Consultations avec un/e psychologue durant le confinement

Pour information.

 » Suite à l’interpellation du Ministère de la Santé par la Ffpp et en cohérence avec les recommandations de notre premier communiqué, Franck Bellivier, Délégué Ministériel à la Santé Mentale et à la Psychiatrie, nous confirme la possibilité d’ouverture des cabinets de psychologues.

« Les cabinets de psychologues peuvent rester ouverts pendant le confinement. Leurs usagers peuvent ainsi s’y rendre en cochant la case de l’attestation permettant les déplacements pour effectuer des consultations, examens ou soins.

En effet, les autorisations ou interdictions d’ouverture portent non sur des catégories de professions mais sur des types d’Etablissements Recevant du Public (ERP).

Les cabinets des praticiens médicaux et paramédicaux libéraux s’assimilent à des bureaux au regard de la réglementation ERP, pour lesquels aucune interdiction n’est posée.

Par ailleurs, le décret du 29 octobre 2020 ne réglemente pas l’activité des professionnels de santé libéraux au-delà des mesures « barrière » prévues à l’article27. » « 

« Le confinement – et ses suites : traumatisme ou opportunité ? » par Daniel Coum

 

Un excellent article de mon collègue Daniel Coum. Le regard que nous portons sur les situations, sur les personnes, les « configurent ». Les semaines du confinement ont fait surgir discours prophétiques versant catastrophe du côté « psy ». Et si nous faisions un pas de côté?

 

Contribution : Le confinement – et ses suites :

traumatisme ou opportunité ?

Original paru dans Espace Ethique Bretagne. , Juin 2020

Parce que la crise sanitaire fut de l’ordre de l’inédit, nous n’avons cessé d’essayer de saisir quelque chose du sens qui pouvait s’en dégager pour ne pas rester collé ni à une appréhension réduite aux protocoles sanitaires de protection contre la contamination par le virus ni aux généralisations abusives et simplificatrices d’une complexité dont nous n’avons pas encore fini de dénouer les fils ni de tirer les enseignements.

La pandémie nous a renvoyé en plein visage l’inéluctable de notre vulnérabilité et la vanité de notre déni de la maladie et de la mort. Et l’injustice qu’il, cet inéluctable, suppose. Le mythe d’une puissance indexée sur notre maitrise du monde et des objets ou d’une possible satisfaction de notre insatiabilité par l’hyperconsommation de tout choit. Et nous avons été contraints, pour nous sauver, de renoncer à la jouissance sans limite et, en premier lieu à celle de se déplacer et de se toucher.

Et l’on ne peut se contenter d’en être le témoin et si possible l’analyste. Il se trouve que notre propos s’ancre dans une expérience qui d’être vécue et non pas « scientifique » (au sens des exigences académiques actuelles dont la crise aura au moins révélé la relativité) n’en a pas moins de légitimité à se faire entendre. Elle s’appuie sur quelques trente années de pratique clinique en institution ainsi que de recherche et d’enseignement à l’université1.

La famille comme ressource ? A quel prix ? 

Le confinement, décrété mesure princeps de la lutte contre la pandémie, a assigné à résidence la population quasi entière du pays dans le déni de ce que sa réussite supposa l’engagement obligé des parents, sommés de rester à la maison et d’y maintenir leurs enfants. Aussi leur a-t-on imposé d’être tout à la fois eux-mêmes, c’est-à-dire homme ou femme, mais également père et mère, salariés au chômage ou en télétravail, animateurs des loisirs d’une progéniture intrépide et enseignants à part entière d’une génération confinée donc déscolarisée.

Être « tout » pour son enfant, voilà ce à quoi les parents ont été unanimement convoqués, de fait, sans que leur avis leur soit demandé, condition sine qua non de la réussite du confinement et dans la méconnaissance des effets de celui-ci sur la parentalité elle-même. Comme si cela allait de soi! Comme si telle était la fonction des parents, être tout pour son enfant !

Nous soutenons a contrario2 que le confinement contrevient à la loi humaine qui préside à l’avènement et au développement des liens familiaux tout au long de la vie dont le principe structurel est éminemment centrifuge. En effet la fonction parentale structure le rapport des parents à l’enfant sur le mode de l’ouverture au monde sur fond d’attachement. En cela, ce dernier est, pour l’enfant, un moyen d’émancipation et non un but en soi. Telle est donc l’essence même de la parentalité : non pas avoir un enfant mais former un citoyen ! L’investissement parental dont l’enfant est l’objet n’a pas pour fonction de maintenir l’enfant attaché à ses parents mais de créer les conditions de possibilité de son « aller vers » le monde. A défaut de quoi la famille dont on vante tant les mérites n’est plus une ressource mais un handicap !

Dès lors, l’on comprend que le confinement fut, dans son principe et alors même qu’il s’appuyait sur la capacité des parents de le mettre en oeuvre, antinomique avec la fonction fondamentale des parents ! Aussi les adaptations – et leur cohorte de modalités de vivre cette situation singulière – sont-elles à interpréter au regard de ce principe : il fut demandé aux parents de réaliser l’impossible et aux enfants de s’y soumettre.

La famille, ou ce qui en tient lieu, devient dès lors la variable d’ajustement de la gestion d’une insuffisance de lits de réanimation et les parents les chevilles ouvrières obligées d’un confinement prescrit. Tant pis pour les dégâts collatéraux subjectifs et sociaux ! Nous les avons observés après les avoir, sans grande difficulté, prédits : dépressions ; épuisement parental ; exacerbation des tensions conjugales et des violences intrafamiliales dont les femmes sont les premières victimes et les enfants les impuissants otages lorsqu’ils ne les subissent pas directement ; rupture des liens familiaux pour les enfants placés, les personnes incarcérés, les résidents d’EHPAD… Car la promiscuité domestique, l’endogamie relationnelle, l’entre-soi familial fut, pendant trois mois, la règle, dans la méconnaissance radicale de ce que si la famille est une ressource elle peut également être un handicap. Nécessaires liens familiaux ? Bien sûr ? A la condition de s’en sortir ! Il faut s’en servir pour pouvoir s’en passer. S’en nourrir pour s’en sortir, au sens propre comme au sens figuré. Mais comment le faire sans sortir ?

D’aucuns s’en sont accommodés ! D’autres ont payé cher le prix de la contrainte d’une promiscuité transgressive d’un besoin fondamental de se séparer : violences conjugales, mauvais traitements à enfants, révoltes adolescentes en furent les symptômes saillants… Si la mise à distance physique de l’autre fut la règle, elle ne concerna que l’autre de l’extérieur, celui qui seul rend pourtant possible une émancipation à laquelle tout un chacun aspire comme moyen d’échapper aux liens familiaux nécessaires un temps mais possiblement aliénants s’ils persistent outre mesure.

