vient de paraître : « Cosmopolitiques » par Isabelle Stengers

Un court extrait de l’introduction de l’ouvrage par Isabelle Stengers pour en donner quelques contours et peut-être l’élan de le lire.  » (…) « Cosmopolitiques » se concentre sur les sciences en tant que pratiques scientifiques parce que celles-ci posent des questions telles que : comment l’appartenance à cette pratique fait-elle imaginer, agir ou penser ? A quoi oblige-t-elle ses praticiens ? Mais aussi qu’exige-t-elle du milieu dont elle dépend ? Et ce sont de telles questions qui ouvrent à un possible spéculatif. Si, au lieu de se présenter armés de ces mots d’ordre que sont la rationalité, l’objectivité, la méthode ou les données, les scientifiques qui le peuvent avaient su se présenter en praticiens, la guerre des sciences n’aurait pas eu lieu. (…) La notion de pratique telle que je la propose a ceci de particulier qu’elle affirme la possibilité de leur destruction. Les pratiques sont mortelles. (…) Les praticiens modernes, lorsqu’ils se présentent à un public dit « non compétent », le font aujourd’hui encore avec les mots d’ordre qui ont assuré leur survie : rationalité, objectivité, méthode, en tant que clefs de tout progrès. Ils se présentent comme représentant la Science, qui n’est pas une pratique car elle n’oblige à rien mais permet de revendiquer le respect d’un public appelé à honorer ce progrès dont, qu’il le veuille ou non, il est bénéficiaire. La question posée par « Cosmopolitiques » était : les praticiens scientifiques pourraient-ils devenir capables de se débarrasser des mots d’ordre, de se présenter avec ce qui les oblige ? (…) » Je laisse les commentaire ci-dessous présenter le reste de cet ouvrage. Vous trouverez ci-dessous également un lien qui renvoie vers un extrait du livre.

L’auteure :

Isabelle Stengers, docteur en philosophie, est professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles. Elle est l’auteure de nombreux livres sur l’histoire et la philosophie des sciences, dont, à La Découverte, L’Invention des sciences modernes (1993), Sciences et pouvoir (1997, 2002), Au temps des catastrophes (2009, 2013) et Réactiver le sens commun (2020). Elle a reçu le grand prix de philosophie de l’Académie française en 1993.

Le livre :

 » Pourquoi les sciences modernes n’avancent-elles que sur un mode guerrier : guerre du scientifique contre ses concurrents, du savant contre le « charlatan », du « nouveau » contre l’« ancien » ? Pourquoi les sciences s’affirment-elles sous le jour le plus faux : triomphe d’un savoir enfin objectif, neutre et désintéressé, produit par une démarche méthodique, humble et sereine ? Et pourquoi quand les scientifiques disent leurs rêves et leurs ambitions, est-ce si souvent la spéculation arrogante et la polémique qui s’expriment ? Pourquoi, par exemple, la physique moderne est-elle habitée par la conviction qu’elle seule peut percer l’énigme de ce monde, énigmatiquement intelligible comme l’a dit Einstein ? Peut-on répondre à ces questions sans insulter les passions des scientifiques mais d’une manière qui leur permette d’échapper à « la passion moderne de disqualifier toute pratique qui ne souscrit pas à l’affirmation d’un monde unique » ?
C’est pour répondre à ces questions qu’Isabelle Stengers revisite quelques grands moments de l’histoire des sciences. Si nul d’entre nous n’a le droit de prétendre représenter le « genre humain » ou d’inventer « une utopie qui vaille pour tous les habitants de la terre », nul n’a non plus le droit de raconter cette histoire des sciences dites modernes comme celle de la découverte d’une réalité qui devrait faire autorité pour tous et toutes. Les passions qui habitent cette histoire ne sont pas arbitraires mais singulières, et c’est cette singularité qu’il convient de cultiver s’il s’agit de nous libérer de l’insupportable tolérance de ceux qui prétendent « savoir » envers ceux qui, disent-ils, « croient ».
Les cosmopolitiques d’Isabelle Stengers nous demandent, selon Donna Haraway, de penser, et de prendre des décisions « en présence de celles et ceux qui en porteront la conséquence ». « 

