« On a vécu dans nos corps l’expérience de l’ »effondrement » par Cynthia Fleury

Interview intéressante à plusieurs titres, je relèverai ici les notions d’ « incertitude » et de « corps », familières et qui font partie de « l’ADN » du modèle théorique, de la méthodologie et du dispositif en gestalt-thérapie.

Paru dans Le Figaro Madame par Ophélie Ostermann, le 22 décembre 2020, original ici.

Interview- Après plusieurs mois régis par la pandémie de Covid-19, il n’aura jamais été autant question de notre santé mentale, «sursollicitée», insiste la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. En cette fin de mois de décembre, elle revient sur les répercussions de douze mois inédits sur les corps et les esprits.

Madame Figaro : Le 3 décembre, vous vous êtes jointe à des psychologues et psychiatres pour alerter sur les conséquences de la pandémie sur notre santé mentale. Vous avez ainsi rappelé que cette année 2020 avait fait ressurgir dans nos quotidiens le “réel de la mort”. C’est-à-dire ?

Cynthia Fleury (1).- La Covid-19 met en exergue l’extinction d’expérience épidémique qui est la nôtre, par rapport aux générations bien antérieures. C’est une conquête pour nos vies quotidiennes, qui sont plus douces, mais qui nous préparent moins à tolérer le risque que représente un compagnonnage avec le réel de la mort. Résultat, à cause de cette amnésie générationnelle, nous sommes plus fébriles, émotionnellement, face à cet événement.

Vous soulignez que cela sur-sollicite notre santé mentale…
Oui, elle va l’être à différents niveaux : 1 patient sur 5, qui a été positif à la Covid-19, développe dans les mois qui suivent la rémission des troubles psychiatriques : anxiété, insomnie, troubles compulsionnels. Il y a tous les patients atteints de pathologies psychiatriques qui avaient été plutôt épargnés lors du premier confinement qui là sont en décompensation plus conséquente, et il y a tous ceux qui sont sans antécédent psychiatrique, mais qui sont bouleversés dans leur vie, notamment avec une insécurisation économique maximale, qui éprouvent des troubles dépressifs.

Beaucoup ont l’impression de ne pas être atteint psychologiquement par l’épidémie. Quels signes ne trompent pas ?
L’incapacité de se concentrer et de se «reposer». Autrement dit, le sentiment d’hyper-vigilance, d’être agité, azimuté, inquiet sans raison apparente, fatigué sans raison apparente. Tout cela est le signe d’une lassitude mentale. Les troubles du sommeil et la permanence de l’anxiété, le sont également.

D’un côté nous nous sommes rapidement adaptés depuis le début de l’épidémie, de l’autre notre santé psychique est loin d’être épargnée. Pourquoi ? Qu’est-ce qui d’après vous, nous touche le plus durement ?
En fait, l’incertitude va devenir dans les années futures un champ d’expérience prioritaire. Or l’on sait que la tolérance au risque et à l’incertitude est un marqueur très pertinent pour évaluer une santé psychique. Or, le monde de demain va nous sursolliciter par rapport à cette aptitude. Entre le premier et le deuxième confinement, il y a la confirmation d’un fait : ce n’est pas seulement un «hapax» – un inédit, un accidentel – c’est du systémique, du récurrent. C’est la certitude que nous allons de nouveau être victimes de failles systémiques, avec des conséquences très directes dans nos vies. En somme c’est la conscientisation et l’expérience dans nos corps de l’«effondrement», et cela est très anxiogène. Le sentiment d’être dans des impasses, piégés, conscients des changements nécessaires mais les effets d’emballements sont maintenant compris, ce que la «modélisation dite de l’effondrement» tentait de faire comprendre, comment il se joue des irréversibilités, un phénomène de rétroactions, qu’on ne peut maîtriser. Il y a aussi le sens de la communauté qui change : l’affectio societatis, la qualité de nos sociabilités, bien sûr chacun a vu la valeur de l’éthique du care mais au jour le jour chacun perçoit la distance, avec des interrogations sur la durabilité de ce phénomène, son ancrage ou non dans les comportements, le fait que cela atteint nos résiliences et ressourcements possibles.

