“Être maître de ses heures demande de connaître son désir” par Cynthia Fleury

Journal d’une confinée par Cynthia Fleury :

“Être maître de ses heures demande de connaître son désir”

 

Cynthia Fleury, professeure titulaire de la chaire Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers, tient pour nous son journal du confinement. Jour 38, où l’expérimentation de la téléprésence est devenue une évidence.

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« J’en arrive à l’évidence : il faut que tout cela s’arrête. Savoir finir ne doit jamais dépendre d’une date imposée par les autres. » Ces quelques paroles sont prononcées par Wajdi Mouawad, directeur de La Colline, qui a tenu son journal de confinement du 16 mars au 20 avril. Journal lu, de sa voix dramaturgique, douce, et étirée, qui se clôt sur la nécessité de reprendre le chemin de ses écritures propres, celles laissées de côté à cause de l’annonce écrasante du Covid-19.

 

Je ne sais si le virus est réellement écrasant. En tout cas, notre gestion collective l’a été : tous les espaces de pensée, de diction, de lecture, d’iconographie, tout, tout, tout lui a été dévolu. Alors oui, il va y avoir nécessairement pas mal de fatigues non dites qui vont déborder par la suite, sans raison apparente, parce qu’elles ont été contenues, confinées elles aussi. Attendre, retenir ses gestes, se restreindre, se contraindre, subir un rythme qui n’est pas le sien, si étrange et si ridicule que cela puisse paraître, fatigue.

Combien de patients qui dans cet espace-temps ont perdu leurs repères, et l’envie d’en avoir. Combien, devant la date du déconfinement annoncée, considèrent qu’ils ont « raté » leur confinement. Le « sois maître de tes heures » de Sénèque est un art difficile, qui demande beaucoup d’autodiscipline, et de connaître son désir.

Pour ma part, je m’en vais tenir jusqu’à la date de délivrance commune, comme si nous étions des codétenus redécouvrant le plaisir de l’air sans attestation dérogatoire, avec tout de même un sentiment de fil à la patte dû à l’éventualité de cetracking pseudo-volontaire.

Ce monde de la téléprésence que nous avons expérimenté en version accélérée et obligatoire détient de nouveaux usages séduisants malgré la réalité de certaines pénibilités. Il est évident qu’à partir du moment où il sera pensé de façon hybride, mixte, en mode complémentaire, il délivrera tout son potentiel capacitaire. La réalité fusionnée, physique et virtuelle, existait déjà, mais sans systématisme ; elle devient désormais plus qu’une habitude, un fait, une évidence, quelque chose qui a eu lieu, et qui a presque un petit goût d’hier.

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