Lire un extrait : https://fr.calameo.com/read/00021502235df94eec3d3

Préface de : Isabelle Stengers
Collection : Les Empêcheurs de penser en rond
Parution : 28/04/2022
ISBN : 9782359252224
Nb de pages : 632

Cynthia Fleury : « Après la crise du coronavirus, il faudra combattre ceux qui vous diront qu’il faudra continuer comme avant »

Et après…. 

par Guillaume Keppenne, paru jeudi 26 mars 2020, original ici.

Qu’est-ce que cette crise sanitaire nous dit du monde dans lequel nous vivons ? Quel sera son impact sur nos modes de vie ? La période que nous traversons serait propice à une réinvention de nos sociétés. C’est en tout cas ce que nous disent les philosophes Isabelle Stengers et Cynthia Fleury.

 » Faire monter au pouvoir une force d’action citoyenne et durable « 

La grande crainte d’aujourd’hui c’est l’enseignement que l’on va tirer de cette crise, le retour d’expérience, selon Cynthia Fleury.  » Comment va-t-on utiliser les leviers nationaux et internationaux pour gérer les prochaines crises. ?  » Le seul pari viable pour réinventer le monde de demain, nous dit-elle, c’est de créer du nouveau plus juste pour

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Cynthia Fleury

que demain soit simplement plus vivable. Cela implique de mettre en place de nouvelles manières de travailler, d’enseigner, de protéger la santé et la recherche.  » En ce moment, il y a un levier pour enfin créer et aimer cette identité européenne forte, un levier pour aimer à nouveau la démocratie. On est en train de redécouvrir que les comportements collectifs nous protègent des vulnérabilités individuelles.  »

Nous sommes donc à un moment philosophique charnière pour l’avenir du monde tel qu’on le connait.  » Il s’agit véritablement de redéfinir le sens que l’on veut donner à notre manière de vivre ensemble sur cette terre. Il va falloir faire monter au pouvoir une force d’action citoyenne et durable. Mais nos dirigeants ont une matrice intellectuelle qui n’est pas celle-ci. Et on va aussi devoir combattre ceux qui vont nous raconter demain qu’il va falloir continuer à faire comme avant.  »

Face à une crise bien plus forte que celle de 2008

Cynthia Fleury déplore le manque de prise de responsabilités à la suite de la crise de 2008. Selon elle, nous avons refusé consciemment ou inconsciemment de penser un autre ordre de régulation de la mondialisation. Nous avons simplement validé la toute-puissance techniciste et économique en continuant le  » business as usual « .  » On fait tout à coup face à une faille dans le système qui peut provoquer une récession bien plus forte que celle de 2008 et encore plus importante que celle du crack de 1929  »

On a souvent dit après la crise de 2008 que les choses ne seraient plus jamais comme avant et on a aussi vu que tout est redevenu la même chose

Pour Isabelle Stengers, nous sommes tous vulnérables, nous le savions. Mais on comptait sur toute une infrastructure pour nous protéger. Or, on se rend compte que tout ce sur quoi nous avions compté est également fort vulnérable, comme c’était déjà le cas en

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Isabelle Stengers

2008.  » Il va falloir prendre des responsabilités et se réapproprier le pouvoir de penser l’avenir. Mais on a souvent dit après la crise de 2008 que les choses ne seraient plus jamais comme avant et on a aussi vu que tout est redevenu la même chose.  »

Faire sens en commun

Isabelle Stengers nous situe dans un moment où on se sent à la fois formidablement connecté aux autres (car les virus profitent de toutes les connexions) et un moment où on se sent terriblement isolé. Isolé au sens où nous ne savons pas si nous pouvons nous fier aux autorités et à ce qu’elles disent. Pour elle,  » Quand on a dit confinement on parlait d’une quinzaine de jours mais on ne savait pas combien de temps ça allait durer. On nous traite comme des gens qu’il faut doucement habituer à la dureté de la situation.  » En cela, la philosophe belge craint de revoir surgir les vieux démons qui ont suivi la crise de 2008.