Après presqu’un an de pandémie, qu’observez-vous concrètement en cabinet chez vos patients et en supervision des soignants ?
Une vraie fatigue, une forme de découragement, de ras-le-bol généralisé, de sentiment d’un jour sans fin, de mauvaise répétition. Une forme d’assèchement aussi, avec le manque de relations sociales. Le fait de ne pas pouvoir se projeter aisément dans l’avenir commence aussi à peser.

Notez-vous des profils plus impactés que d’autres ?
Les enfants et les adolescents qui avaient été relativement épargnés lors du premier confinement sont plus exposés. Il y a une vraie fatigue mentale, le manque de sociabilisation, des fêtes, tout cela provoque une volonté de débordement chez certains.

Le reconfinement a été marqué par un sentiment nouveau ou plus présent : la colère. Contre le gouvernement, contre la mesure restrictive, ou contre celles et ceux qui ne respectent pas les règles, peut-elle laisser des traces dans le corps et l’esprit ?
Le problème n’est pas seulement ce nouveau confinement mais le fait qu’il y ait la possibilité d’un énième confinement, autrement dit d’une réédition incessante du stop and go, comme autant de faux départs. Résultat, vous avez une réaction d’attentisme généralisé et de frustration, et tout cela est intrinsèquement inflammable.

Restaurants, bars, cinémas, théâtres… Nous avons été privés des lieux dans lesquels nous vivons, nous nous ressourçons, dans lesquels nous éprouvons du plaisir. À long terme, cela aura-t-il des répercussions sur notre psychisme ?
Ce sont des lieux de convivialité où l’on échange de façon empathique avec les autres. Et puis ce sont des lieux «culturels» qui nous permettent aussi de sublimer les instincts mortifères, qui nous aident précisément à produire de la résilience. Heureusement rien n’est irréversible, et dès que ces lieux réouvriront nous retrouverons cette aptitude à la convivialité ou à la sublimation. En revanche, le problème est la survie économique de ces lieux et du monde de la culture.

Vous dites que l’incertitude ambiante peut avoir des conséquences sur la santé mentale. Pourquoi avons-nous besoin de certitudes pour avancer sereinement ?
C’est toujours une affaire de nuances. Trop de certitudes, et le schéma dans lequel vous êtes est psychorigide, dogmatique, incapable d’adaptation, sectaire et réfractaire. Trop d’incertitudes, et c’est alors une forme de panique ou d’automatisme annihilant la personnalité, comme si on se mettait en pilotage automatique.

Il faut, selon vous, se saisir de cette question de la prévention en matière de santé mentale. Quelles sont les urgences ?
Notre approche de la santé mentale est encore trop dramatisante et stigmatisante comme si la santé mentale s’occupait des marginaux alors même qu’elle fait partie intégrante de la santé, et qu’elle concerne chacun d’entre nous. L’objet de la santé mentale c’est la personne, la protection de la singularité, et non pas l’anormalité au sens de ce qui serait «dégénéré».

(1) Cynthia Fleury est professeur titulaire de la Chaire Humanités et Santé du Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la Chaire de Philosophie à l’Hôpital du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. Elle est également auteure de Ci-gît l’amer, guérir du ressentiment, (Éd. Gallimard).

 » De l’urgence… de ralentir « 

Article paru dans Cercle Psy de 2017, remis en ligne compte tenu de l’actualité.

