SFAP : cycle « Partage d’expériences palliatives »

Via la SFAP Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs.

Le cycle « Partage d’expériences palliatives » animé par le Dr Jean-Marie Gomas vous propose une session autour de
« La mort programmée : euthanasie, suicide assisté »
le 21 novembre à 17h30 en webinaire.


Objectifs pédagogiques :
– Repréciser clairement les définitions et les balises pour réfléchir sur ce sujet
– Corriger des faits erronés, souvent répandus
– Nous préparer au débat de la convention citoyenne

Publics concernés :
Médical, soignant et autres acteurs impliqués dans la démarche palliative

Inscription en ligne : www.sfap.org

INTERVENANT : Jean-Marie Gomas, médecin douleur et soins palliatifs.
Ancien médecin généraliste, praticien hospitalier, formateur, enseignant universitaire.
Compétences médicales validées en médecine générale, gériatrie, algologie, soins palliatifs.
A été secrétaire général fondateur du mouvement des soins palliatifs en France (SFAP) en 1989, puis expert relecteur et/ou co-auteur de quasiment tous les textes officiels et recommandations sur ce sujet pendant 15 ans de 1990 à 2005, et de nouveau en 2018-
2020 . A ces titres, a été consulté par le comité consultatif national d’éthique, le Sénat, le Ministère, la Sécurité Sociale, l’HAS et le Conseil de l’Ordre pour la préparation de différents rapports et recommandations, et auditionné par l’Assemblée Nationale pour préparer la Loi de Juin 1999 puis par la commission parlementaire pour préparer la Loi Léonetti de 2005.

Critique de l’éducation positive – bienveillante, par Caroline Goldman

Cet article de Caroline Goldman, psychologue clinicienne, pose avec clarté ce qui dans l’éducation positive est intéressant, et aussi ses écueils et égarements, sans toutefois jamais être polémique. Elle cite « Pour Daniel Coum, chef de service, « le fait de faire de l’enfant un « partenaire de sa propre éducation » est une violence invisible causée par l’éducation positive. Ne pas reconnaître l’immaturité et la dépendance de l’enfant, revient à lui faire violence (…). Ça n’est pas parce qu’il y a pouvoir de l’adulte sur l’enfant qu’il y a abus de pouvoir… » « . A lire.

Original sous forme de podcast, retranscrit par Le Carnet Psy, original ici.

Caroline Goldman est psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, auteure de plusieurs ouvrages de psychologie de l’enfant et réalisatrice de « Caroline Goldman, le podcast »

« Critique de l’éducation positive – bienveillante »

Parmi les courants de pensée voués à aiguiller les parents dans leurs questionnements éducatifs, est récemment apparue l’« éducation bienveillante ou positive ». Les messages délivrés par ce courant sont globalement très sains puisqu’ils encouragent, à raison, les démonstrations d’amour des parents envers leurs enfants ; ce que la psychanalyse depuis le début du XXème siècle, n’a cessé elle aussi d’encourager…

 Mais ce nouveau courant fait selon moi plusieurs erreurs, dont je vais ici vous parler.

1/ Mélanger le besoin d’amour et le besoin de limites éducatives(c’est-à-dire d’apprentissage de la frustration).

Ce courant considère que tout cri, toute tension, tout mouvement d’opposition ou de revendication d’un enfant sont les indicateurs d’un appel à réassurance quant à l’amour de ses parents.

Il est vrai qu’un enfant dépressif (dont les parents sont absents ou indisponibles, eux-mêmes en souffrance, par exemple) peut appeler, effectivement, l’attention et la tendresse des adultes, à travers ses cris et son agitation…

Mais l’enfant qui va bien, dont les parents sont présents et aimants, appelle toujours, à un moment donné de son développement, généralement à partir de l’âge d’un an, LES LIMITES ÉDUCATIVES. Autrement dit, il leur demande : « papa, maman, aidez-moi à me calmer, je ne sais pas comment faire, je suis trop petit, je n’arriverai jamais à m’arrêter tout seul »)!

