« Libérer ou soumettre ? » par Daniel Coum

Dans le dernier numéro de la revue « L’école des parents » , trimestrielle, sur le thème « Quelle école pour demain », Daniel Coum, psychologue psychanalyste à Brest et longtemps directeur des services de Parentel, nous partage son court mais percutant « billet d’humeur » au titre qui « claque » : libérer ou soumettre ? La tendance relativement récente est de vouloir parer l’enfant d’une parole qui aurait poids égal à celle de l’adulte – illusion d’une voie pavée de bonnes intentions au mieux, démission devant la responsabilité des adultes que nous sommes face à eux au pire. L’abandon du « petit d’homme » ainsi actée, la déshumanisation à cet endroit aussi fait son oeuvre. A lire.

Paru dans la revue L’Ecole des Parents  2022/5 (N° 645), original ici. Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur qui a souhaité le rendre accessible au public.

Libérer ou soumettre ?

“ Souvenez-vous qu’avant d’oser entreprendre de former un homme, il faut s’être fait homme soi-même ; il faut trouver en soi l’exemple qu’il se doit proposer. ”

JEAN-JACQUES ROUSSEAU, ÉMILE OU DE L’ÉDUCATION, 1762

Que l’éducation soit nécessaire à l’enfant tient à l’immaturité de ce dernier. Irresponsable, il est également impotent, indolent et infans. Ce n’est pas qu’il « ne parle », ne veuille ni ne fasse, mais que sa parole, tout comme son désir et son acte, reste, le temps de l’enfance, inscrite dans le désir et l’histoire de l’autre, celui ou celle – parent ou éducateur, parent, donc éducateur, éducateur, donc parent – à qui revient la charge de le « conduire hors  du giron familial. L’immaturité constitutionnelle de l’enfant confère à cet autre une responsabilité sans aucune commune mesure : un pouvoir immense, sans limite autre que celle qu’il ou elle s’impose à lui-même ! Car l’enfant ne fait pas objection à la manière dont il est traité, si ce n’est par quelque manifestation de mal-être qui requiert une certaine écoute pour être entendue comme telle. Aussi l’acte éducatif implique-t-il l’exercice d’une responsabilité qui relève davantage d’un art que d’un savoir-faire, dans le sens où la conformité des comportements éducatifs à une méthode ou à une idéologie ne suffit pas à garantir la compétence en la matière.

Tel est le paradoxe de l’éducation : sur la base d’une dépendance quasi totale – elle qui lie nécessairement et salutairement le petit d’homme à au moins un autre –, il s’agit de préparer l’enfant à l’indépendance – toujours relative, mais quand même –, de sorte qu’il s’émancipe de la tutelle dont il a eu un temps besoin pour qu’enfin, le temps venu, il parle, agisse et désire en son nom propre.

Comment la dépendance peut-elle initier à l’indépendance ? L’étymologie nous rappelle la fin – soit l’émancipation – de ce paradoxe, mais sans indication quant au mode opératoire à adopter. D’aucuns n’en ont cure, qui entendent que l’éducation soit l’occasion d’une reproduction à l’identique du modèle précédent et d’une conformité quasi totale de l’impétrant aux exigences auxquelles il est, par statut, soumis. Le formatage de la génération d’après, sous le couvert de l’éducation, vise la prolongation de la société d’avant. La procuration laisse place à la prorogation et les jeunes adultes sont sommés de mettre, quoi qu’il leur en coûte, leurs pas dans ceux de leurs pères. Par soumission ou consentement, il s’agit pour eux d’adhérer à ce qui s’impose à eux : la transmission implique alors une loyauté sans faille et une fidélité idoine au modèle inculqué. La modernité a opposé à cela l’impératif majeur du respect de l’enfant, donc de ses élans spontanés, de sa liberté d’expression et de désir, voire de son droit à l’autodétermination. Au point qu’il est des pratiques éducatives qui, au nom de son intérêt et par conformité à un idéal démocratique difficilement contestable, pensent bon de considérer le petit d’homme comme un interlocuteur à part entière, capable de choix, donc de décision, c’est-à-dire comme une personne comme une autre. Mais pensant ainsi avoir atteint l’objectif avant même d’avoir usé des moyens, les promoteurs de ces pratiques font l’économie de l’éducation pour se débarrasser du paradoxe qu’elle suppose pourtant. C’est, en un mot, mettre la charrue avant les bœufs. Et le résultat est le plus souvent catastrophique : attribuer à l’enfant une responsabilité qu’il ne peut assumer, c’est non seulement se démettre de la responsabilité d’éduquer mais aussi et surtout infliger au petit d’homme une charge démesurément lourde à porter eu égard à son âge, donc à ses facultés. Les troubles que l’on observe actuellement, à teneur principale d’agitation anxieuse, en sont le témoin, pour autant qu’on y entende la valeur symptomatique qu’ils véhiculent avant que de vouloir les réduire à tout prix : la sécurité psychique de l’enfant tient à son besoin fondamental d’être porté avant que de se porter lui-même. Les parents d’adolescents se heurtent aujourd’hui souvent à ce paradoxe lorsque, permissifs par souci de respect pour les supposés besoins de liberté de leurs jeunes prétendants à l’émancipation, ils constatent, en en faisant la douloureuse expérience, la vanité de leur stratégie pourtant généreuse : « Je lui en laisse, de la liberté, mais malgré ça il/elle a trahi ma confiance… »

C’est que liberté ne s’accorde pas, sauf, paradoxalement, à maintenir la tutelle, libérale certes mais tutelle quand même, donc la dépendance ! La liberté ne se donne pas, elle se prend. Elle s’obtient. Elle s’acquiert. L’acte d’émancipation permet à l’adolescent de rompre avec une ascendance parentale devenue encombrante, d’autant plus encombrante qu’elle est complaisante. Prendre son envol tout autant que la parole suppose une trahison : « Je ne suis pas celui/celle que tu voudrais que je sois ! » C’est pourquoi la liberté accordée aux adolescents par leurs parents a le goût sulfureux du message paradoxal du type « Sois autonome ! » : y souscrire revient à obéir, donc à désobéir, donc à se soumettre, etc. Face à l’impasse, pas d’autre issue que la rupture, parfois brutale ! Aussi l’éducation, ce métier impossible, disait Freud, est-elle davantage affaire de prévention que d’objectif à atteindre. Il s’agit d’éviter de tomber dans l’un ou l’autre excès, « le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l’interdiction  ». À l’éducateur de trouver sa propre voie. À l’éduqué d’y conquérir la sienne !