 

Par Audrey Minart,

Difficile de freiner dans une société toujours plus obsédée par la vitesse… Mais ne risquons-nous pas de passer à côté de l’essentiel en remplissant nos agendas à outrance ?

images.jpegSuis-je devenu complètement fou ? Alors que la file serpente en direction de la borne de contrôle des billets, je mets de côté mon journal et commence à réfléchir. Ma vie entière s’est transformée en gymkhana sans merci consistant à remplir chacune de mes heures un peu plus chaque jour. Je suis un grippe-sou armé d’un chronomètre, vivant dans l’obsession de récupérer la moindre parcelle de temps, une minute ici, quelques secondes là. Et je ne suis pas le seul. » Journaliste canadien, et aujourd’hui porte-parole du mouvement « slow ». Carl Honoré (1) a pris conscience au début des années 2000 de son mode de vie accéléré, dans un monde lui aussi lancé à pleine vitesse… De l’économie mangeuse de ressources, et même du « turbo-capitalisme » qui pousse des individus de plus en plus jeunes au surmenage, jusqu’à la vie de famille « gérée » parfois à coups de post-it sur le frigo, en passant par la course aux informations, le gavage aux médias grande vitesse, qui font toujours plus saturer nos capacités cognitives… Nous risquons de perdre de vue ce que vivre réellement, signifie. Et que ne rien faire est aussi vivre.

« C’est comme si nous étions arrivés à la fin d’un cycle hyper-productiviste », observe Catherine Aimelet-Perissol (2), médecin et psychothérapeute. « Nous avons atteint, semblerait-il, la limite que peut supporter notre cerveau en termes de stress, de pression et d’exigence d’efficacité, dans cette course en avant désespérée, comme si nous avions à chaque fois à échapper à quelque chose… Cette surexigence et ce désir de surpuissance peuvent aboutir à des drames. Et ce phénomène est en lien immédiat avec la pression du temps, et notre façon de le vivre. »

Retour au corps et aux émotions

Et si l’extrême vitesse dans laquelle nous vivons, jamais suffisante, visait à nous faire oublier nos limites corporelles, notre vulnérabilité, pour mieux viser un idéal illusoire ? « En effet. Il est pourtant nécessaire de prendre le temps de rentrer en rapport avec la réalité corporelle et structurelle qui est la nôtre. » Quelle réalité ? Le corps et ses limites donc, et aussi l’autre, ses singularités et son émotivité, mais encore ce qui nous environne… « Il s’agit de pouvoir, non pas simplement apprécier, mais rentrer directement en rapport, en contact, ce qui nécessite un espace… et un temps. » Difficile de le prendre cependant, car la course commence dès l’école… « Et tout le monde subit le rythme des exigences des autres. Ce souci d’efficacité et de résultat prive chacun d’un rapport sain à sa propre existence, à son propre corps qui, par définition, a un rythme : respiratoire, cardiaque, digestif… Il y a en outre, depuis des années, une sorte de surévaluation des phénomènes psychiques : l’esprit est censé diriger le corps, comme par magie, mais nous en voyons la limite… Les pathologies sont en nombre croissant. »

Pour lutter contre cette course infernale, la psychothérapeute invite donc, en premier lieu, à rentrer de nouveau en rapport avec son corps. « Se recentrer, reporter son attention au corps… Et au corps, tel qu’il est. Et ce n’est pas toujours évident… L’objectif est de sentir que son corps est vivant. » La méditation, notamment, peut y aider.

Mais ce que vise avant tout la psychothérapeute c’est, grâce à ce retour au corps, le retour aux émotions. « Dans la vie de tous les jours, se sentir touché, que ce soit par la peur, la colère, la tristesse, c’est aussi une façon de se reconnecter à son propre corps. Pouvoir reconnaître que nous sommes déstabilisés, agités, etc., et que c’est ça que le corps vit au moment où il le vit, sans chercher à le rejeter, c’est déjà une façon de ralentir dans sa vie, de se rendre compte que son corps est vivant, et qu’il est en rapport avec ce qui se joue autour. » Et qu’il faut lui laisser le temps « d’éponger ces chocs ».