Pour autant, ce serait une erreur de faire de ces excès une généralité. A regarder au plus près de ce qu’en disent les parents et les adolescents, la diversité des expériences vécues fut la règle qui empêche toute généralisation, le cas échéant inévitablement abusive, sur ce que les parents et leurs enfants ont vécu. Le confinement ne fut pas traumatique pour tout le monde.

Les psy au chevet des parents : qui a besoin de qui ? 

Le confinement ne fut pas cependant pas l’occasion d’un « vécu de sidération traumatique » généralisé comme le soutient notre illustre collègue, Serge Tisseron, psychiatre spécialiste du bon usage des écrans, dans un récent article publié dans les ASH. Il n’est pas le seul. Le catastrophisme ambiant et ostentatoire fut de bon ton pour justifier la floraison de multiples dispositifs d’écoute téléphonique (sic) d’aide psychologique (parfois même bénévole et gratuite !) prétendant traiter, sinon prévenir, le pire annoncé3. Mais l’annonce du pire ne crée-t-elle pas les conditions de son apparition ? Sur quelle réalité observée s’appuie-t-on pour affirmer qu’il faudra lors du déconfinement, recréer du lien, comme s’il n’y en avait pas eu le temps du confinement ? Et quand les psy de tout crin se précipitent, non sans opportunisme, au chevet des familles confinées avec comme seul et unique argument leur conviction d’être nécessaires, ne dit-on pas implicitement aux parents qu’ils sont incapables de faire face ? Alors, psychologues et psychanalystes – ce sont parfois les mêmes – se mobilisent pour aider la population à supporter l’épreuve, peut-être même à en tirer quelques enseignements… Pourquoi pas ? Mais n’est-il pas attendu d’eux également qu’ils fassent avaler aux sujets la pilule amère d’une politique de mesures exceptionnelles de restriction des libertés publiques, de surveillance généralisée et de violence symbolique faite, en les clôturant sur eux-mêmes, aux liens familiaux Et au final, qui a besoin de qui ? Les psychologues et psychanalystes, qu’ils soient salariés du secteur public ou des établissements à gestion associative se sont convoqués au chevet d’un lien social non seulement malade ou éprouvé, mais également maltraité par les mesures qui sont prises à son encontre, pour son bien ! D’être « au chevet de… » confirme au demeurant l’essence même du travail dit « clinique » des psychologues et des psychanalystes. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont toujours fait puisque tel est le principe même de leur fonction sociale. Et en cela, ils ne peuvent, fondamentalement, qu’être les agents d’une objection radicale faite à tout politique « socio et psycho-cidaire », qu’elle soit mise en oeuvre par les sujets eux-mêmes (l’on sait depuis Freud que nous pouvons être nos propres tyrans !), par les institutions privées ou par les politiques publiques. La clinique analytique telle que la pratiquent les psychologues est, foncièrement, subversive de l’ordre établi en ce que celui-ci tend toujours, plus ou moins violemment, à assujettir les citoyens ! Ce qui suppose sinon une méfiance tout au moins une distance d’avec ce qui nous est intimé de faire…

Confinement : ceci n’est pas un traumatisme ! 

Quoi qu’il en soit, pour ce que nous avons pu observer, les difficultés parentales ne furent jamais que celles qui étaient déjà là avant la crise sanitaire et que le confinement n’a fait qu’exacerber. Si nous soutenons que la mesure de confinement est antinomique au principe anthropologique de la parentalité, cela ne présuppose nullement l’incapacité des parents et de leurs enfants, qui ne manquent pas de ressources si l’on veut bien les leur reconnaître et, si besoin, les soutenir, d’y faire face. Tous les parents n’ont pas besoin d’un psy à leur chevet !

Aussi, user voire abuser de la référence au vécu traumatique revient-il, pour le moins, à méconnaître ce qu’est le traumatisme : il n’est pas fonction de l’événement mais de la manière dont cet événement est éprouvé, d’une part, et interprété, d’autre part, par le sujet. Ce qui est, l’on en conviendra, aussi variable qu’il y a de personnes concernées. A telle enseigne que la diversité des vécus en la matière fait à l’évidence objection à la thèse pourtant souvent véhiculée d’un « confinement traumatique pour tous » ! Et nous pouvons fournir moult témoignages de personnes qui ont pu apprécier d’avoir à vivre cette pause obligée, subie puis consentie, temps d’arrêt soudain mais salutaire dans une frénésie d’activités chronophages, d’interactions superficielles voire toxiques, au travail ou ailleurs, de consommation de tout à outrance. Pour ceux-là, et ils sont plus nombreux que les média officiels et leurs experts patentés le laissent entendre, le confinement aura été une occasion de créer de nouvelles modalités d’être en relation avec l’autre et avec soi-même. Et nous avons également pu accompagner des enfants qui se sont, par exemple, restaurés de la présence en continu de leurs parents, singulièrement moins « pris » par les contraintes d’une activité professionnelle captivante. Des adolescents se sont dits soulagés de ne plus souffrir la pression dénarcissisante d’une scolarité contrainte. D’autres enfants, dits placés, ne se seront jamais autant sentis inclus dans leur famille d’accueil, participant pleinement et durablement des liens familiaux resserrés par la nécessité d’une cohabitation que ni l’école ni les visites aux parents ne venaient rompre. Certains enfants accueillis auront pu même apprécier, plus ou moins secrètement, les effets bénéfiques d’une suspension des visites à leurs parents (et réciproquement!) suspension qu’ils appelaient de leur voeu sans pouvoir en assumer le désir. Le contexte aura décidé pour eux.

La crise sanitaire aura donc été, pour une partie de la population, une crise salutaire.

La sortie du confinement et la question du lien 

Et l’enjeu du déconfinement serait-il, comme nous avons pu le lire également, de recréer du lien ? De fait, à ce qu’en disent les parents autant que les professionnels du soin en charge de soutenir voire de soigner les liens et que nous écoutons tous les jours depuis deux mois parler du confinement, du lien et des liens, il y en a eu ! Même trop parfois ! Certes ils étaient « confinés » dans les limites du cercle familial, c’est-à-dire concentrés et circonscrits… Mais ils n’auront, d’un certain point de vue, jamais été aussi denses, intenses, omni-présents, jusqu’à l’excès parfois ! De sorte que l’enjeu du déconfinement n’est pas, selon nous, tant de « créer » du lien que d’étendre à nouveau, de manière volontaire et avec soulagement, ou au contraire sous contrainte et non sans quelques angoisses supplémentaires, le réseau relationnel de chacun. Il s’est agi, dès le 11 mai, de sortir de l’étroitesse des liens vécus, entretenus et devenus à ce point familiers que le déconfinement aura été et est encore au jour où nous écrivons, pour certains, une nouvelle épreuve de séparation. Alors même que pour d’autres (les adolescents particulièrement, mais pas tous) le déconfinement aura sonné le glas, avec soulagement, d’un trop plein de liens familiaux. C’est selon ! Non que ceux-ci n’aient pas été en lien pendant deux mois ! D’aucuns ont pu se plaindre de n’avoir pas pu s’isoler plus souvent ! Et pour échapper à l’excès de lien que la promiscuité familiale imposait, ils se sont évadés jusqu’à plus soif sur les réseaux virtuels, entretenant une sociabilité intense quoiqu’imaginaire, parents et enseignants faisant fi, pour l’occasion, des préconisations du bon usage des écrans !