Si elle reconnait l’apparition d’un sens en commun en restant chez nous et en applaudissant tous les soirs à 20h, ce sens en commun reste partiel et insuffisant pour générer de nouvelles dynamiques. Gare aussi à la déception si l’on faisait passer tous nos espoirs de faire sens en commun à travers cette nouvelle crise car :  » Après 2008 ça a été l’austérité pour tout le monde. Toutes les vieilles logiques, les gens qui ont raisonné et donné le marché des masques de protection à la Chine car c’était bien moins cher, tous ces gens sont restés et resteront probablement au pouvoir. Tout a été fait pour que nous soyons dans une liberté qui s’appelle en fin de compte dépendance. Seuls les activistes se sont donnés les moyens collectifs de ne pas oublier ce qu’il s’était passé.  »

Pour la philosophe belge c’est une question de lutte, il s’agit de refuser de trouver normal ce qu’on nous présente comme normal.  » Je suis devenue politique car je ne peux pas accepter que ceux qui nous gouvernent mentent aussi effrontément et impunément. Il faut faire cesser cette situation d’impunité. Il faut que cela devienne une culture de  » pas d’impunité pour ceux qui font passer des situations cruelles et anormales pour ce qu’il faut bien accepter. Plus de il faut bien. C’est quelque chose qui ne peut se faire que collectivement.  »

Isabelle Stengers est une philosophe belge, auteure de plusieurs livres, comme par exemple :  » Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient.  » Et plus récemment  » Réactiver les sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle  » (La Découverte)

Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeure titulaire de la chaire  » Humanités et santé  » au conservatoire national des arts et métiers à Paris et titulaire de la  » chaire de philosophie à l’hôpital  » au Groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et neurosciences.  » Le soin est un humanisme  » : c’est le titre de son dernier essai (Gallimard)

 

Profession philosophe : Isabelle Stengers, de la science à la sorcellerie

Les Chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth du lundi au vendredi de 10h00 à 10h55 sur France Culture. Les Chemins de la philosophie du vendredi vous emmènent chaque semaine à la rencontre de ceux qui ont fait de la philosophie leur métier.

Profession philosophe (53/74)

Isabelle Stengers, de la science à la sorcellerie

 

La philosophie est-elle une vocation ? Comment viennent les  idées ? Comment se fabrique un concept ? À quoi ressemble l’atelier du  philosophe ? Et quel rôle le philosophe doit-il jouer dans la cité ?

L’invité du jour :

Isabelle Stengers, docteure en philosophie, enseigne à l’Université libre de Bruxelles. indexElle s’est formée avec le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, avec qui elle écrivit son premier livre en 1979, remettant en cause l’autorité de la science. Elle s’attache aujourd’hui à explorer de nouveaux modes de production de savoir, de l’hypnose à la sorcellerie.

À la recherche de la transversalité

À partir de mon intérêt pour la science et avant tout pour la physique, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas d’économie pour comprendre à la fois ce qu’était la physique, ce qu’elle n’était pas, et ce qu’elle ne devait pas essayer d’être. J’ai essayé d’élargir à la question de la production des savoirs, sachant que contrairement à la science moderne, les savoirs sont une catégorie transversale…
Isabelle Stengers

De la chimie à la philosophie

J’ai commencé à étudier la chimie parce que fille d’historiens je voulais aller quelque part où je n’étais pas déjà chez moi. Je voulais rencontrer l’étranger… sauf qu’il m’a intéressée mais ne m’a pas nourrie. J’ai switché vers la philosophie que j’ai d’abord associée à une liberté de poser les questions qu’on sent devoir et pouvoir poser.
Isabelle Stengers

Non pas « la » science, « les » sciences !