Crier pour se faire aimer ou crier pour appeler les limites, ça n’est pas du tout la même chose. Un tout petit enfant qui pleure parce qu’il vient de tomber de son vélo a besoin d’être réconforté. Un enfant qui vient de perdre son papa à la guerre a besoin d’être réconforté. Un enfant qui vient d’être humilié par la remarque désobligeante d’un adulte a besoin d’être réconforté.

Mais un enfant verni par la vie (et hyper aimé par ses parents) qui lance des lasagnes sur la tête de sa sœur de 6 mois pour le plaisir de la faire pleurer… appelle les limites éducatives. Si ce même enfant fonce sur le four chaud ou sous les roues d’une voiture alors que ses parents lui ont répété 120 fois que c’était dangereux et interdit, il appelle également les limites éducatives.

Mais ce bon sens terrien a volé en éclat sous l’impulsion de l’éducation bienveillante / positive : tout à coup, la moindre insatisfaction infantile est devenue révélatrice d’un cruel manque d’amour…

Or, vous connaissez cette formule de Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde »… quelle pression pour les parents qui, en toute logique, ne pouvaient plus qu’accueillir patiemment ces désobéissances et ces cris, les laisser enfler, et se sentir effroyablement coupables d’aspirer à les contenir !

Continuons à préciser cette affaire passionnante. Parlons d’amour, d’abord. Au départ de la vie d’un bébé, il n’y a que ça, de l’amour… cet amour parental s’exprime à travers des partages d’expériences sensorielles réussies (des bisous, des câlins, du bon lait nourrissant, des tétées, des bains tièdes, des petites chansons…), mais aussi à travers des expériences d’attachements, de rires, d’éveil de la pensée, d’explications, etc. Tout ça, le courant positif/bienveillant en parle très bien. Encore une fois, il dit exactement les mêmes choses que Françoise Dolto il y a 60 ans, mais on ne va pas se plaindre de la répétition de ces messages louant les vertus de la tendresse adressée aux jeunes enfants, parce que ça n’est pas rien dans la construction de leurs fondations.

Cet amour parental nourrit sur le plan affectif de façon merveilleuse et nécessaire, mais il « anime » aussi beaucoup l’enfant, il « l’excite ». Il sera la source de toutes ses ressources vitales… les parents aiment l’enfant, qui aimera à son tour la vie et le monde, avec cette même intensité pulsionnelle…

Puis la question des limites entre en piste peu à peu… à partir de l’âge d’un an, parce qu’avec sa nouvelle liberté motrice, qui lui donne plus de pouvoir d’action, les parents se rendent compte qu’il va falloir peu à peu donner un format « civilisé » à cette vitalité, pour ne pas qu’elle déborde et le mette en danger, lui ou les autres ! À partir de l’âge d’un an, l’éducation devra continuer à distiller beaucoup d’amour, mais aussi apprendre progressivement à l’enfant à se contenir et supporter les petites frustrations normales de la vie. Car tout ce qui concerne le monde intérieur (les pensées, les pulsions…) n’a pas à être diffusé à l’extérieur : savoir réprimer l’expression de son monde interne est tout aussi fondamental que ses caractéristiques propres. Des limites bien posées (c.-à-d. hermétiques, solides, immuables), sécuriseront l’enfant, constitueront sa vitrine sociale et une grande partie de son charme relationnel. Elles lui permettront aussi d’exploiter toutes les richesses de sa « personnalité », qui, elle, a été forgée par le chantier de l’amour ! Car on a beau avoir toutes les qualités, si l’on n’a pas accès aux codes de bienséance et de prise en compte des autres, ces qualités ne trouveront jamais aucun moyen d’exploiter leur potentiel… (je pense à ces gens qui expriment une bonne idée en hurlant et que, du coup, on n’a pas envie d’entendre… ou à ces élèves intelligents, mais insolents qui ne se font jamais aimer du prof, à ces amoureux potentiellement merveilleux, mais qui ne sauront jamais aller séduire, ou encore à ces artistes doués, mais qui ont la flemme de travailler et qui ne produiront jamais rien…) Les qualités des gens ne font pas tout, et en vieillissant, je trouve qu’on se rend encore plus compte de l’importance du sens de l’effort et des capacités diplomatiques pour arriver où on le souhaite.