« Rien faire »

« Ce que je conseille souvent à mes patients, c’est : faire rien, dans une situation qu’ils ont l’habitude de vouloir gérer. » Certains ne manqueront pas de sauter au plafond. « Et pourtant, c’est une façon de s’accorder une expérience tout à fait nouvelle, et qui peut aider à se réconcilier avec le fait d’être juste là, un être vivant, posé sur son canapé. Ne rien faire nous met plus facilement en relation avec le chant des oiseaux, le bruit de la ville ou de la campagne. En somme, cela permet le ralentissement, et de découvrir la richesse de ce qui nous entoure. » Parfois aussi de notre propre corps : crispation au niveau des trapèzes ? Mal de dos ? Ventre noué ? Allez, une pause.

Et pour ceux qui se sentiraient pris d’une angoisse terrible à l’idée de ne rien faire (parfois) du jour au lendemain, Catherine Aimelet-Perissol conseille des activités comme, sans surprise, le Tai Chi ou le Chi Qong, des pratiques qui se réalisent sur un rythme très lent.

« Un autre exercice qui peut paraître simple c’est d’écouter. L’autre, ses enfants, son conjoint… Parce qu’arrêter de parler, c’est être dans un état d’ouverture. Ce n’est pas forcément chercher quelque chose à répondre, ce qui peut soulager d’ailleurs, tout en nous mettant en interaction avec autrui. » Autre « activité », en solitaire cette fois-ci : prendre le temps d’observer les idées qui passent… « Il ne s’agit pas de ne rien faire, mais d’observer simplement la nature des pensées qui sont les siennes. » Dernier exercice : prendre un objet, un stylo par exemple, le regarder, s’exercer à penser sans parole, ni mots, ni langage… Et dès que celui-ci revient, poser l’objet, attendre, le reprendre, recommencer. « Il faut s’exercer à l’observer tel qu’il est, avec nos yeux qui voient la réalité de l’objet, pas les yeux de l’esprit.N’être en rapport qu’avec l’objet permet d’entraîner son attention, et même d’augmenter sa durée. » Ce qui favorise, aussi, le ralentissement. « On entre alors dans la réalité telle qu’elle est, sans avoir à en faire quelque chose. Sans être dans l’anticipation constante. »

On recommandera peut-être, notamment aux plus hyperactifs, une autre activité : la marche. À lire l’anthropologue et sociologue David le Breton (3), l’un de ses plus grands promoteurs, c’est tout aussi efficace. « La marche ne se joue pas seulement dans l’espace, le temps également est mobilisé. Ce n’est plus la durée du quotidien scandée par les tâches du jour et les habitudes, mais en temps qui s’étire, flâne, se détache de l’horloge. Cheminement dans un temps intérieur, retour à l’enfance ou à des moments de l’existence propices à un retour sur soi, remémoration qui égrène au fil de la route des images d’une vie, la marche sollicite une suspension heureuse du temps, une disponibilité à se livrer à des improvisations selon les événements du parcours. Le marcheur est le seul maître de son temps. » À défaut d’être maître du temps. •

NOTES

1. Éloge de la lenteur. Et si vous ralentissiez ?, Poche Marabout, 2013.
2. Auteure d’Émotion, quand c’est plus fort que moi, Leduc.s, 2017. Voir aussi http://www.logique-émotionnelle.com
3. Marcher. Éloge des chemins et de la lenteur, Métailié, 2012.

« La Gestalt, le corps pour allié » in La Croix, 8 août 2018

Élodie Maurot , le 08/08/2018 à 6h00

Méthode de psychothérapie, la Gestalt-thérapie propose un travail sur soi qui prend appui sur le corps. Reportage à Rennes, lors d’un stage mêlant danse et exploration personnelle.