Quant à ceux pour qui cette promiscuité relationnelle et affective fut insupportable ils portent témoignage des effets délétères d’un excès – et non d’une absence – de liens. Ceux-là apprécieront l’échappatoire que leur offre le déconfinement. Enfin seul ! Et toutes les personnes âgées n’ont pas souffert de l’absence de « sollicitations » parfois ordinairement pressantes (pour ne pas dire violentes) de leur descendance désormais nommés « aidants » familiaux. Et réciproquement ! Tous les liens ne sont pas aidants…

De la même manière, nous doutons de la justesse de l’affirmation, lue ailleurs, selon laquelle le « collectif a, durant le confinement, été brisé » et qu’il faudra le réparer. Mais de quel « collectif » parle-t-on ? Celui de l’entreprise ? De la nation ? De la famille ? En ces temps d’individualisme forcené, ces collectifs n’existent plus depuis longtemps quoiqu’ils renaissent de leurs cendres lorsqu’il s’agit de s’unir pour faire face à un ennemi commun. Cela aura été le cas, pour faire front à la menace de la contagion, dans certains milieux. Doit-on rappeler ici que de belles solidarités se sont, à cette occasion, créées et/ou manifestées de manière admirables ? Elles furent spontanées (cf. les mouvements de foule de 20h), organisées (les concerts réunissant par la magie de la télé-vision des centaines d’artistes professionnels ou amateurs à travers le monde) ou instituées (cf. la mobilisation des soignants). Notons à cet égard que les professionnels des institutions éducatives et médico-sociales – dont on parle trop peu – ont fait preuve d’une exemplarité remarquable en matière de mobilisation collective ! Rien de « cassé » en l’occurrence dans ces collectifs-là. Au contraire, des inventions sociales à préserver et à prolonger comme alternatives aux erreurs que l’on gagnerait à ne pas reproduire !

Une réalité plus complexe qu’il n’y parait 

Donc, pour avoir travaillé ardemment ces deux derniers mois à essayer de comprendre ce dont les familles, et les professionnels qui les accompagnent, ont fait l’expérience à l’occasion de cette crise sanitaire qui fut, pour tous, une épreuve diversement appréhendée, nous ne pouvons qu’insister sur la complexité, la diversité et la singularité des expériences vécues, donc sur la difficulté voire l’impossibilité de prévoir la trace que ce confinement va laisser dans le psychisme des enfants, des adolescents et de leurs parents ! Aussi est-il hasardeux de prétendre extraire de cette période traversée et encore active quelque vérité que ce soit quant à la conduite à tenir, surtout en présupposant l’existence d’un traumatisme généralisé. Le faire pose inévitablement question. Car il n’est pas impossible que le confinement s’avère avoir été, pour certains enfants et certains adultes, et malgré tout, une expérience enrichissante que le déconfinement leur permettra de mettre à profit à la condition que ce profit ne soit pas méconnu. L’avenir nous le dira. Et si nous y pouvons quelque chose, il s’agira moins de prescrire que d’accompagner !

 

Daniel Coum, psychologue clinicien et psychanalyste. Directeur des Services de l’association Parentel. Maitre de conférences associé en psychopathologie au département de psychologie de l’UBO. Auteur de : Repères pour le placement familial, Erès, 2017 ; Paternités : figures contemporaines de la fonction paternelle, Presses de l’EHESP, 2016 ; Faire famille au temps du confinement, et en sortir…, YAPAKA, 2020. Direction d’ouvrage : Au-delà de l’amour et la haine dans les liens familiaux, Erès, 2020.

 

NOTES

1 En 1989, naissait Parentel. Nous nous faisions fort, à l’époque, de développer une pratique clinique d’orientation psychanalytique, au téléphone, auprès des parents en difficulté avec un enfant. L’expérience, les milliers de consultations réalisées, les élaborations théoriques auxquelles celles-ci ont donné lieu et l’affutage constant de notre outil de travail (c’est-à-dire nous-mêmes !) nous permettent de porter témoignage de la pertinence et de l’efficacité d’un tel dispositif. Celui-ci donc confirme nos hypothèses : au téléphone, le travail clinique est possible, mais pas à n’importe quelles conditions ! Renseignements sur www.parentel.org

2 Nous avons développé cette analyse dans un article publié sur le site de nos amis belges : https://www.yapaka.be/livre/livre-faire-famille-au-temps-du-confinement-quelques-points-de-repere, à paraitre en version papier sous le titre Faire famille au temps du confinement, et en sortir en juin 2020

3 Nous en avons dit quelque chose dans un papier publié sur le site de l’Appel des Appels auquel l’on peut se reporter : http://www.appeldesappels.org/tam-tam/etre-psy-au-temps-du-confinement-familial-daniel-coum-2019.htm

«Face au confinement, nos objets familiers peuvent être un soutien et un réconfort» par François Cheng

TRIBUNE – Ce long confinement, qui pèse à beaucoup, est aussi l’occasion de réapprendre la valeur des choses qui nous entourent, raconte l’écrivain François Cheng.

Original publié le 27 avril 2020, ici.


François Cheng est un écrivain de l’Académie française. Dernier ouvrage paru: «Enfin le royaume. Quatrains» (Gallimard, coll. Blanche, 2018).


François Cheng

Sauf chez les plus doués d’entre nous, d’une façon générale, nos postures et nos comportements ; notre manière d’être, sont empreints de gaucherie et de maladresse ; il y manque trop de la grâce pour que nous soyons à même d’entrer en résonance avec l’invisible Souffle rythmique qui anime l’univers vivant.

Le mot confinement contient l’adverbe finement. Le confinement pourrait donc signifier «être ensemble finement», voire «vivre ensemble finement». Inutile de consulter un dictionnaire: qui dit finement veut dire penser ou faire des choses avec finesse. Quelles sont les choses qu’on peut et doit faire avec plus de finesse? Notre réponse: mais tout! Nous n’oublions pas que nous sommes venus au monde en parfait ignorant et que nous avons dû apprendre les usages terrestres à partir de zéro. À commencer par apprendre à nous tenir debout, puis à avancer pas à pas vers l’espace qui s’ouvre devant nous.

Nous sommes en quelque sorte d’éternels apprentis, d’éternels amateurs. Il y a toujours lieu d’améliorer notre approche de la vie, avec plus de lucidité et de finesse.

Le confinement obligatoire nous en donne l’occasion. D’abord, dans notre rapport avec les choses qui nous entourent.