Notes

  • [1]Est-il encore utile de rappeler que l’étymologie du mot éducation – ex duco, « conduire hors de » –  indique l’essentiel ?
  • [2]Sigmund Freud, « Éclaircissements, applications, orientations », 1915-1917, Nouvelles Conférences sur la psychanalyse(Gallimard, 1971).

Visio-conf « De quels parents les adolescents ont-ils besoin? » avec Daniel Coum

vient de paraître : « Le psychologue, Pour une clinique du Sujet en institution »

Argument : « Les psychologues cliniciens qui exercent en institution voient leurs pratiques et leurs références théoriques mises en question par les exigences de l’époque : la gestion, l’évaluation et la marchandisation des prestations, qu’elles soient sociales, sanitaires, éducatives, thérapeutiques ou psychologiques. Cette confrontation au discours contemporain vient interroger, sur le plan déontologique, l’aptitude du clinicien à ne pas s’y soumettre totalement. »

Paru aux Editions PUR Presse Universitaire de Rennes

Nombre de pages : 158 p.
Prix : 23,00 €

« Impacts sociaux, impacts éducatifs : quelle éducation au temps du Covid ? » avec D.Coum et F.Dubet

Conférence avec François Dubet et Daniel Coum

le jeudi 19 novembre à 16h, par zoom (lien d’inscription ci-dessous)

« Impacts sociaux, impacts éducatifs : quelle éducation au temps du Covid ? » avec Daniel Coum, psychologue clinicien spécialiste des liens familiaux, et François Dubet, sociologue de l’éducation.

Description : Nous le constatons chaque jour dans nos territoires, l’École française, malgré l’engagement de ses acteurs, peine à réduite les inégalités sociales. La crise du COVID et les longues semaines de confinement au printemps 2020 semblent malheureusement avoir renforcé ce constat. Si les apprentissages ne semblent pas avoir été les plus affectés, la dimension sociale et fédératrice de l’école en a été affectée. A cette année scolaire extraordinaire s’est ajouté un été particulier qui a vu de nombreuses familles se détourner de leurs fonctionnement social traditionnel : départ en vacance, fréquentation des centres de loisirs… À l’évidence, le fonctionnement de l’École est loin de se normaliser, il reste encore dégradé et beaucoup de professionnels, de familles et d’enfants doivent s’adapter à un fonctionnement de l’École, des activités périscolaires, sportives, culturelles qui rend difficile une concentration est un engagement total dans l’activité.

A l’occasion de cette conférence, nous proposons de nous interroger sur ce que révèle et génère la crise du COVID sur les acteurs éducatifs, tant d’un point de vue pédagogique que psychologique et quels sont les leviers pour penser autrement et utilement les réponses des acteurs éducatifs pour les jeunes et leur famille .

Quand : jeudi 19 novembre à 16h

Inscriptions : https://us02web.zoom.us/webinar/register/WN_tOdi_llVRfG9vyweKHfZbw

« Le confinement – et ses suites : traumatisme ou opportunité ? » par Daniel Coum

 

Un excellent article de mon collègue Daniel Coum. Le regard que nous portons sur les situations, sur les personnes, les « configurent ». Les semaines du confinement ont fait surgir discours prophétiques versant catastrophe du côté « psy ». Et si nous faisions un pas de côté?

 

Contribution : Le confinement – et ses suites :

traumatisme ou opportunité ?

Original paru dans Espace Ethique Bretagne. , Juin 2020

Parce que la crise sanitaire fut de l’ordre de l’inédit, nous n’avons cessé d’essayer de saisir quelque chose du sens qui pouvait s’en dégager pour ne pas rester collé ni à une appréhension réduite aux protocoles sanitaires de protection contre la contamination par le virus ni aux généralisations abusives et simplificatrices d’une complexité dont nous n’avons pas encore fini de dénouer les fils ni de tirer les enseignements.

La pandémie nous a renvoyé en plein visage l’inéluctable de notre vulnérabilité et la vanité de notre déni de la maladie et de la mort. Et l’injustice qu’il, cet inéluctable, suppose. Le mythe d’une puissance indexée sur notre maitrise du monde et des objets ou d’une possible satisfaction de notre insatiabilité par l’hyperconsommation de tout choit. Et nous avons été contraints, pour nous sauver, de renoncer à la jouissance sans limite et, en premier lieu à celle de se déplacer et de se toucher.

Et l’on ne peut se contenter d’en être le témoin et si possible l’analyste. Il se trouve que notre propos s’ancre dans une expérience qui d’être vécue et non pas « scientifique » (au sens des exigences académiques actuelles dont la crise aura au moins révélé la relativité) n’en a pas moins de légitimité à se faire entendre. Elle s’appuie sur quelques trente années de pratique clinique en institution ainsi que de recherche et d’enseignement à l’université1.

La famille comme ressource ? A quel prix ? 

Le confinement, décrété mesure princeps de la lutte contre la pandémie, a assigné à résidence la population quasi entière du pays dans le déni de ce que sa réussite supposa l’engagement obligé des parents, sommés de rester à la maison et d’y maintenir leurs enfants. Aussi leur a-t-on imposé d’être tout à la fois eux-mêmes, c’est-à-dire homme ou femme, mais également père et mère, salariés au chômage ou en télétravail, animateurs des loisirs d’une progéniture intrépide et enseignants à part entière d’une génération confinée donc déscolarisée.

Être « tout » pour son enfant, voilà ce à quoi les parents ont été unanimement convoqués, de fait, sans que leur avis leur soit demandé, condition sine qua non de la réussite du confinement et dans la méconnaissance des effets de celui-ci sur la parentalité elle-même. Comme si cela allait de soi! Comme si telle était la fonction des parents, être tout pour son enfant !