Les enfants aspirent profondément aux limites. Ils nous le signifient en les appelant de façon répétitive, de plus en plus insistante, jusqu’à ce qu’ils les reçoivent. Cette quête peut parfois durer toute une vie. Les adultes qui ont une problématique de limites éducatives ont les mêmes désirs que tout le monde (ils rêvent d’amour, de valorisation, de possession de biens, de pouvoir, auxquels s’ajouteront plus tard la sexualité et l’argent)… seulement eux, ne se contentent pas d’en rêver… ils agissent ces désirs, sans filtres ni freins… ils ne restent pas à l’état de fantasme intérieur ou de projet à construire progressivement. Il n’y a pas de moyen ou de long terme : ces adultes veulent tout, tout de suite, ne peuvent pas « se retenir », « remettre à plus tard ». La poussée de désir, l’élan, la pulsion, semblent toujours « ouverts », prêts à faire jaillir leurs revendications, et appellent ainsi inlassablement une contrainte extérieure qui ne vient pas, car elle aurait dû être posée dans l’enfance, par l’éducation, et intégrée peu à peu le fonctionnement psychique. Ne pas recevoir de limites éducatives est une liberté qui se transforme en cauchemar !

Cette confusion entre quête d’amour et appel de limites éducatives, était donc la première confusion offerte selon moi par l’éducation bienveillante / positive. J’en viens maintenant à la seconde.

2/ Le déni de l’agressivité !

L’éducation positive considère que les limites s’intègreront toutes seules, à force d’amour. Par identification à la tendresse des parents.

Elle considère donc que la pulsionnalité des enfants resterait pour toujours celle d’un bébé entre 0 et 10 mois, n’aspirant qu’aux soins, aux câlins et aux vœux de partage.

… l’enfant est donc perçu comme un être dépulsionnalisé.

… Mais ses parents doivent également l’être !

Car ce courant refuse par ailleurs toute idée de « sanction » parentale, l’idée de punition étant systématiquement taxée de « violence éducative » ; sans aucune nuance entre des coups de bâton quotidiens qui seraient infligés de façon anarchique, cruelle, humiliante et injuste… et un simple regard parental désapprobateur après que l’enfant ait, par exemple, balancé son assiette par terre sans raison manifeste et en connaissant parfaitement les règles (… donc dans un contexte justifié, après une désobéissance sciemment commise, faisant sens pour l’enfant…) Même ici, la sanction est inenvisageable pour l’éducation positive.

Catherine Gueguen, figure de proue de ce courant en France, écrit ainsi en 2015 qu’« à (ses) yeux, la violence éducative ne consiste pas seulement dans l’usage de la punition (…), elle consiste à faire usage de la contrainte physique ou psychique pour obtenir (ou tenter d’obtenir) d’un enfant un résultat, soit quelque chose à faire (ou à ne pas faire), quelque chose à dire (ou à ne pas dire) ou une attitude à prendre (ou à ne pas prendre) ». Le parent-lecteur de cet extrait se voit par conséquent menotté face à la tentation pourtant difficilement contournable d’imposer à son enfant de dire bonjour à ses grands-parents, de crier moins fort à la piscine municipale, de faire ses devoirs ou de débarrasser la table : ces « contraintes » éducatives étant requalifiées par l’auteur comme des « violences » faites à l’enfant…

Isabelle Filliozat, autre figure de proue de ce courant, affirme dans une conférence de 2019, qu’« Il ne faut pas croire ceux qui disent qu’il faut mettre des limites aux enfants : ça éteint leur joie. Si l’on met une limite, notre propre système de stress est activé. En face, on enclenche le même système de stress. Immobilisme, fuite, figement. »

Pour l’éducation bienveillante / positive, donc, les instincts agressifs de l’enfant n’existent pas ET les parents ne doivent surtout pas y répondre de façon ne serait-ce qu’un peu agressive eux-mêmes. Et pour vendre cette conception aseptisée de la vie psychique au grand public, elle a créé un impressionnant tour de passe-passe qui consiste à nier purement et simplement l’existence de l’agressivité.