Il fut un temps où l’humanité était plus humble, plus patiente. Elle chérissait les choses qui étaient à son service. Elle en connaissait le prix, éprouvait à leur égard de la gratitude. Il s’établissait entre les humains et les choses un lien de sympathie, pour ne pas dire de connivence. On gardait les choses le plus longtemps possible, même quand elles étaient rongées d’usure. On rapiéçait les chaussettes, on ravaudait les chemises, on réparait les porcelaines fêlées, on entretenait avec vénération les meubles légués par les aïeux. Ainsi traitées, les choses prenaient un aspect personnel, revêtaient un coloris intime.

Mais depuis une ou deux générations, nous assistons à l’avènement du jetable. Du coup, nous n’entretenons plus le même rapport avec les choses. Les traitant de haut, nous ne leur portons ni attachement ni affection. Elles sont usées par nous, dans l’indifférence. Arrive le moment où elles se montrent moins efficaces, nous les fourrons sans ménagement dans le sac-poubelle. Hop là, bon débarras ! Ni vu, ni connu. Tout cela ne nous éduque pas dans le sens de l’attention du respect, encore moins de la douceur et de l’harmonie. Il arrive bien souvent qu’inconsciemment, aux heures de nos désoeuvrements, nous nous agacions de la présence des choses, parce qu’elles nous renvoient l’image de nos propres désarrois. Le confinement est l’occasion de réapprendre la valeur des choses qui nous entourent. Celles-ci, nous le savons, ont une âme, même un bout de ruban, même une épingle. Elles ont acquis une âme, pour avoir été les témoins de notre vie. Elles conservent précieusement nos souvenirs, que nous avons relégués aux oubliettes. Elles peuvent nous être d’un soutien secourable si nous consentons à en faire des interlocuteurs valables. Elles sont là, pour nous rappeler que la vie n’est pas forcément un gâchis total. Elles sont là pour nous appeler à la fidélité. Après notre rapport avec les choses, venons-en à celui, plus complexe, que nous entretenons avec les êtres.

Le confinement crée des conditions pour vivre en compagnie des êtres qui nous sont chers, nuit et jour, sans une seconde de séparation. Au lieu de nous en réjouir, nous voilà paniqués. Jusqu’ici en effet, nous n’avons pas conçu la vie ainsi ; chacun a ses occupations, jouit des possibilités d’évasion. On découvre, effarés, qu’un tête-à-tête permanent est un casse-tête, que trop de promiscuité tue la vraie intimité. On en vient à avoir la nostalgie d’une certaine distanciation. Or, justement, en même temps que le confinement, on nous recommande de garder une « distance sociale », et si possible de ne pas se toucher. Cette situation, apparemment contradictoire, nous incite à une réflexion plus fine.

Dans notre société, les sentiments d’affection s’expriment par un ensemble de paroles et de gestes très démonstratifs, une effusion ignorant les barrières. On s’adore, on s’embrasse, on baigne sans répit dans une mare de sentimentalité. C’est certes tout ce qu’il y a de positif.
Sauf qu’en vase clos, pour peu que survienne un accroc, ces mêmes paroles et gestes, prononcées, effectués machinalement, ou devenus trop envahissants, étouffants, dégénèrent en chamailleries, quand ce n’est pas en violence.

Me revient alors en mémoire l’injonction de Confucius qui prônait dans les relations humaines, le « li », terme qu’on peut traduire par « le rituel du respect mutuel », un rituel fondé sur le principe de la distance juste.
Selon le sage, seul ce principe permet de rendre durable l’attachement le plus profond. À partir de ce principe d’ailleurs, ses disciples conseillaient d’introduire dans le lien conjugal une forme d’amour courtois où chaque conjoint traite l’autre en hôte d’honneur.

Les circonstances actuelles, pleines de paradoxe, me poussent ici à rappeler ce que Confucius avait proposé, il y a 2 500 ans ; mais je mesure parfaitement ce qu’il peut y avoir d’inconcevable pour les gens d’aujourd’hui.

Après le rapport avec les choses et les êtres, comment ne pas aborder enfin le rapport avec soi-même.

Dans le confinement, le sentiment qui domine chez chacun est la peur de se trouver seul à seul avec son ombre.
Inévitablement, nous pensons à notre cher Pascal qui déplore que l’homme ne sache pas demeurer dans une chambre ; en proie au divertissement, il cherche à se fuir pour ne pas dévisager le destin, le sien.

Entre quatre murs où rien d’inespéré ne peut advenir, quel mortel ennui ! Pourtant, la chambre peut contenir plus de présence et de richesse qu’on imagine. Il y a la mémoire de notre passé chargé d’orages, de remords, mais également de moment de félicité, il y a le présent à méditer et à métamorphoser, un présent bouleversé cette fois-ci par les actes héroïques des soignants et de tous ceux qui aident ; par les SMS reçus, qui donnent lieu à un authentique partage dans l’épreuve ; il y a le futur à préparer, un futur ouvert qui ne sera plus comme avant.

À ce point de réflexion, l’idée me vient d’évoquer un épisode dans la vie de Jakob Böhme, le grand mystique du XVIIe siècle.

Un après-midi de solitude dans son sombre logis, il voit un rayon de lumière qui entre par la fenêtre et qui s’attarde sur un ustensile en étain. L’humble objet renvoie des reflets irisés.

Soudain, il est ému jusqu’aux larmes et, empli de gratitude, il tombe à genoux. Un matérialiste pur et dur viendrait nous expliquer doctement que tout cela relève de la loi physique, qu’il n’y a vraiment pas de quoi s’émouvoir là-dessus. Mais Böhme voit autre chose, il voit qu’au sein de l’éternité, en ce coin perdu de l’immense univers apparemment muet et indifférent, un instant de miracle a lieu, ce rayon de lumière qui vient iriser l’après-midi terrestre où un humain anonyme, poussière d’entre les poussières, a pu capter la scène et, avec son oeil ouvert et son coeur battant, être submergé par l’émotion.

Qui peut expliquer cet insondable mystère ? Il n’y a peut-être rien à expliquer. Il y a la vie qui est là, miraculeusement là, à recevoir comme un don inouï. Chacun dans sa chambre, à sa manière unique, doit se tenir prêt à accueillir le rayon de vie qui se donne là, comme un ange annonciateur, comme un hôte d’honneur.

FRANÇOIS CHENG

Le syndrome mental du confinement, par Patrick Clervoy

Les Editions Odile Jacob ouvrent un nouvel espace d’information, de réflexion, d’anticipation et de débat.

Le syndrome mental du confinement, par Patrick Clervoy, médecin psychiatre Unknowndes Armées, professeur agrégé du Val-de-Grâce.