Nous soutenons a contrario2 que le confinement contrevient à la loi humaine qui préside à l’avènement et au développement des liens familiaux tout au long de la vie dont le principe structurel est éminemment centrifuge. En effet la fonction parentale structure le rapport des parents à l’enfant sur le mode de l’ouverture au monde sur fond d’attachement. En cela, ce dernier est, pour l’enfant, un moyen d’émancipation et non un but en soi. Telle est donc l’essence même de la parentalité : non pas avoir un enfant mais former un citoyen ! L’investissement parental dont l’enfant est l’objet n’a pas pour fonction de maintenir l’enfant attaché à ses parents mais de créer les conditions de possibilité de son « aller vers » le monde. A défaut de quoi la famille dont on vante tant les mérites n’est plus une ressource mais un handicap !

Dès lors, l’on comprend que le confinement fut, dans son principe et alors même qu’il s’appuyait sur la capacité des parents de le mettre en oeuvre, antinomique avec la fonction fondamentale des parents ! Aussi les adaptations – et leur cohorte de modalités de vivre cette situation singulière – sont-elles à interpréter au regard de ce principe : il fut demandé aux parents de réaliser l’impossible et aux enfants de s’y soumettre.

La famille, ou ce qui en tient lieu, devient dès lors la variable d’ajustement de la gestion d’une insuffisance de lits de réanimation et les parents les chevilles ouvrières obligées d’un confinement prescrit. Tant pis pour les dégâts collatéraux subjectifs et sociaux ! Nous les avons observés après les avoir, sans grande difficulté, prédits : dépressions ; épuisement parental ; exacerbation des tensions conjugales et des violences intrafamiliales dont les femmes sont les premières victimes et les enfants les impuissants otages lorsqu’ils ne les subissent pas directement ; rupture des liens familiaux pour les enfants placés, les personnes incarcérés, les résidents d’EHPAD… Car la promiscuité domestique, l’endogamie relationnelle, l’entre-soi familial fut, pendant trois mois, la règle, dans la méconnaissance radicale de ce que si la famille est une ressource elle peut également être un handicap. Nécessaires liens familiaux ? Bien sûr ? A la condition de s’en sortir ! Il faut s’en servir pour pouvoir s’en passer. S’en nourrir pour s’en sortir, au sens propre comme au sens figuré. Mais comment le faire sans sortir ?

D’aucuns s’en sont accommodés ! D’autres ont payé cher le prix de la contrainte d’une promiscuité transgressive d’un besoin fondamental de se séparer : violences conjugales, mauvais traitements à enfants, révoltes adolescentes en furent les symptômes saillants… Si la mise à distance physique de l’autre fut la règle, elle ne concerna que l’autre de l’extérieur, celui qui seul rend pourtant possible une émancipation à laquelle tout un chacun aspire comme moyen d’échapper aux liens familiaux nécessaires un temps mais possiblement aliénants s’ils persistent outre mesure.

Pour autant, ce serait une erreur de faire de ces excès une généralité. A regarder au plus près de ce qu’en disent les parents et les adolescents, la diversité des expériences vécues fut la règle qui empêche toute généralisation, le cas échéant inévitablement abusive, sur ce que les parents et leurs enfants ont vécu. Le confinement ne fut pas traumatique pour tout le monde.

Les psy au chevet des parents : qui a besoin de qui ? 

Le confinement ne fut pas cependant pas l’occasion d’un « vécu de sidération traumatique » généralisé comme le soutient notre illustre collègue, Serge Tisseron, psychiatre spécialiste du bon usage des écrans, dans un récent article publié dans les ASH. Il n’est pas le seul. Le catastrophisme ambiant et ostentatoire fut de bon ton pour justifier la floraison de multiples dispositifs d’écoute téléphonique (sic) d’aide psychologique (parfois même bénévole et gratuite !) prétendant traiter, sinon prévenir, le pire annoncé3. Mais l’annonce du pire ne crée-t-elle pas les conditions de son apparition ? Sur quelle réalité observée s’appuie-t-on pour affirmer qu’il faudra lors du déconfinement, recréer du lien, comme s’il n’y en avait pas eu le temps du confinement ? Et quand les psy de tout crin se précipitent, non sans opportunisme, au chevet des familles confinées avec comme seul et unique argument leur conviction d’être nécessaires, ne dit-on pas implicitement aux parents qu’ils sont incapables de faire face ? Alors, psychologues et psychanalystes – ce sont parfois les mêmes – se mobilisent pour aider la population à supporter l’épreuve, peut-être même à en tirer quelques enseignements… Pourquoi pas ? Mais n’est-il pas attendu d’eux également qu’ils fassent avaler aux sujets la pilule amère d’une politique de mesures exceptionnelles de restriction des libertés publiques, de surveillance généralisée et de violence symbolique faite, en les clôturant sur eux-mêmes, aux liens familiaux Et au final, qui a besoin de qui ? Les psychologues et psychanalystes, qu’ils soient salariés du secteur public ou des établissements à gestion associative se sont convoqués au chevet d’un lien social non seulement malade ou éprouvé, mais également maltraité par les mesures qui sont prises à son encontre, pour son bien ! D’être « au chevet de… » confirme au demeurant l’essence même du travail dit « clinique » des psychologues et des psychanalystes. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont toujours fait puisque tel est le principe même de leur fonction sociale. Et en cela, ils ne peuvent, fondamentalement, qu’être les agents d’une objection radicale faite à tout politique « socio et psycho-cidaire », qu’elle soit mise en oeuvre par les sujets eux-mêmes (l’on sait depuis Freud que nous pouvons être nos propres tyrans !), par les institutions privées ou par les politiques publiques. La clinique analytique telle que la pratiquent les psychologues est, foncièrement, subversive de l’ordre établi en ce que celui-ci tend toujours, plus ou moins violemment, à assujettir les citoyens ! Ce qui suppose sinon une méfiance tout au moins une distance d’avec ce qui nous est intimé de faire…

Confinement : ceci n’est pas un traumatisme ! 