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Delphine Lebourgeois est une artiste et illustratrice française installée a Londres. Elle travaille pour la presse et expose ses travaux à travers le monde. Ses collages puisent dans des references stylistiques variées, de Botticelli aux comics, ou les symboles et la poésie se répondent. / Delphine Lebourgeois pour La Croix

Une musique s’élève, lente et puissante. Au sol, quinze corps sont allongés, immobiles. Petit à petit, délicatement, ils se mettent à bouger, à s’étirer, à se déployer, puis à se redresser, comme appelés vers le ciel. Ils restent quelques instants dans cet acmé, puis décroissent, se replient, se recroquevillent, avant de reposer au sol, immobiles…

Célestine Masquelier-Demulier, danseuse professionnelle et Gestalt-thérapeute, a proposé cet exercice dansé, figurant une « fleur qui croît et décroît », avec une ambition précise. « Je vous propose de nous mettre en mouvement par la danse, pour faire surgir du nouveau dans nos vies », a-t-elle expliqué aux participants de ce stage de deux jours, proposé par l’école Gestalt Plus, à Rennes. En jalons, elle a déposé deux citations de chorégraphes : « Pina Bausch disait ”Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus !”, et Susan Buirge : “Faites attention à ce que vous dansez, car ce que vous dansez vous le devenez…”. » Une manière d’indiquer que la danse est une chose sérieuse. Et un medium précieux dans la connaissance et le déploiement de soi.

L’attention à la dimension corporelle est au cœur de la Gestalt-thérapie, née dans la seconde moitié du XXe siècle. Son nom vient de l’allemand Gestalt, signifiant « forme » ou « figure ». « La Gestalt-thérapie s’occupe de la thérapie de la Gestalt, c’est-à-dire qu’elle donne du soin à la “forme” ; elle vise la mise en mouvement des formes figées pour fluidifier l’échange entre l’organisme et l’environnement », résume Chantal Masquelier-Savatier, psychologue, Gestalt-thérapeute et formatrice (1).

Fille dissidente de la psychanalyse, cette méthode se distingue par l’importance qu’elle accorde au « contact » : contact entre l’individu et les autres, entre l’organisme et son environnement, entre le « moi » et le « non-moi ». Ses fondateurs, Fritz Perls, Laura Perls et Paul Goodman ont défini le contact comme le « toucher touchant quelque chose » et l’ont placé au cœur de leur vision de l’humain et de sa croissance. « Tout organisme est en relation avec un environnement et aucun organisme ne subsiste sans échange », rappelle Chantal Masquelier-Savatier. Le contact peut être ouvert, aisé, créatif, mais il peut aussi se révéler résistant, difficile, source d’angoisses… Le travail thérapeutique vise alors à le rendre plus conscient et plus fluide.

Avec cet arrière-plan théorique, la danse apparaît comme une voie intéressante pour explorer le contact. « La thérapie est aussi un art. Elle relève davantage du domaine des arts que de celui des sciences », a écrit Laura Perls. La danse permet d’être dans « l’ici et maintenant », autre notion chère à la Gestalt. Elle oblige à s’exposer et à être regardé, à ajuster l’amplitude de ses mouvements, fait prendre conscience de sa capacité – et de ses limites – à toucher et à être touché. Elle demande d’être attentif à l’autre et à soi dans son rapport à l’autre.

Au cours du stage, elle fait aussi surgir des émotions, parfois puissantes. De la tristesse ou de la joie, qui dessinent sourires ou larmes sur les visages, lors d’un exercice où chacun est invité à chorégraphier un épisode important de sa vie devant un partenaire. Elle suscite une jubilation et une légèreté presque enfantines dans les temps de « co-création » improvisée. Une douce gravité toujours…

La présence du groupe permet aussi de sonder la confiance envers autrui, comme dans cet exercice dansé où les danseurs se laissent tomber, à tour de rôle, en sollicitant juste auparavant l’aide du collectif par un appel. Tout le groupe se rassemble alors pour empêcher la chute et soulever le danseur à bout de bras… « La Gestalt cherche à équilibrer le pôle intellectuel, le pôle corporel et le pôle affectif, à leur accorder autant de place, alors que nos habitudes privilégient plutôt l’intellect », souligne Célestine Masquelier.