Dès qu’on dit « la » science, on fabrique une identité qui recouvre des sciences multiples. Je tends à travailler pour qu’elles prennent leur singularité. L’anthropologie est très différente de la physique, par exemple, il faut parler « des » pratiques scientifiques, leur rapport à la raison sont multiples.
Isabelle Stengers

L’hypnose

Léon Chertok m’a posé cette question : comment se fait-il que l’hypnose ait parfois été reconnue comme la pratique qui allait faire de la psychologie une vraie science, et puis est retombée dans l’enfer des illusions ?
Je me suis rendue compte qu’entre l’hypnose et le titre de science il y avait toute une histoire qui montrait les mauvais tours que joue à une science comme la psychologie le modèle de l’explication scientifique qui a fait succès en physique. Je me suis intéressée à l’histoire de l’hypnose avec Léon Chertok en cherchant en quoi elle ne pouvait que décevoir ceux qui voulaient la science en ce sens-là.
Isabelle Stengers

Sons diffusés :

  • Témoignages de Bruno Latour et Vinciane Despret, archives des Chemins de la philosophie (13/09/2019 et 12/12/2019), France Culture
  • Archive de Ilya Prigogine dans l’émission Les Après-midi de France Culture, 23/01/1978
  • Archive de Foucault dans Les Mardis de la Fondation, 17/03/1987
  • Archive de Léon Chertok dans l’émission Perspectives scientifiques, France Culture, 6/05/1986
  • Extrait du film Le Livre de la jungle, Walt Disney, 1967
  • Chanson de Anne Sylvestre, Une sorcière comme les autres

vient de paraître « Réactiver le sens commun » par Isabelle Stengers

Isabelle Stengers, docteur en philosophie, enseigne à l’Université libre de Bruxelles. Elle est l’auteure de nombreux livres sur l’histoire et la philosophie des sciences, dont, à La Découverte, L’Invention des sciences modernes (1993) et Sciences et pouvoir (1997, 2002). Elle a reçu le grand prix de philosophie de l’Académie française en 1993.

Réactiver le sens commun
Lecture de Whitehead en temps de débâcle

9782359251685 » Opposer les scientifiques à un « public prêt à croire n’importe quoi » – et qu’il faut maintenir à distance – est un désastre politique. « Ceux qui savent » deviennent les bergers d’un troupeau tenu pour foncièrement irrationnel. Aujourd’hui, une partie du troupeau semble avoir bel et bien perdu le sens commun, mais n’est-ce pas parce qu’il a été humilié, poussé à faire cause commune avec ce qui affole leurs bergers ? Quant aux autres, indociles et rebelles, qui s’activent à faire germer d’autres mondes possibles, ils sont traités en ennemis.
Si la science est une « aventure » – selon la formule du philosophe Whitehead –, ce désastre est aussi scientifique car les scientifiques ont besoin d’un milieu qui rumine (« oui… mais quand même ») ou résiste et objecte. Quand le sens commun devient l’ennemi, c’est le monde qui s’appauvrit, c’est l’imagination qui disparaît. Là pourrait être le rôle de la philosophie : souder le sens commun à l’imagination, le réactiver, civiliser une science qui confond ses réussites avec l’accomplissement du destin humain.
Depuis Whitehead le monde a changé, la débâcle a succédé au déclin qui, selon lui, caractérisait « notre » civilisation. Il faut apprendre à vivre sans la sécurité de nos démonstrations, consentir à un monde devenu problématique, où aucune autorité n’a le pouvoir d’arbitrer, mais où il s’agit d’apprendre à faire sens en commun. « 
Collection : Les Empêcheurs de penser en rond
Parution : janvier 2020
ISBN : 9782359251685
Nb de pages : 208
Dimensions : 140 * 205 mm
ISBN numérique : 9782359251746
Format : EPUB
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