Quoi qu’il en soit, pour ce que nous avons pu observer, les difficultés parentales ne furent jamais que celles qui étaient déjà là avant la crise sanitaire et que le confinement n’a fait qu’exacerber. Si nous soutenons que la mesure de confinement est antinomique au principe anthropologique de la parentalité, cela ne présuppose nullement l’incapacité des parents et de leurs enfants, qui ne manquent pas de ressources si l’on veut bien les leur reconnaître et, si besoin, les soutenir, d’y faire face. Tous les parents n’ont pas besoin d’un psy à leur chevet !

Aussi, user voire abuser de la référence au vécu traumatique revient-il, pour le moins, à méconnaître ce qu’est le traumatisme : il n’est pas fonction de l’événement mais de la manière dont cet événement est éprouvé, d’une part, et interprété, d’autre part, par le sujet. Ce qui est, l’on en conviendra, aussi variable qu’il y a de personnes concernées. A telle enseigne que la diversité des vécus en la matière fait à l’évidence objection à la thèse pourtant souvent véhiculée d’un « confinement traumatique pour tous » ! Et nous pouvons fournir moult témoignages de personnes qui ont pu apprécier d’avoir à vivre cette pause obligée, subie puis consentie, temps d’arrêt soudain mais salutaire dans une frénésie d’activités chronophages, d’interactions superficielles voire toxiques, au travail ou ailleurs, de consommation de tout à outrance. Pour ceux-là, et ils sont plus nombreux que les média officiels et leurs experts patentés le laissent entendre, le confinement aura été une occasion de créer de nouvelles modalités d’être en relation avec l’autre et avec soi-même. Et nous avons également pu accompagner des enfants qui se sont, par exemple, restaurés de la présence en continu de leurs parents, singulièrement moins « pris » par les contraintes d’une activité professionnelle captivante. Des adolescents se sont dits soulagés de ne plus souffrir la pression dénarcissisante d’une scolarité contrainte. D’autres enfants, dits placés, ne se seront jamais autant sentis inclus dans leur famille d’accueil, participant pleinement et durablement des liens familiaux resserrés par la nécessité d’une cohabitation que ni l’école ni les visites aux parents ne venaient rompre. Certains enfants accueillis auront pu même apprécier, plus ou moins secrètement, les effets bénéfiques d’une suspension des visites à leurs parents (et réciproquement!) suspension qu’ils appelaient de leur voeu sans pouvoir en assumer le désir. Le contexte aura décidé pour eux.

La crise sanitaire aura donc été, pour une partie de la population, une crise salutaire.

La sortie du confinement et la question du lien 

Et l’enjeu du déconfinement serait-il, comme nous avons pu le lire également, de recréer du lien ? De fait, à ce qu’en disent les parents autant que les professionnels du soin en charge de soutenir voire de soigner les liens et que nous écoutons tous les jours depuis deux mois parler du confinement, du lien et des liens, il y en a eu ! Même trop parfois ! Certes ils étaient « confinés » dans les limites du cercle familial, c’est-à-dire concentrés et circonscrits… Mais ils n’auront, d’un certain point de vue, jamais été aussi denses, intenses, omni-présents, jusqu’à l’excès parfois ! De sorte que l’enjeu du déconfinement n’est pas, selon nous, tant de « créer » du lien que d’étendre à nouveau, de manière volontaire et avec soulagement, ou au contraire sous contrainte et non sans quelques angoisses supplémentaires, le réseau relationnel de chacun. Il s’est agi, dès le 11 mai, de sortir de l’étroitesse des liens vécus, entretenus et devenus à ce point familiers que le déconfinement aura été et est encore au jour où nous écrivons, pour certains, une nouvelle épreuve de séparation. Alors même que pour d’autres (les adolescents particulièrement, mais pas tous) le déconfinement aura sonné le glas, avec soulagement, d’un trop plein de liens familiaux. C’est selon ! Non que ceux-ci n’aient pas été en lien pendant deux mois ! D’aucuns ont pu se plaindre de n’avoir pas pu s’isoler plus souvent ! Et pour échapper à l’excès de lien que la promiscuité familiale imposait, ils se sont évadés jusqu’à plus soif sur les réseaux virtuels, entretenant une sociabilité intense quoiqu’imaginaire, parents et enseignants faisant fi, pour l’occasion, des préconisations du bon usage des écrans !

Quant à ceux pour qui cette promiscuité relationnelle et affective fut insupportable ils portent témoignage des effets délétères d’un excès – et non d’une absence – de liens. Ceux-là apprécieront l’échappatoire que leur offre le déconfinement. Enfin seul ! Et toutes les personnes âgées n’ont pas souffert de l’absence de « sollicitations » parfois ordinairement pressantes (pour ne pas dire violentes) de leur descendance désormais nommés « aidants » familiaux. Et réciproquement ! Tous les liens ne sont pas aidants…

De la même manière, nous doutons de la justesse de l’affirmation, lue ailleurs, selon laquelle le « collectif a, durant le confinement, été brisé » et qu’il faudra le réparer. Mais de quel « collectif » parle-t-on ? Celui de l’entreprise ? De la nation ? De la famille ? En ces temps d’individualisme forcené, ces collectifs n’existent plus depuis longtemps quoiqu’ils renaissent de leurs cendres lorsqu’il s’agit de s’unir pour faire face à un ennemi commun. Cela aura été le cas, pour faire front à la menace de la contagion, dans certains milieux. Doit-on rappeler ici que de belles solidarités se sont, à cette occasion, créées et/ou manifestées de manière admirables ? Elles furent spontanées (cf. les mouvements de foule de 20h), organisées (les concerts réunissant par la magie de la télé-vision des centaines d’artistes professionnels ou amateurs à travers le monde) ou instituées (cf. la mobilisation des soignants). Notons à cet égard que les professionnels des institutions éducatives et médico-sociales – dont on parle trop peu – ont fait preuve d’une exemplarité remarquable en matière de mobilisation collective ! Rien de « cassé » en l’occurrence dans ces collectifs-là. Au contraire, des inventions sociales à préserver et à prolonger comme alternatives aux erreurs que l’on gagnerait à ne pas reproduire !

