploiement de soi.

L’attention à la dimension corporelle est au cœur de la Gestalt-thérapie, née dans la seconde moitié du XXe siècle. Son nom vient de l’allemand Gestalt, signifiant « forme » ou « figure ». « La Gestalt-thérapie s’occupe de la thérapie de la Gestalt, c’est-à-dire qu’elle donne du soin à la “forme” ; elle vise la mise en mouvement des formes figées pour fluidifier l’échange entre l’organisme et l’environnement », résume Chantal Masquelier-Savatier, psychologue, Gestalt-thérapeute et formatrice (1).

Fille dissidente de la psychanalyse, cette méthode se distingue par l’importance qu’elle accorde au « contact » : contact entre l’individu et les autres, entre l’organisme et son environnement, entre le « moi » et le « non-moi ». Ses fondateurs, Fritz Perls, Laura Perls et Paul Goodman ont défini le contact comme le « toucher touchant quelque chose » et l’ont placé au cœur de leur vision de l’humain et de sa croissance. « Tout organisme est en relation avec un environnement et aucun organisme ne subsiste sans échange », rappelle Chantal Masquelier-Savatier. Le contact peut être ouvert, aisé, créatif, mais il peut aussi se révéler résistant, difficile, source d’angoisses… Le travail thérapeutique vise alors à le rendre plus conscient et plus fluide.

Avec cet arrière-plan théorique, la danse apparaît comme une voie intéressante pour explorer le contact. « La thérapie est aussi un art. Elle relève davantage du domaine des arts que de celui des sciences », a écrit Laura Perls. La danse permet d’être dans « l’ici et maintenant », autre notion chère à la Gestalt. Elle oblige à s’exposer et à être regardé, à ajuster l’amplitude de ses mouvements, fait prendre conscience de sa capacité – et de ses limites – à toucher et à être touché. Elle demande d’être attentif à l’autre et à soi dans son rapport à l’autre.

Au cours du stage, elle fait aussi surgir des émotions, parfois puissantes. De la tristesse ou de la joie, qui dessinent sourires ou larmes sur les visages, lors d’un exercice où chacun est invité à chorégraphier un épisode important de sa vie devant un partenaire. Elle suscite une jubilation et une légèreté presque enfantines dans les temps de « co-création » improvisée. Une douce gravité toujours…

La présence du groupe permet aussi de sonder la confiance envers autrui, comme dans cet exercice dansé où les danseurs se laissent tomber, à tour de rôle, en sollicitant juste auparavant l’aide du collectif par un appel. Tout le groupe se rassemble alors pour empêcher la chute et soulever le danseur à bout de bras… « La Gestalt cherche à équilibrer le pôle intellectuel, le pôle corporel et le pôle affectif, à leur accorder autant de place, alors que nos habitudes privilégient plutôt l’intellect », souligne Célestine Masquelier.

Entre les moments dansés, les mots trouvent leur place. Celui qui le souhaite peut évoquer une difficulté de sa vie personnelle, sollicitant l’attention et l’aide de la thérapeute et du groupe. Ce week-end-là, les situations de vie partagées sont particulièrement douloureuses : viol, inceste, violence d’un père, rivalité avec une mère, sentiment d’être rejeté…

Particularité de la Gestalt, la thérapeute s’investit dans cet accompagnement : elle partage ce qu’elle ressent, dialogue, propose une reformulation, parfois un exercice physique « pour initier par le mouvement une transformation intérieure ». Une fois cet échange refermé, les membres du groupe peuvent proposer des « feed-backs », qui ne sont pas des conseils, mais le partage d’un ressenti, d’une réaction. « On parle de soi et on ne prétend pas savoir à la place de l’autre », rappelle la formatrice.

En Gestalt-thérapie, le travail en groupe est considéré comme un accélérateur. « Le groupe est une caisse de résonance, il permet souvent de travailler plus vite que dans une thérapie individuelle où il est plus facile d’esquiver », estime Célestine Masquelier-Demulier.

Au fil du week-end, la confiance que se témoignent les participants frappe. Elle questionne aussi par son caractère très affectif. « Certains découvrent avec la Gestalt qu’il est permis de se prendre dans les bras, de pleurer, que l’on peut être écouté quand on parle… Pour certains, c’est révolutionnaire », décrypte la formatrice.

La parole sur soi est libre, parfois un peu abondante, comme en excès après avoir été longtemps retenue. « Il peut y avoir une sensibilité légèrement hystérisante qui pousse à être démonstratif quand on commence un travail, mais c’est une étape et pas la fin de l’histoire »,analyse la thérapeute, qui glisse : « Le travail intérieur le plus important n’est pas toujours le plus démonstratif »…

Élodie Maurot
article original : ici
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