Le Syndrome mental du confinement
Patrick Clervoy
6 avril 2020

Nous disposons de plusieurs témoignages sur des groupes de personnes ayant vécu des confinements prolongés dans une ambiance de danger extérieur : les équipages des sous-marins nucléaires qui passent dix semaines consécutives dans le silence et l’obscurité du fond des océans ; les personnels scientifiques qui hivernent six mois de nuits australes dans les bases antarctiques, isolées du continent le plus proche par les tempêtes et le froid ; les astronautes des stations orbitales, trois à six personnes qui vivent et travaillent dans le vide spatial des mois durant, confinées dans un espace pas plus large qu’une caravane. Ces occurrences ont deux points communs : ce sont des personnes entraînées qui se sont portées volontaires pour ces missions extrêmes et leur environnement matériel a été configuré pour survivre dans les meilleures conditions. Malgré les avantages que leur donnent leur préparation et les équipements mis à leur service, la vie quotidienne de ces équipages les expose à des « accidents de confinement » qui peuvent être transposés à la situation des millions de familles soumises à une séquestration dans leurs foyers pour se protéger de la pandémie.

Le stress commun de la population

La menace pandémique a deux caractéristiques cruciales :

• Le virus est une particule microscopique invisible à l’œil nu. On ne peut pas discerner dans la vie courante les objets contaminés de ceux qui ne le sont pas.

• Il y a un long délai entre l’infection et le déclenchement de la maladie. Une personne contaminée peut porter en elle le virus et le diffuser pendant plusieurs jours avant qu’elle ne réalise qu’elle est atteinte à son tour. La difficulté générale est que personne ne peut voir où est le virus ni savoir s’il est ou pas contaminé. Comme on ne peut pas voir le virus, on peut supposer qu’il est partout. Le sentiment de danger affecte chacun. Avant même d’être confronté physiquement à la maladie, l’idée d’épidémie produit déjà une atteinte psychologique. Cela génère un stress avec des effets individuels et collectifs qui vont s’amplifier à mesure que se prolonge le confinement. Comme on n’est pas en capacité de mesurer le danger auquel on est exposé, on est en difficulté pour trouver la mesure de protection la plus ajustée entre le danger extrême et un danger minime. Il y a en plus ce corollaire anxiogène qu’une situation évaluée à l’heure H peut avoir changé une heure plus tard, par exemple après une sortie ou une visite.

Des comportements individuels inadaptés

On peut classer les comportements inadaptés en deux catégories. Il y a les personnes qui surestiment la menace et celles qui la négligent. Lorsqu’un individu est soumis à un stress majeur et prolongé sur lequel il ne peut pas agir, il peut développer une attitude psychique entre le désespoir et la folie : le déni. L’individu se comporte comme si le danger était inexistant. Par un autre mécanisme psychologique appelé clivage, sa pensée sépare toutes les informations qu’il reçoit entre celles qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas. Toutes les informations menaçantes sont annulées, et l’esprit de cet individu fonctionne comme s’il évoluait dans un autre monde, un monde où le danger de pandémie serait totalement absent. C’est ainsi que naissent les théories du complot : « tout cela est faux », « on nous cache la vérité », « les médias sont complices du pouvoir », « on nous fait croire cela parce que… », etc. Le problème est que non seulement ces personnes mettent leurs vies en danger, mais elles mettent en danger leur entourage et perturbent la discipline sociale nécessaire pour que le confinement soit efficace dans ses objectifs de santé publique.

Et il y a les personnes qui surestiment le danger, celles qui le voient partout et qui multiplient jusqu’à l’épuisement les mesures de protection et de nettoyage. En situation de confinement et de menace, ce qui est le plus insupportable pour chacun est d’être confronté à l’angoisse de l’autre. Les capacités individuelles de gérer sa propre anxiété sont dépassées si on cohabite avec une personne qui ne contient plus sa peur. La cohabitation devient impossible et les personnes les plus angoissées sont rejetées, voir agressées ce qui ne fait que renforcer leur désarroi. D’où le principe d’apporter régulièrement à tout le monde les informations adaptées pour que le niveau de stress de chacun soit homogène.

Le syndrome mental du confinement

Le médecin qui avait assuré le suivi médical des premiers hivernages antarctiques, Jean Rivolier, avait décrit sous le terme de syndrome mental de l’hivernage l’évolution psychologique au fil des semaines des personnes soumises au confinement. Il décrit trois étapes calquées sur celles d’un organisme face à un stress : la réaction d’alarme, la phase d’adaptation et de résistance puis la phase de l’épuisement avec ses complications.
La réaction d’alarme correspond à un stress aigu. Elle est liée à l’effet de surprise et l’absence de préparation au choc qui vient ébranler la société. L’appareil psychique est stimulé au maximum pour comprendre la situation et déterminer les enjeux immédiats de la survie. L’imagination est très active pour se projeter dans le futur des heures qui suivent. Il s’agit de répondre au plus vite aux nécessités vitales : comment se protéger et protéger sa situation sociale. C’est une phase angoissante avec parfois des réactions de désespoir. Certains imaginent la fin du monde et il y a toujours quelques mauvais prophètes pour s’en réjouir. Il y a des phénomènes de panique et des comportements aberrants par imitation, comme le phénomène d’achat massif de papier hygiénique entrainant une pénurie qui s’est prolongée plusieurs jours. Des interrogations culpabilisantes obsèdent les esprits : qu’est-ce qu’on a fait pour en arriver là ? Qu’est-ce qu’on n’a pas su faire pour éviter la pandémie ? Cette phase d’alarme dure quelques jours puis la situation psychologique se stabilise progressivement. Les premières informations sur ce qui se passe à l’extérieur et sur ce que font les uns et les autres permettent à chaque groupe de parvenir à un aménagement du quotidien.
Vient alors la phase de résistance. Chacun fait face avec ses ressources et ses habitudes. C’est la vie de tous les jours sur un mode dégradé. Les procédés de ravitaillement ont été identifiés. Ceux qui peuvent maintenir une activité professionnelle se sont adaptés. Les réseaux sociaux permettent des échanges réguliers avec ceux qui sont éloignés. Le premier signe pour constater cet état de résistance est d’identifier les routines. Les populations s’installent dans de nouvelles habitudes. Des gestes d’entraide et de solidarité façonnent de nouveaux comportements, réorganisent et renforcent le tissu social. La stabilité de cette phase de résistance dépend de plusieurs paramètres correspondant à la pyramide des besoins. Il est nécessaire que les besoins physiologiques de base soient assurés, à commencer par la disponibilité des ressources alimentaires. Viennent ensuite les besoins de sécurité avec la disponibilité des secours en cas d’urgence. Il est indispensable que soit assurée la permanence des activités de soins dans les hôpitaux et celle des médecins et des infirmières en ville. Si la pandémie est comparée à une guerre, les personnels médicaux et paramédicaux sont les forces projetées en première ligne dans les combats. Les différentes initiatives pour saluer ensemble leur dévouement renforcent le sentiment de résistance collective face à la menace.
La durée de cette phase de résistance est difficile à prévoir. On peut anticiper que si le confinement se prolonge au-delà de quelques mois, les forces à l’œuvre vont s’épuiser et la discipline collective peut alors se défaire en quelques jours voire quelques heures. La date de fin de confinement est un paramètre majeur dans la capacité de résistance d’une collectivité. On gère mieux son effort lorsqu’on connaît la durée de l’épreuve. Une contrainte peut être supportée plus longtemps s’il y a l’annonce anticipée d’une date de fin.