Une réalité plus complexe qu’il n’y parait 

Donc, pour avoir travaillé ardemment ces deux derniers mois à essayer de comprendre ce dont les familles, et les professionnels qui les accompagnent, ont fait l’expérience à l’occasion de cette crise sanitaire qui fut, pour tous, une épreuve diversement appréhendée, nous ne pouvons qu’insister sur la complexité, la diversité et la singularité des expériences vécues, donc sur la difficulté voire l’impossibilité de prévoir la trace que ce confinement va laisser dans le psychisme des enfants, des adolescents et de leurs parents ! Aussi est-il hasardeux de prétendre extraire de cette période traversée et encore active quelque vérité que ce soit quant à la conduite à tenir, surtout en présupposant l’existence d’un traumatisme généralisé. Le faire pose inévitablement question. Car il n’est pas impossible que le confinement s’avère avoir été, pour certains enfants et certains adultes, et malgré tout, une expérience enrichissante que le déconfinement leur permettra de mettre à profit à la condition que ce profit ne soit pas méconnu. L’avenir nous le dira. Et si nous y pouvons quelque chose, il s’agira moins de prescrire que d’accompagner !

 

Daniel Coum, psychologue clinicien et psychanalyste. Directeur des Services de l’association Parentel. Maitre de conférences associé en psychopathologie au département de psychologie de l’UBO. Auteur de : Repères pour le placement familial, Erès, 2017 ; Paternités : figures contemporaines de la fonction paternelle, Presses de l’EHESP, 2016 ; Faire famille au temps du confinement, et en sortir…, YAPAKA, 2020. Direction d’ouvrage : Au-delà de l’amour et la haine dans les liens familiaux, Erès, 2020.

 

NOTES

1 En 1989, naissait Parentel. Nous nous faisions fort, à l’époque, de développer une pratique clinique d’orientation psychanalytique, au téléphone, auprès des parents en difficulté avec un enfant. L’expérience, les milliers de consultations réalisées, les élaborations théoriques auxquelles celles-ci ont donné lieu et l’affutage constant de notre outil de travail (c’est-à-dire nous-mêmes !) nous permettent de porter témoignage de la pertinence et de l’efficacité d’un tel dispositif. Celui-ci donc confirme nos hypothèses : au téléphone, le travail clinique est possible, mais pas à n’importe quelles conditions ! Renseignements sur www.parentel.org

2 Nous avons développé cette analyse dans un article publié sur le site de nos amis belges : https://www.yapaka.be/livre/livre-faire-famille-au-temps-du-confinement-quelques-points-de-repere, à paraitre en version papier sous le titre Faire famille au temps du confinement, et en sortir en juin 2020

3 Nous en avons dit quelque chose dans un papier publié sur le site de l’Appel des Appels auquel l’on peut se reporter : http://www.appeldesappels.org/tam-tam/etre-psy-au-temps-du-confinement-familial-daniel-coum-2019.htm

 » Être « psy » au temps du confinement familial « , par Daniel Coum

Matière à « mâchouiller » par un collègue que j’apprécie.

Être « psy » au temps du confinement familial

par Daniel Coum

Original paru ici.

Nous faisons aujourd’hui, à grand frais, l’expérience de nos fragilités. Le monde dans lequel nous vivons, pour l’avoir conçu et y avoir placé nos enfants, bute Unknown.jpegsur un virus, révélateur de notre vulnérabilité de structure. Nous sommes mortels ! Sans doute la surexposition médiatique quotidienne du décompte des victimes contribue-t-elle à alimenter une panique dont on peut espérer qu’elle serve, a minima, à une prise de conscience de l’urgence d’agir pour prévenir les crises à venir. Mais la panique qui saisit le monde postmoderne n’est peut-être que le symptôme de la mise en berne de nos fantasmes d’absolu, d’éternité et d’illimité qui se heurtent au réel de la maladie et de la mort. Peut-être consentirons-nous à ce qu’il – le virus – survienne comme un signal d’alarme, un rappel à la loi humaine, comme un salutaire avertissement. Car si on continue ainsi cela pourrait bien être pire !

Certes nous aurions gagné à être mieux préparés à amortir le choc. Sans doute le démantèlement du service public et l’application consciencieuse du principe économique de rentabilité en lieu et place de toute autre considération (humaine, éthique, écologique) ne font qu’amoindrir nos aptitudes à traiter la crise sanitaire. Le tri des contaminés à sauver en est le triste témoignage. L’absence de limite à notre désir collectif d’avoir accès à tout le monde, partout dans le monde, sans restriction, nous revient en boomerang sous la forme d’une menace globalisée et de notre impuissance à y faire face. Aussi, le traitement politique de la crise sanitaire – le confinement, la pénurie de masque, les tergiversations autour de l’usage de la chloroquine, etc. – se révèle-t-il n’être que la manifestation pathétique d’une tentative de masquage de l’indigence de notre système de santé et du paradigme gestionnaire qui le gouverne. Le confinement, dit-on, trouve sa légitimité dans la nécessité de sauver des vies ? Mais que s’agit-il de sauver en fait ? L’incurie de notre système de santé au bord de l’apoplexie ou ses potentiels utilisateurs dont on sait qu’ils doivent, pour 80% d’entre eux, contracter la maladie de sorte d’en immuniser la population entière ?

La solidarité, l’appel aux dons, la générosité voire le sacrifice de certains professionnels, prennent opportunément le relais d’une politique de gestion de la pénurie… Tant mieux et tant pis. Car il se pourrait que ces adaptations de fortune, pour utiles qu’elles soient à la population – on redécouvre la nécessité d’une solidarité de voisinage, de quartier, de nation… – n’aient comme effet paradoxal que la sauvegarde d’une certaine vision, économique, consumériste et désormais numérique, du monde, dès lors maintenue en l’état voire confortée pour avoir été secourue alors même qu’elle a fait la preuve sinon de sa dangerosité tout au moins de sa vanité.

Et l’on ne peut se contenter d’en être le témoin et si possible l’analyste. Il se trouve que notre propos s’ancre dans une expérience qui d’être vécue et non pas « scientifique » (au sens des exigences académiques actuelles dont la crise aura au moins révélé la relativité) n’en a pas moins de légitimité à se faire entendre. Elle s’appuie sur quelques trente années de pratique clinique en institution ainsi que de recherche et d’enseignement à l’université1.

