Les Editions Odile Jacob ouvrent un nouvel espace d’information, de réflexion, d’anticipation et de débat.
Le syndrome mental du confinement, par Patrick Clervoy, médecin psychiatre des Armées, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Le Syndrome mental du confinement
|
||
Nous disposons de plusieurs témoignages sur des groupes de personnes ayant vécu des confinements prolongés dans une ambiance de danger extérieur : les équipages des sous-marins nucléaires qui passent dix semaines consécutives dans le silence et l’obscurité du fond des océans ; les personnels scientifiques qui hivernent six mois de nuits australes dans les bases antarctiques, isolées du continent le plus proche par les tempêtes et le froid ; les astronautes des stations orbitales, trois à six personnes qui vivent et travaillent dans le vide spatial des mois durant, confinées dans un espace pas plus large qu’une caravane. Ces occurrences ont deux points communs : ce sont des personnes entraînées qui se sont portées volontaires pour ces missions extrêmes et leur environnement matériel a été configuré pour survivre dans les meilleures conditions. Malgré les avantages que leur donnent leur préparation et les équipements mis à leur service, la vie quotidienne de ces équipages les expose à des « accidents de confinement » qui peuvent être transposés à la situation des millions de familles soumises à une séquestration dans leurs foyers pour se protéger de la pandémie. Le stress commun de la population La menace pandémique a deux caractéristiques cruciales : • Le virus est une particule microscopique invisible à l’œil nu. On ne peut pas discerner dans la vie courante les objets contaminés de ceux qui ne le sont pas. • Il y a un long délai entre l’infection et le déclenchement de la maladie. Une personne contaminée peut porter en elle le virus et le diffuser pendant plusieurs jours avant qu’elle ne réalise qu’elle est atteinte à son tour. La difficulté générale est que personne ne peut voir où est le virus ni savoir s’il est ou pas contaminé. Comme on ne peut pas voir le virus, on peut supposer qu’il est partout. Le sentiment de danger affecte chacun. Avant même d’être confronté physiquement à la maladie, l’idée d’épidémie produit déjà une atteinte psychologique. Cela génère un stress avec des effets individuels et collectifs qui vont s’amplifier à mesure que se prolonge le confinement. Comme on n’est pas en capacité de mesurer le danger auquel on est exposé, on est en difficulté pour trouver la mesure de protection la plus ajustée entre le danger extrême et un danger minime. Il y a en plus ce corollaire anxiogène qu’une situation évaluée à l’heure H peut avoir changé une heure plus tard, par exemple après une sortie ou une visite. Des comportements individuels inadaptés On peut classer les comportements inadaptés en deux catégories. Il y a les personnes qui surestiment la menace et celles qui la négligent. Lorsqu’un individu est soumis à un stress majeur et prolongé sur lequel il ne peut pas agir, il peut développer une attitude psychique entre le désespoir et la folie : le déni. L’individu se comporte comme si le danger était inexistant. Par un autre mécanisme psychologique appelé clivage, sa pensée sépare toutes les informations qu’il reçoit entre celles qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas. Toutes les informations menaçantes sont annulées, et l’esprit de cet individu fonctionne comme s’il évoluait dans un autre monde, un monde où le danger de pandémie serait totalement absent. C’est ainsi que naissent les théories du complot : « tout cela est faux », « on nous cache la vérité », « les médias sont complices du pouvoir », « on nous fait croire cela parce que… », etc. Le problème est que non seulement ces personnes mettent leurs vies en danger, mais elles mettent en danger leur entourage et perturbent la discipline sociale nécessaire pour que le confinement soit efficace dans ses objectifs de santé publique. Et il y a les personnes qui surestiment le danger, celles qui le voient partout et qui multiplient jusqu’à l’épuisement les mesures de protection et de nettoyage. En situation de confinement et de menace, ce qui est le plus insupportable pour chacun est d’être confronté à l’angoisse de l’autre. Les capacités individuelles de gérer sa propre anxiété sont dépassées si on cohabite avec une personne qui ne contient plus sa peur. La cohabitation devient impossible et les personnes les plus angoissées sont rejetées, voir agressées ce qui ne fait que renforcer leur désarroi. D’où le principe d’apporter régulièrement à tout le monde les informations adaptées pour que le niveau de stress de chacun soit homogène. Le syndrome mental du confinement Le médecin qui avait assuré le suivi médical des premiers hivernages antarctiques, Jean Rivolier, avait décrit sous le terme de syndrome mental de l’hivernage l’évolution psychologique au fil des semaines des personnes soumises au confinement. Il décrit trois étapes calquées sur celles d’un organisme face à un stress : la réaction d’alarme, la phase d’adaptation et de résistance puis la phase de l’épuisement avec ses complications. La prévention des comportements pathologiques collectifs On peut considérer que la phase d’épuisement commence lorsque les premiers troubles collectifs apparaissent. Des vagues de désobéissance civile s’installent. Au début ponctuelles et isolées ces mouvements se renforcent et le risque de chaos social est alors majeur. La durée maximum d’une contrainte pacifique de confinement est variable selon les niveaux de civisme des citoyens et selon les aspects libéraux ou répressifs des régimes politiques. L’histoire de chaque pays montre qu’il y a eu des époques de grande solidarité sociale durant les épreuves et à l’inverse d’autres époques lors desquelles un chaos s’est installé. En situation de menace et d’isolement, la cohésion d’une société est dépendante des liens verticaux et horizontaux qui lient ses membres entre eux. Le confinement produit un relâchement des liens de cohésion horizontaux, ceux qui nous lient à nos voisins et à nos collègues de travail avec lesquels les interactions sont plus distantes avec l’évitement, voire deviennent inexistantes avec le confinement. Il est important de compenser ce relâchement par un renforcement des liens verticaux, ceux du dévouement patriotique et de l’obéissance civique. La situation morale d’une population est telle qu’elle était au début de la crise, plus ou moins forte selon les pays et les évènements sociaux qu’ils ont traversé les mois précédant l’épidémie. Cette situation peut se renforcer ou inversement décliner en fonction des vertus des chefs qui les gouvernent. Les anglo-saxons regroupent ces facteurs sous le terme de leadership. C’est un mélange subtil d’expérience politique, d’autorité et de compassion, de douceur humaine et de fermeté. Georges Clémenceau et Winston Churchill, pour ne citer que ceux-ci, ont été des figures autour desquelles les populations se sont unies dans l’épreuve. La levée du confinement : entre la déception et l’euphorie En ex-Yougoslavie, quelques mois après les accords de paix un chirurgien bosniaque m’avait fait cette remarque : « On opère autant que pendant la guerre ». Il se désolait que dans un excès de défoulement, les gens et en particulier les jeunes multipliaient des comportements à risque. L’abus d’alcool et les accidents de la route faisaient de nombreux morts qui s’ajoutaient au bilan déjà lourd des vies perdues. Patrick Clervoy est médecin psychiatre, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Les Pouvoirs de l’esprit sur le corps (avril 2018) |