Entre les moments dansés, les mots trouvent leur place. Celui qui le souhaite peut évoquer une difficulté de sa vie personnelle, sollicitant l’attention et l’aide de la thérapeute et du groupe. Ce week-end-là, les situations de vie partagées sont particulièrement douloureuses : viol, inceste, violence d’un père, rivalité avec une mère, sentiment d’être rejeté…

Particularité de la Gestalt, la thérapeute s’investit dans cet accompagnement : elle partage ce qu’elle ressent, dialogue, propose une reformulation, parfois un exercice physique « pour initier par le mouvement une transformation intérieure ». Une fois cet échange refermé, les membres du groupe peuvent proposer des « feed-backs », qui ne sont pas des conseils, mais le partage d’un ressenti, d’une réaction. « On parle de soi et on ne prétend pas savoir à la place de l’autre », rappelle la formatrice.

En Gestalt-thérapie, le travail en groupe est considéré comme un accélérateur. « Le groupe est une caisse de résonance, il permet souvent de travailler plus vite que dans une thérapie individuelle où il est plus facile d’esquiver », estime Célestine Masquelier-Demulier.

Au fil du week-end, la confiance que se témoignent les participants frappe. Elle questionne aussi par son caractère très affectif. « Certains découvrent avec la Gestalt qu’il est permis de se prendre dans les bras, de pleurer, que l’on peut être écouté quand on parle… Pour certains, c’est révolutionnaire », décrypte la formatrice.

La parole sur soi est libre, parfois un peu abondante, comme en excès après avoir été longtemps retenue. « Il peut y avoir une sensibilité légèrement hystérisante qui pousse à être démonstratif quand on commence un travail, mais c’est une étape et pas la fin de l’histoire »,analyse la thérapeute, qui glisse : « Le travail intérieur le plus important n’est pas toujours le plus démonstratif »…

Élodie Maurot
article original : ici

« Pour ressentir qq chose d’agréable, tapez 2 »

 

Article original ici : Le Comptoir

Pour ressentir quelque chose d’agréable, tapez 2

 

L’extension de l’univers virtuel dans notre chère réalité pousse petit à petit l’humanité à se concentrer sur un seul de ses sens : la vue. Le toucher, le goût, l’odeur autant de choses difficiles à partager sur les réseaux sociaux. Tout n’est alors jugé que dans le seul prisme de ce qui reflète la lumière. L’apparence et la superficialité peuvent ainsi régner en maître.

Difficile en effet de retrouver dans le quotidien urbain des expériences sensorielles agréables si ce n’est celles liées à la vue, et encore, dans l’angle uniquement numérique. La pollution rend l’odeur des villes odieuses. La malbouffe et les sandwichs pris sur le pouce ne nous régalent pas. Le bruit des voitures et des rames de métro devient notre seul horizon auditif. Et le toucher, ce grand absent, est réduit à une simple fonction utilitaire : celle du contact avec un écran plat, froid et rigide. Même la vue hors écrans se limite désormais au gris, aux dérivés noirs et aux pauvres arbres ternes encadrés au sol entre quatre lames de béton.

« C’est le concept même de l’hyperréalité de Baudrillard : finir par croire que la fiction que l’on se raconte est en fait la réalité. »

La surcompensation et le basculement dans l’hyperréalité

Alors pour ne pas déprimer, lorsqu’on veut retrouver du “sens”, on surcompense. On écoute de la musique forte avec des écouteurs hors de prix. On s’endort sur des vidéos d’ASMR. On mange gras, salé, sucré, épicé. On s’achète un chat pour caresser quelque chose d’agréable. On court dans les parcs pour attraper un peu d’air pur, quand on ne s’infeste pas de parfum hors de prix et pourtant intolérable.