Pour illustrer ce risque, notre analyse s’en tiendra à l’examen de deux dimensions de cette crise à savoir ses effets sur les liens familiaux, d’une part, et sur le métier de psychologue d’autre part.

La famille comme ressource : à quel prix ?

La mesure de confinement s’applique drastiquement, à ce jour et pour quelques semaines encore, dans le déni assumé par le pouvoir politique des risques encourus par les familles d’une telle prescription généralisée. La fin justifiant les moyens, sauver des vies (ou le système de santé précarisé ?) s’élève en impératif catégorique sur lequel le pouvoir s’appuie pour installer une politique féroce de privation de liberté de déplacement, d’isolement des individus, de repli de la cellule familiale sur elle-même, à n’importe quel prix ! « Restez chez vous ! » nous dit-on. Encore faut-il avoir un « chez soi » !

La famille, ou ce qui en tient lieu, devient dès lors la variable d’ajustement de la gestion d’une insuffisance de lits de réanimation et les parents les chevilles ouvrières obligées d’un confinement prescrit. Tant pis pour les dégâts collatéraux subjectifs et sociaux ! Nous les observons désormais après les avoir, sans grande difficulté, prédits : dépressions ; épuisement parental ; exacerbation des tensions conjugales et des violences intrafamiliales dont les femmes sont les premières victimes et les enfants les impuissants otages lorsqu’ils ne les subissent pas directement ; rupture des liens familiaux pour les enfants placés, les personnes incarcérés, les résidents d’EHPAD… Certes, à quelque chose malheur est bon ! Et de belles inventions peuvent, ici ou là se manifester à la faveur du brandissement d’un impératif catégorique qui, dès lors, tient lieu de référence collective. Mais les adaptations réussies qui permettent à certains de découvrir les joies du confinement dans un « entre-soi » magnifié, quel qu’il soit, ne sont-elles pas la vitrine, mise en avant par les nouveaux adeptes de la méthode Couet, d’une misère sous-jacente, sociale en général et familiale en particulier, provoquée et invisibilisée ?

Les parents, chevilles ouvrières prises en otage d’une stratégie gouvernementale d’assignation généralisée à résidence sont convoqués à cette place particulière de devoir mettre en œuvre une politique sanitaire dont la réussite repose sur un consentement… qui ne leur a pas été demandé. Comme s’il allait de soi ! Or ce n’est pas tant l’exercice d’une responsabilité ordinaire qui est sollicitée qu’un hyper-engagement de circonstances qui renforce l’exigence de réussite à laquelle ils sont habituellement soumis : il leur fallait réussir son couple, sa famille et l’éducation de ses enfants ! Il faut maintenant qu’ils réussissent leur confinement non seulement en s’occupant de leurs enfants 24h/24 et 7j sur 7 mais également en palliant les effets présumés délétères de la rupture dans la scolarité de leur progéniture en s’improvisant maitres d’école ! Plus que jamais le parent est condamné à échouer. Il l’est ordinairement et nous avons pu élever, fidèle en cela aux enseignements freudiens, au rang de « compétence » l’aptitude des parents à supporter d’être « inadéquats ». Mais une souffrance insidieuse s’immisce dans le cœur des parents lorsqu’il leur est demandé de réussir et que tout effort pour y parvenir est contrindiqué.

Alors, psychologues et psychanalystes – ce sont parfois les mêmes – se mobilisent pour aider la population à supporter l’épreuve, peut-être même à en tirer quelques enseignements. Pourquoi pas ? Mais n’est-il pas attendu d’eux également qu’ils fassent avaler aux sujets la pilule amère d’une politique de mesures exceptionnelles de restriction des libertés publiques, de surveillance généralisée et de violence symbolique faite, en les clôturant sur eux-mêmes, aux liens familiaux dont, faut-il le rappeler, le principe tient à ce qu’ils président à l’émergence de l’humain, la formation du sujet tout au long de la vie à la seule condition que l’enfant puissent, l’âge venu, s’en extraire ? Car le confinement des enfants en général et des adolescents en particulier dans la, dès lors trop bien nommée, « cellule » familiale contrevient en tout point à la loi humaine qui structure une sociabilité spécifique où l’attachement ne se met en œuvre, à la faveur de sa limitation, que comme moyen d’émancipation.

Mobilisation des « psys » : qui a besoin de qui ?

Les psychologues et psychanalystes, qu’ils soient salariés du secteur public ou des établissements à gestion associative sont donc convoqués au chevet d’un lien social non seulement malade ou éprouvé, mais également maltraité par les mesures qui sont prises à son encontre, pour son bien ! D’être « au chevet de… » confirme au demeurant l’essence même du travail dit « clinique » des psychologues et des psychanalystes. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont toujours fait puisque tel est le principe même de leur fonction sociale. Et en cela, ils sont, fondamentalement, les agents d’une objection radicale faite à une logique « socio et psycho-cidaire », qu’elle soit mise en œuvre par les sujets eux-mêmes (l’on sait depuis Freud que nous pouvons être nos propres tyrans !), par les institutions ou par les politiques publiques. La clinique analytique telle que la pratiquent les psychologues est, foncièrement, subversive de l’ordre établi en ce que celui-ci tend toujours, plus ou moins violemment, à assujettir les citoyens !

Elle est encore davantage, subversive, lorsque les décisions politiques, bien qu’exceptionnelles et, espérons-le, temporaires, mettent à mal ce qu’ils ont pour mission de préserver, sauvegarder et, si nécessaire, soigner, soit la psychè humaine dont nous savons depuis belle lurette qu’elle nait et se nourrit, tout au long de la vie jusqu’à la fin, d’un lien social ouvert.

Mais ne travaillons-nous pas à la dévalorisation de notre propre fonction cardinale et de notre propre utilité sociale lorsque certains d’entre nous croient bon d’affubler, en la circonstance, le titre de psychologue, face à l’urgence de la crise sanitaire, du qualificatif de « solidaire » voire même de « bénévole » empruntant sans vergogne à la novlangue de la bienveillance et de la positivité ! Tout se passe comme si la valeur ajoutée par la qualité supplémentaire mise en exergue – solidarité, bénévolat, gratuité… – était nécessaire pour légitimer la nécessité d’un métier et d’une compétence qui ne se suffiraient pas à eux-mêmes. Que les lignes bougent pour adapter nos pratiques à l’urgence de la crise et la nouveauté de l’événement et de ses conséquences, certes, mais jusqu’où ?