La prévention des comportements pathologiques collectifs

On peut considérer que la phase d’épuisement commence lorsque les premiers troubles collectifs apparaissent. Des vagues de désobéissance civile s’installent. Au début ponctuelles et isolées ces mouvements se renforcent et le risque de chaos social est alors majeur. La durée maximum d’une contrainte pacifique de confinement est variable selon les niveaux de civisme des citoyens et selon les aspects libéraux ou répressifs des régimes politiques. L’histoire de chaque pays montre qu’il y a eu des époques de grande solidarité sociale durant les épreuves et à l’inverse d’autres époques lors desquelles un chaos s’est installé. En situation de menace et d’isolement, la cohésion d’une société est dépendante des liens verticaux et horizontaux qui lient ses membres entre eux. Le confinement produit un relâchement des liens de cohésion horizontaux, ceux qui nous lient à nos voisins et à nos collègues de travail avec lesquels les interactions sont plus distantes avec l’évitement, voire deviennent inexistantes avec le confinement. Il est important de compenser ce relâchement par un renforcement des liens verticaux, ceux du dévouement patriotique et de l’obéissance civique. La situation morale d’une population est telle qu’elle était au début de la crise, plus ou moins forte selon les pays et les évènements sociaux qu’ils ont traversé les mois précédant l’épidémie. Cette situation peut se renforcer ou inversement décliner en fonction des vertus des chefs qui les gouvernent. Les anglo-saxons regroupent ces facteurs sous le terme de leadership. C’est un mélange subtil d’expérience politique, d’autorité et de compassion, de douceur humaine et de fermeté. Georges Clémenceau et Winston Churchill, pour ne citer que ceux-ci, ont été des figures autour desquelles les populations se sont unies dans l’épreuve.
De la même manière qu’un équipage épuisé se lance dans une mutinerie, une mauvaise gestion politique du confinement peut faire passer la lutte contre une épidémie à un état de guerre civile. Un exemple récent et spectaculaire des comportements pathologiques collectifs est celui des émeutes de Los Angeles en 1992. Les circonstances de déclenchement de ces émeutes étaient différentes, mais une foule en colère est identique, avec les mêmes aveuglements collectifs et les mêmes mouvements grégaires destructeurs. Les comportements pathologiques collectifs commencent par des postures de défi et des prises de risque. Une première personne se hasarde à transgresser un interdit, aucune force ne s’y oppose, puis d’autres personnes se mettent à l’imiter. En quelques heures les affrontements physiques se multiplient. Les scènes de destruction et de pillage se généralisent. Des bandes armées se lancent à la recherche de coupables présumés, désignent des boucs émissaires et se livrent à des exécutions sommaires. Il faut alors déclarer l’état d’urgence et mettre l’armée dans les rues pour rétablir la paix sociale.
Une autre façon de présenter l’enjeu chronologique des évènements est de dire que plus le confinement sera prolongé, plus il faudra recourir aux forces de l’ordre pour l’imposer. Prendre la décision de faire cesser un confinement est difficile, parce qu’elle met le pouvoir exécutif devant une grande responsabilité, mais il vaut mieux la prendre plus tôt que trop tard.

La levée du confinement : entre la déception et l’euphorie

En ex-Yougoslavie, quelques mois après les accords de paix un chirurgien bosniaque m’avait fait cette remarque : « On opère autant que pendant la guerre ». Il se désolait que dans un excès de défoulement, les gens et en particulier les jeunes multipliaient des comportements à risque. L’abus d’alcool et les accidents de la route faisaient de nombreux morts qui s’ajoutaient au bilan déjà lourd des vies perdues.
Le dé-confinement doit être progressif et planifié. On peut proposer le modèle empirique suivant : la levée d’un confinement doit être étalée sur une période aussi longue que le confinement a été installé. De semaine en semaine les populations pourraient recouvrer par étapes les libertés qui leur avaient été brutalement confisquées.
Le confinement est une contrainte à visée protectrice, mais il entraine des destructions par ses effets sur les industries et les économies. Le processus réparateur sera nécessairement long. L’effort doit être porté sur la restauration des liens horizontaux. Concernant la vie sociale, la plupart des évènements à forte valeur affective ont été annulés ou manqués à cause du confinement : les anniversaires, les baptêmes, les mariages, les funérailles. Il faudra relancer les manifestations culturelles et sportives qui ont été annulées. Il faudra dans chaque pays inventer les cérémonies qui permettront de réparer les manques symboliques et reprendre le cours ordinaire de la vie. Ce sera aussi le moment de faire confiance aux différentes initiatives régionales. Dans chaque pays, chaque région, chaque ville et chaque quartier des personnes sauront inventer la solution locale la plus adaptée.
C’est plus tard que se fera le décompte de ce qui a été perdu et ne sera jamais récupéré. Ce sera le temps d’une interrogation inquiète : est-ce que le choses reviendront comme avant ?
Dans la situation des hivernages et des missions spatiales prolongées, celui qui revient dans son univers habituel décrit le sentiment confus que rien a changé mais que finalement tout est différent. Le temps de réadaptation à la routine du monde est long. Au plan symbolique, comme dans les procédures de deuil, on peut supposer que la réparation psychologique sera opérée après qu’une année complète se soit écoulée et qu’il y eût la première commémoration de cet évènement.

Patrick Clervoy est médecin psychiatre, professeur agrégé du Val-de-Grâce.

Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Les Pouvoirs de l’esprit sur le corps (avril 2018)

 » Comment (ne pas) réussir son confinement « 

 Petites pépites pour méditer… cette fois-ci, sur le rien. Magnifique.

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« Comment (ne pas) réussir son confinement »

sur France Culture, Radiographies du coronavirus diffusé le 27/03/2020.

Ecouter le podcast ici.

Avec le confinement, soudain, certain.e.s d’entre nous ont du temps… beaucoup de temps… l’occasion de redécouvrir le goût du café le matin, apprendre à faire son pain, finir ce livre abandonné sur la table de chevet et autres petits riens. Géraldine Mosna-Savoye se demande : pourquoi faudrait-il absolument faire quelque chose pour réussir son confinement ?

838_gettyimages-743699777Mercredi, je vous parlais de la place prépondérante que les autres, amis, collègues ou famille, prenaient dans nos vies pourtant confinées et censées être solitaires.
De fait, cette période inédite se prête aux paradoxes… et parmi ceux-là, il y a l’idée que notre situation extraordinaire serait toutefois le bon moment pour redécouvrir les petits riens de la vie.

On se souvient de la Première gorgée de bière de Philippe Delerm… enfin, l’occasion nous serait donnée de la savourer… À situation exceptionnelle, plaisir minuscule.
Mais l’équation est-elle si pertinente que ça ? Faut-il vraiment s’attacher aux riens quand tout se reconfigure ?