Et ce trop, ce tout, finit par devenir la normalité, suivant le même mouvement qui désigne le porno comme une nouvelle norme. Une débauche vulgaire de sensations mal organisées et totalement virtuelles. Sans y prendre garde, cette nouvelle réalité intronise pourtant du factice. C’est le concept même de l’hyperréalité de Baudrillard : finir par croire que la fiction que l’on se raconte est en fait la réalité.

Il suffit pourtant de prendre un peu de repos dans une campagne reculée, de s’asseoir seul en dessous d’un arbre, de rester là, simplement, à écouter, sentir, respirer, pour renouer avec ce qu’est vraiment le tissu du monde.

Et puis subir le retour à la ville. Monter dans une voiture aux odeurs de plastiques infectes. Conduire sur une route cernée par les zones industrielles et les immondes nouvelles zones commerciales. Puis viennent les klaxons, le téléphone… On rentre dans son 20m² qui sent encore le repas de la veille.

Alors comme toute personne normalement constituée, on allume son PC, sa tablette, sa radio et on retourne se noyer de virtualité. On va se branler un peu ou se perdre dans Westeros. On s’allume une clope ou un bâton d’encens. On commande des sushis ou une pizza. Bref, on fait tout pour ne pas voir la triste réalité : nous autres, contemporains, habitons des appartements trop étroits dans des villes encombrées, grises, puantes et nocives ou des zones rurales abandonnées, coincées entre des parkings et des champs plein de pesticides.

« Tout ce qui était là et gratuit, sera désormais accaparé et vendu. »

Le pire dans tout ça, c’est que l’on a retiré tout ce qui était naturellement agréable : le parfum des prés et des forêts, l’horizon des collines vertes, de la mer et des montagnes enneigées, les fruits et légumes du jardin avec leur goût si particulier. On a même retiré les belles architectures pour du béton utilitaire. Tout ce qui était là et gratuit, sera désormais accaparé et vendu.

L’horizon quotidien de nos aïeux est contenu dans une Smartbox ; les centres historiques sont devenus des week-ends en amoureux pour citadins. Les légumes du jardin, des produits étiquetés. Le sexe, des livecam sur Pornhub.

En résumé, le marché a réalisé une grande OPA sur le réel pour confisquer toutes les ressources internes gratuites. Si vous voulez vous sentir bien, vous devez payer. Cela explique sans nul doute une partie du mal-être des précaires, incapables de s’offrir un repos de l’esprit et condamnés aux tourments. Comment alors ne pas comprendre les addictions à bas prix, les drogues, l’alcool, le porno, les jeux vidéos, le sport, les fast-food ?

La révolte des sens

Notre subconscient affamé, torturé devient alors source d’angoisse. Des crises, des larmes, des hauts le cœur nous atteignent sans que nous sachions d’où ils proviennent. C’est notre quotidien que nos âmes poètes ne peuvent plus supporter.

La société apprend à tuer ces réactions, à les faire taire à grand coup d’antidépresseurs s’il faut. Ce mal-être intégral n’est pourtant pas notre ennemi. Il est d’une puissance flagrante et nous pousse à bouleverser notre quotidien. Nous devrions l’écouter.

Apprendre à dire non, cela commence petit à petit. Partout, les campagnes se réveillent et les villes aussi. Les citoyens se mobilisent. De plus en plus de citadins investissent les terroirs oubliés et les paysans comme les citoyens n’attendent plus des solutions verticales pour s’unir entre eux, à l’exemple des Amap. Récemment, les riverains et les zadistes ont ainsi obtenu gain de cause contre un nouvel étalage de goudron et de béton à Notre-Dame-des-Landes.

Ne plus accepter la laideur, ne plus accepter l’asservissement, ne plus accepter la marche d’un monde devenant hideux. Les ressources pour cette résistance ne sont pas dans la fortune, dans les idées, dans la colère, ni même dans nos tripes mais dans nos sens qui crient famine.

Nos Desserts :

 

 

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