Car ce faisant, ce mouvement spontané et généreux, cette précipitation à vouloir « aider » tous azimuts et à tout prix ceux dont on présuppose l’urgence et l’évidence du besoin, interroge la motivation des promoteurs de dispositifs pour le moins opportunistes. Nous craignons que ceux-ci, par leurs initiatives intempestives et sans concertations, contribuent à fragiliser l’existant et les combats menés de longue date pour une plus juste reconnaissance institutionnelle de l’importance d’un métier spécifiquement attaché à la naissance, à la sauvegarde et au traitement de la vie psychique. Outre que ce mouvement brouille les cartes d’une prestation nécessaire mais exigeante quant à ses conditions de possibilité de mise en œuvre, il alimente la tendance, toujours prête à se renforcer, du ravalement d’un métier et d’un service du côté de la charité, du dévouement et du don de soi… c’est-à-dire de l’ordinairement accessoire et de l’exceptionnellement nécessaire… à la condition que cela soit bénévole et solidaire ! Peut-être même contribue-t-il à aliéner en la dévoyant une expertise pour la mettre, comme au temps d’Edward Bernays, au service d’une politique d’assujettissement de la vie psychique et sociale. A quoi ? A une gestion néolibérale des institutions de soins (hôpitaux psychiatriques, CMPP, etc.) ; aux mesures d’exception légitimant sinon légalisant les privations de liberté, la contention chimique ou physique des personnes âgées dans les EHPAD ou des enfants dans les familles d’accueil et les foyers ; à l’exploitation abusive de la force de travail des soignants ; à la violence faite aux liens familiaux, etc. Si le peuple doit souffrir (voire mourir), que cela soit dans la sérénité ! « Les psychologues-pompiers, coachs experts et autres pourvoyeurs de positivité vont vous aider, bénévolement, généreusement, gratuitement, pour rien, à mieux le vivre ! » Surtout pas de révolte ! Les psychologues cliniciens, alors même qu’ils peuvent prétendre s’orienter de la psychanalyse, se feraient dès lors – servitude volontaire oblige – les instruments d’un pouvoir politique qui travaille à détruire ce qu’ils sont supposés préserver : la vie psychique et sociale, en se cachant derrière le masque du « faire le bien de l’autre ». Nous nous ne manquerions dès lors pas de nous plaindre des maux dont nous sommes sinon la cause tout au moins les complices !

Et nous nous étonnons qu’au radicalisme passé des plus orthodoxes d’entre nous succède, chez bon nombre d’entre eux, une sorte de ramollissement des exigences quant aux conditions d’exercice : les « cures » brèves, le bénévolat, l’écoute téléphonique (sic) gratuite, les cellules d’aide psychologique d’urgence, les séances par Skype, les cyber-consultations, etc. semblent n’être plus l’objet d’aucun questionnement critique quant à la compatibilité déontologique et éthique entre une dérive progressive des modes opératoires et la rigueur d’un cadre propre à l’exercice d’un métier hautement qualifié. On en arriverait même à oublier que le salutaire travail d’élaboration subjective ne se réalise efficacement que dans l’après-coup, à la condition du transfert, et pour autant qu’il y ait eu une demande !

L’on ne doit dès lors par être surpris que les dispositifs opportunistes de soutien « psychologique » aux familles, pratiquées par des infirmiers, des travailleurs sociaux et autres quidams de bonne volonté (comme si une aide médicale pouvait être dispensée par des non-médecins !), fleurissent sans précaution, au risque de faire durer la confusion dont ils procèdent, la fin de l’urgence justifiant, là également, la dérive des moyens.

Notre inventivité de l’époque nous a valu, depuis lors et encore récemment d’ailleurs, quelques critiques acerbes au sein même de nos cercles de travail : « quand même, il ne peut pas y avoir de travail clinique au téléphone ! » avons-nous souvent entendu dire de la part de ceux qui jugent aujourd’hui opportun de proposer à leurs patients des séances… par téléphone ! Et nous nous retrouvons désormais, avec quelques autres, à rappeler, comme nous l’avons toujours fait d’ailleurs, la nécessité du strict respect du cadre éthique et déontologique (à ne pas confondre avec le dispositif) comme condition de possibilité de notre exercice clinique, y compris et surtout au téléphone.

Daniel Coum
Psychologue clinicien
Psychanalyste
30.03.2020

1 En 1989, naissait Parentel. Nous nous faisions fort, à l’époque, de développer une pratique clinique d’orientation psychanalytique, au téléphone, auprès des parents en difficulté avec un enfant. L’expérience, les milliers de consultations réalisées, les élaborations théoriques auxquelles celles-ci ont donné lieu et l’affutage constant de notre outil de travail (c’est-à-dire nous-mêmes !) nous permettent de porter témoignage de la pertinence et de l’efficacité d’un tel dispositif. Celui-ci donc confirme nos hypothèses : au téléphone, le travail clinique est possible, mais pas à n’importe quelles conditions ! Renseignements sur www.parentel.org

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Colloque « La place des pères », UNAF, octobre 2018, Paris

La question des pères, de leur rôle et de leur place dans les familles d’aujourd’hui se trouve à la croisée de nombreux enjeux sociétaux. Entre éloge des « nouveaux pères » et crainte d’une fragilisation, voire d’une déperdition du lien paternel par rapport au lien maternel, quelles évolutions ont affecté le rôle des pères ?

Comment sécuriser et préserver ce lien auquel tout enfant a droit avec ses deux parents, même après une séparation ?

Quel enjeux autour des congés parentaux en discussion au niveau européen, en termes d’implication des pères, d’équilibre des rôles parentaux et pour l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Cette journée sera l’occasion pour chercheurs (économie, démographie, sociologie…), professionnels (droit, accompagnement social, médiateurs familiaux…), et témoins (pères, journalistes, entreprises…) de croiser leurs champs d’expertise, autour de trois tables-rondes thématiques.