« Rien, c’est déjà beaucoup »

Serge Gainsbourg le dit très bien : « rien, c’est déjà beaucoup ».
Rien, c’est plus que le néant, c’est plus que le vide. Période de confinement oblige, à la fois libérés des interactions physiques, du travail au bureau et des sorties amicales, mais néanmoins terrifiés face à tout ce vide, tout ce néant, nous voici donc, tout naturellement, portés à le combler… et grâce à tous ces petits riens !

J’en veux pour preuve cette affiche d’un graphiste parisien, apparue dès les premières heures de confinement sur les réseaux sociaux. Son mot d’ordre : « restez à la maison » était ainsi accompagné de toute une liste de petites choses à faire pour s’occuper : lire, dessiner, jouer aux jeux vidéos, avec ses enfants, ou encore arroser ses plantes vertes.

Le tout pour, je cite : « sauver des vies ». Sauver des vies en restant chez soi, être des héros d’intérieur… cette idée m’a tout de suite parlé : j’adore rester chez moi, qui plus est sur mon canapé, qui plus est à ne rien faire. Mais bizarrement, ne rien faire, ce n’est pas forcément pour la plupart des humains : ne faire rien !

Avant ça, une foule de petits riens semblent à accomplir, comme le dit très bien cette affiche : lire, dessiner ou jouer… Et c’est là que m’est apparu le terrible paradoxe de cet héroïsme d’intérieur, la terrible ambivalence de son code d’honneur : rester chez vous, oui, mais surtout pas à ne bêtement rien faire, au contraire : faites plein de petits riens…
D’où cette question : des petits riens d’accord, mais pour quoi faire ?

Petits plaisirs, petites choses, petits riens

Regarder grandir sa plante verte, redécouvrir le goût du café le matin, ce café d’habitude si vite avalé, ouvrir, enfin, ce livre abandonné sur son étagère, se plonger dans les chefs-d’oeuvre du cinéma, ou encore apprendre à faire son pain… les conseils ne manquent pas pour faire face au vide du confinement.

L’idée revient sans cesse : enfin du temps, de l’espace, pour redécouvrir ces petits plaisirs que l’urgence nous vole d’habitude, pour s’attacher à toutes ces petites choses qui font le sel de la vie, pour reprendre goût à ces petits riens oubliés sous des couches de tâches quotidiennes.

Petits plaisirs, petites choses, petits riens. Quand on y pense, le sous-entendu est assez paradoxal : il s’agirait de remplacer notre vie quotidienne déjà faite d’une somme de choses à effectuer, par d’autres petites choses encore à accomplir. Mais d’où vient cette idée ?

Pourquoi faudrait-il toujours faire quelque chose ? Le philosophe Pascal avait bien vu que le divertissement était le meilleur remède pour éviter de penser à soi et à la mort… Mais pourquoi aujourd’hui, ce divertissement, ce quelque chose, serait-il petit, minuscule ? Serait-il de fait plus vrai, plus authentique, meilleur ? Plus mignon peut-être ?

Un manque d’ambition

Là est le problème : non seulement, nous avons peur du vide, mais quand nous voulons le combler, nous manquons cruellement d’ambition. Ce n’est pas de faire son pain ou de jouer avec ses enfants qui manque d’ambition, mais de penser que c’est là, dans ce qui serait ces petits riens, que réside une bonne vie, une vraie vie.

Aurait-on une vie sans intérêt quand elle est vide ? Quand on se fiche de faire son pain ? Quand ça nous ennuie de faire des grimaces à son enfant ? Quand on ne sait pas dessiner ? Ou, tout simplement, quand on allait au travail et qu’on buvait notre café sans y faire attention ?

Quelque chose d’ambitieux, de grand, de fou serait d’affronter le néant, mais c’est trop difficile… Mais enfin, assumer qu’on aime ne faire rien sur son canapé et qu’on aura peut-être rien tiré de ce temps confiné, c’est déjà pas mal.

« Le lien, au temps du confinement… » par Gilles Delisle

J’ai plaisir à vous partager ce texte de Gilles Delisle, reçu ce jour.

 

« Le lien, au temps du confinement… »

« Si nous sommes incapables d’affronter notre propre solitude, nous ne faisons qu’utiliser les autres comme des boucliers. »

Et Nietsche a pleuré, Irvin Yalom

La crise que nous traversons est de nature à mettre à l’épreuve les plus résilients d’entre nous. Plus que jamais, le psychothérapeute et son client ont une base commune d’incertitude. Et… chacun sait que l’autre sait.

Ce qui était tenu comme allant de soi il y a quelques semaines encore, nous semble désormais à la fois lointain, précieux et incertain. C’est en ces temps de stress intense que la relative fragilité de certains acquis développementaux se rappelle à nous. Comment maintenir sa sécurité dans l’attachement, quand autant de personnes qui nous sont chères, sont désormais inaccessibles ? Comment maintenir son estime de soi, quand on perd ses miroirs sociaux ?  Comment garder Éros, quand Thanathos rôde…? Autant de questions qui, plus ou moins consciemment, se promènent dans le mode interne.

Rarement dans l’histoire de notre profession aura-t-on vécu de manière aussi essentielle, le caractère inaliénable du lien humain. Quoi que nous estimions thérapeutique dans nos interventions, que ce soit la justesse de l’interprétation, la résonance empathique, ou le travail de l’ici et maintenant, l’essentiel en ce temps de crise est que le thérapeute soit là ! Encore et toujours. Malgré et avec sa propre inquiétude, sa propre peine. Relié plus que jamais.

Au sortir de cette longue traversée, nous nous souviendrons de ces temps où l’essentiel est apparu, sans fard.

Gilles Delisle

 

Gilles Delisle, Ph.D. est directeur du Centre de formation le CIG depuis 1981.  Il est aussi professeur associé à l’Université de Sherbrooke. Il est membre de la Société Gilles_Delisle.jpginternationale de neuropsychanalyse. L’Ordre des psychologues lui a remis le Prix Noël-Mailloux en 2010. Il est formateur invité de plusieurs instituts étrangers et il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la psychopathologie et sur la psychothérapie. Il a dirigé la traduction des ouvrages de neurosciences appliquées à la psychothérapie : La régulation affective et la réparation du Soi (Schore, 2008) et La neuroscience de la psychothérapie, guérir le cerveau social (Cozolino, 2012).  Co éditeur du livre: Une psychothérapie du lien : Genèse et continuité (2012) Co auteur de Les troubles de la personnalité, perspective gestaltiste (2018) 4e édition

« Appréhender le confinement » par Serge Sommer

Un article simple et clair.

 

« Appréhender le confinement » par Serge Sommer

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sommerEn cette situation compliquée, comment surmonter les peurs, l’absence de contacts, la mise en quarantaine et la vie entre quatre murs ? Serge Sommer, psychanalyste, nous offre son point de vue et nous donne les clés pour appréhender la période.