 

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Programme

8h30 Accueil
  Présentation de l’observatoire « Etre père »
9h30 Table-ronde 1 : Les « nouveaux » pères : un modèle en construction ?
11h00 Pause
11h15 Table-ronde 2 : Paternités à l’épreuve
12h45 Déjeuner libre
14h15 Table ronde 3 : Quels temps pour lles pères ?
15h45 Clôture du colloque

« La psychiatrie à la croisée des temps cliniques à l’épreuve de l’avancée en âge »

2018 Angers : du 4 au 7 octobre 2018 :

LA PSYCHIATRIE DE GENERATION(s) EN GENERATION(s)

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La psychiatrie à la croisée des temps cliniques

à l’épreuve de l’avancée en âge

Du 4 au 6 octobre 2018 Hostellerie Bon Pasteur – 18 rue M.E. Pelletier – 49100 Angers

 

Quel regard portons-nous aujourd’hui sur la clinique et la psychopathologie du sujet vieillissant et plus particulièrement du sujet vieillissant … âgé ?

Si les cliniques anténatale, du nourrisson, de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte jeune ont été largement étudiées, la compréhension de la vie psychique du sujet âgé vieillissant a été essentiellement lue à travers le prisme d’une sémiologie « adultomorphique ». Nous vous invitons lors de ces journées à tenter d’élargir nos socles et repères d’élaboration.

Ceci nous amènera à examiner les relations contemporaines entre sujets vieillissants mais à « âges civils différents », et ainsi à ouvrir la question de différences de générations et du vivre ensemble surtout à l’heure du web, des nouvelles technologies, des nouvelles donnes religieuses et idéologiques.

La notion de génération, de tranche d’âge et de tout ce qui produit des séparations, ouvre-t-elle forcément sur une notion conflictuelle ?

« Jeunisme », révolutions technologiques, négation de la mort, gestion et rentabilité laissent-ils une juste place au sujet vieillissant ? Le processus de deuil, de l’acceptation d’être moins « performant » au travail de trépas, n’est-il pas le signe de réaménagements symboliques ? Les migrations, les déplacements des enfants et petits-enfants renvoient le troisième et le quatrième âge à une solitude toujours plus forte, accentuée par la difficulté à assimiler les nouveaux modes de communications. La plasticité cérébrale, la cognition, les neurosciences n’oublient-elles pas trop souvent histoires, parcours de vie, place du désir et de la sexualité ?

Ces journées seront une invitation à découvrir un « nouveau monde » mais aussi un partage entre générations pour qu’émerge une approche de la clinique à distance des « cliv-âges ».

Coordination scientifique des Journées

Frédéric Aumjaud, Thierry Delcourt

Comité Scientifique

Olivier Brunschwig, Michel Jurus, Patrice Charbit, Catherine Goudemand-Joubert, Jacques Barbier, Claude Gernez

Comité d’Organisation

Frédéric Aumjaud, Béatrice Guinaudeau, Rania Gard

 

19 h     Pot d’accueil Université Catholique de l’Ouest – Place André Leroy – Angers

20 h     Conférence inaugurale (même lieu) par Daniel Coum 

            Qu’est-ce qu’une génération doit à l’autre ?

 

8h30                Accueil

9h -10h45       Sujets âgés et/ou sujets vieillissants 

           Président : Michel Jurus – Discutante : Catherine Goudemand

           Frédéric Aumjaud – Nous sommes tous des sujets vieillissants

           Cyril Hazif –Thomas – La transmission de représentations à travers les générations

 

 

10h45 -11h15  Pause

11h15 – 12h45 L’expérience concrète de l’intergénérationnel

           Présidente : Béatrice Guinaudeau – Discutante : Jacqueline Légaut

           Jacques Barbier- Intergénération et généalogie

           Maxence Henry – Approche de l’Intergénérationnel à Angers

 

12h45 -14h     Repas sur place

 

14h -18 h       3 sessions DPC :

                 – Au risque de vieillir – Approches cliniques en pratique libérale

           Frédéric Aumjaud – José Polard (dernière heure film danse et Alzheimer)

                 – Au risque de vieillir – Approches cliniques et philosophiques

           Didier Martz –Cyril Hazif-Thomas (dernière heure film danse et Alzheimer)

                 – Bouleversements intergénérationnels en périnatalité

           Michel Jurus et Daniel Coum

14h -16h30     Atelier Intergénération, Généalogie et pratique en cabinet animé par

           Jacques Barbier (chaque participant est invité à témoigner sur sa

           pratique en ce sens)

17h – 18h30    Grand Atelier co-animé par Annick Le Dorre et Thierry Thieû Niang

           Film Danse avec Alzheimer du danseur-chorégraphe Thierry Thieû Niang

18h30 – 20h    Initiation à une danse pour tous les âges : le Tango Argentin

 

 

9h – 10h30     Histoire et neurosciences

            Président : Olivier Brunschwig – Discutante : Adeline Metten

           Jérémie Sinzelle – Histoire de la modernisation de la démence:

           Un rajeunissement de la clinique

           Pr Serge Bakchine – Neurosciences et psychogériatrie

10h30 – 11h    Pause

11h – 12h30    Créer et produire de l’autre

           Président : Patrice Charbit – Discutante : Sophie Stein

           Thierry Delcourt – Comment produire de l’autre

           Claude Gernez – L’entre et l’écart : Le travail de la différence

 

 

12h30 – 13h30            Repas sur place

 

13h30 – 14h   Film cinégravé et sonorisé par les patients de St Martin de Vignogoul –            Mollie Expert, Aurélie Pujol, Agathe Maddy et Olivier Deprez – avec Patrice Charbit

14h -15h         Prix de thèse

           6×8 minutes de présentation de thèse par les nouveaux diplomés

           Jury : Elie Winter, et le bureau de l’AFPEP

15h – 15h15    Pause

 

15h15 – 17h30            Table ronde : Intergénération, enseignement et transmission

           Animée par Elie Winter avec Jean-Jacques Laboutière, Adeline Metten,

           les thésards nominés, les jeunes psychiatres région Pays de la Loire

 

17h30              Conclusion par le Président de l’AFPEP

18h30              Visite commentée de la tapisserie de l’Apocalypse au château d’Angers

20h                  La grande soirée au château d’Angers

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