Le confinement est une situation nouvelle pour tous. Il est maintenant compris et s’installe dans les actes et dans les esprits. Le Covid-19 est une pandémie mondiale qui nous concerne tous de près ou de loin. Potentiellement, cette expérience est traumatisante. Pourtant dans l’histoire certaine personnes ont déjà vécu des moments d’isolement intenses et sont ressorties plus armées. Les mots sonnent forts, ils sont anxiogènes et résonnent : on parle de guerre, de cellule de crise, de taux de mortalité dont on nous montre les graphes tous les jours… Comment surmonter les peurs ? L’absence de contacts, la mise en quarantaine et la vie entre quatre murs passent par des phases psychologiques.

Le confinement est vécu différemment selon les personnes et leur situation. Comment peut-on l’expliquer ?

Nous sommes tous différents et l’approche de ce confinement est inhérent à chacun. D’abord, il ne faut pas comparer ceux qui ont la chance d’être à la campagne ou dans un grand appartement avec ceux qui vivent à plusieurs dans peu de mètres carrés ! Ceux qui ont la chance d’avoir beaucoup de lumière à l’intérieur et ceux qui n’en ont pas ! Ceux qui s’entendent bien entre eux et ceux qui vivent déjà une situation conflictuelle !
Ensuite, il y a notre approche personnelle avec l’ennui et la solitude. Pour certains, c’est une opportunité d’introspection, de bilan, c’est positif ; pour d’autres, c’est anxiogène. Si nous avons l’habitude d’être toujours occupés, sollicités, speedés, il sera plus difficile de vivre ce confinement. A l’inverse, si l’on a pour coutume de laisser de l’espace dans nos journées, de les ponctuer, de les rythmer en présence à soi et non en dépendance aux autres ou à l’environnement, le confinement sera plus acceptable. N’oublions pas que de toutes les espèces, l’humain est celle qui a la plus grande capacité à s’adapter depuis la préhistoire ! Confucius disait : « Ce qui est douloureux, ce n’est pas le changement, mais la résistance au changement… ».

Quelles sont les différentes phases que nous risquons de connaitre ?

On peut s’attendre, pour une majorité d’entre nous, à ressentir les différentes étapes du deuil.

  • Le deuil par rapport à de ce que nous avons connu comme schéma sociétal, d’une forme de liberté.
  • Le déni, c’est le refus de la réalité. C’est le cas des personnes qui sortent encore en bravant le confinement imposé.
  • La colère, avec un sentiment de révolte qui monte en essayant de trouver des boucs émissaires. La dépression, l’ennui et l’anxiété qui vont avec, qui peuvent se manifester par une compensation dans le grignotage, les addictions, l’alcool, la cigarette…
  • L’acceptation qui mène à l’adaptation, et par conséquent la créativité.

Un évènement dont on ne connait pas l’issue est-il forcément anxiogène ?

Oui bien souvent, car nous avons peur de l’inconnu. Nous avons peur de perdre le contrôle. Et pourtant, notre intelligence, notre créativité, notre sens de l’improvisation nous permettent de redessiner le présent, de nous réinventer, nous rencontrer et mieux nous connaître…

Comment une personne déjà concernée par des soucis (financiers, de maladie, d’emploi…) peut-elle se projeter dans un avenir meilleur alors que sa situation est rendue encore plus incertaine avec le Coronavirus ?

C’est pour eux une situation encore plus difficile, à l’instar des femmes battues ou des enfants violés. En ce qui concerne les soucis d’emploi, financiers, c’est l’occasion de redéfinir nos priorités, nos aspirations, nos rêves et nos désirs. Savoir que nous sommes beaucoup dans le même bateau rend les choses un peu plus supportables, car nous pouvons ressentir la solidarité et la fédération humaine. Notre société sera sans doute transformée culturellement et sociétalement, en tout cas cela reste peut-être à espérer. Nous allons réévaluer nos besoins et sans doute que les valeurs du couple, de la famille, celles qui faisaient le bonheur de nos anciens, vont reprendre de l’importance.

Quels conseils donneriez-vous ?

Gardez confiance, entretenez votre corps avec quelques exercices afin de vous sentir ancrés, incarnés. Prenez un temps pour méditer, réfléchir à vous, à vos rêves, à vos valeurs profondes, à ce que vous espérez, à ce que vous voulez transformer dans votre vie et dans vos relations une fois que nous serons sortis de cette épidémie.
C’est un temps d’introspection qui sera fécond. Communiquez, parlez de vos difficultés, de vos angoisses, de vos peurs, verbalisez votre amour pour vos proches, pour vos amis.

Prenez soin de vous et de votre cœur, l’immunité commence par là ! Nous savons aujourd’hui qu’entretenir l’anxiété, la colère, la peur, la rancune, ne fait qu’affaiblir notre système immunitaire. Nous ressortirons plus forts de cette épreuve.

 

Serge Sommer est psychanalyste à Livron sur Drôme et Membre de la Fédération de Psychanalyse Contemporaine. Il anime tous les matins sur France Bleu Drôme-Ardèche une chronique « Mon psy et moi » avec Valérie Rollmann. Tous les sujets sont abordés et chacun s’y retrouve. C’est une bonnes occasion pour réfléchir sur soi et de partager des sujets inspirants.

Petit guide de gestion de l’incertitude en période de confinement

tableau stress

Ressources pour prendre soin de notre santé mentale et de celle des autres, en période d’épidémie et de confinement

L’article ci-dessous est une mine de ressources autour des questions psychologiques que fait émerger la situation actuelle. Original consultable ici.

RAPPEL : durant cette période de confinement je continue à recevoir via télé-consultation (téléphone ou visio suivant le choix de chacun) toutes personnes qui souhaitent un accompagnement, une écoute active, un espace confidentiel où déposer et y voir plus clair.

 

L’épidémie que nous vivons et le confinement associé peuvent avoir un impact sur notre personsanté mentale. Nous recensons sur cette page des ressources pratiques pour vous aider à faire face, et prendre soin de votre santé mentale et celle des autres.
Durant la période de confinement, cette page sera mise à jour régulièrement, au fil de l’actualité.

 

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Prendre soin de sa santé mentale : Comment se protéger face aux incertitudes et à l’anxiété en période de confinement

Aider les enfants : Comment leur parler de l’épidémie pour les rassurer et les aider à comprendre les contraintes du confinement

Aider les patients, les soignants, les personnes en situation de handicap ou de précarité

Se méfier des rumeurs et fausses informations : Cette crise sanitaire est propice à la diffusion de fausses informations (fake news), qui augmente l’anxiété. Voici quelques ressources pour vous aider à identifier les informations fiables et celles qui le sont moins :

Développer l’entraide et la solidarité : Parce que l’entraide et la solidarité sont importantes pour surmonter une telle période, voici quelques lieux numériques d’échange et d’entraide :

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