Ainsi, Isabelle Filliozat nous explique-t-elle que les crises de rage n’existent pas, non : il n’y a que des enfants nous faisant partager leurs « tempêtes émotionnelles » avec générosité ; preuve de vitalité qui devrait vraisemblablement nous réjouir ! Dans un programme télévisé, elle affirme que « la colère-décharge n’est pas de la colère, c’est juste de la décharge ».

Et confie qu’en giflant sa propre mère à l’âge de 13 ans, elle aurait agi par simple « réflexe » et aucunement par agressivité ; ou encore que si l’enfant hurle pour obtenir un paquet de bonbon dans un étal de supermarché, ça n’est pas parce qu’il le désire, mais parce qu’il s’accroche à un « repère » connu (apparemment, le parent qui l’accompagne ne constitue donc pas un repère suffisamment connu) …

Le Dr Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre chevronné, écrira à propos de cet extrait : « je suis consterné. D’abord de ce salmigondis de bobards qui est proposé là. Mais comment peut-on énoncer autant de fausses informations ? Personne n’est tenté de vérifier ? ».

Ce qui me préoccupe, c’est que les représentants de ce courant ne sont jamais des psychologues ou des pédopsychiatres qui travaillent en pédopsychiatrie. Leurs formations peuvent se rapprocher du soin, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent et manient les concepts de façon grossière. On sent bien qu’ils ne maîtrisent pas la psychopathologie et confondent tout. Isabelle Filliozat a un niveau Master 1 de psycho, elle n’a pas accédé au diplôme de psychologue sanctionné par l’obtention d’un M2 ; Catherine Gueguen est pédiatre, ce qui est très différent de la psychiatrie. Mr « papapositive » est juste… papa, et Isabelle Filiozat forme des « coachs en parentalité » depuis des années. Elle promet des compétences pour démarrer une activité professionnelle de coaching auprès des familles, dans la foulée d’une formation de 32 jours… avec les résultats qu’on imagine.

Toutes ces personnes sans qualification académique prônent des conseils auprès des médias et des foyers, ce qui a d’importantes conséquences en termes de santé publique…

Les troubles du comportement explosent en pédopsychiatrie depuis 6-7 ans, de nombreux chefs de service tentent de dénoncer ce phénomène exponentiel : les Prs Marcelli, Duverger et Rufo, Golse et Coum ont tous publié sur ce sujet depuis 2018.

Catherine Gueguen expose ainsi sa définition toute personnelle de l’enfance épanouie : « l’enfant exprime bruyamment ses émotions, il rit très fort, pleure dès qu’il est contrarié. Il n’est pas « raisonnable » (…).Toutes ces particularités inhérentes à l’enfant petit, perturbent de nombreux adultes. Il faut qu’il soit sage, qu’il ne bouge pas dans tous les sens, qu’il reste assis tranquillement, qu’il obéisse aux ordres, qu’il soit propre, ordonné, qu’il mange ce qu’on lui donne, aille se coucher à l’heure dite, sans broncher. Bref, ajoute-t-elle, qu’il ne soit plus un enfant » (!) ; « l’image de l’enfant tyran, ce danger brandi d’un enfant dominateur est un non-sens, car c’est bien l’adulte qui a tous les instruments du pouvoir et qui trop souvent en use facilement ou abusivement pour soumettre l’enfant, le rendre obéissant, l’obliger à faire comme l’adulte veut et quand il le veut ».

Tous les parents-lecteurs de ces invraisemblables passages devront par conséquent en déduire qu’un enfant sage est un enfant brisé, et que la tyrannie infantile n’existe pas… balayant ainsi d’un revers de manche à la fois leur potentielle réalité quotidienne (je reçois quotidiennement de tels enfants dans mon cabinet, je sais donc qu’ils existent), et toute une réalité décrite par la psychologie de l’enfant dans de nombreux ouvrages !

Vous voyez se dessiner de façon assez nette deux mondes parallèles : celui des véritables psys de terrain qui reconnaissent l’agressivité inhérente au fonctionnement psychique humain… à laquelle ils sont confrontés chaque jour de façon sérieuse dans leurs consultations… et de l’autre, le monde merveilleux présenté par des spécialistes autoproclamés, en réalité grands As du marketing, qui transforment des phénomènes psychiques en beaux tableaux, mais dont les nombreux dénis de réalité ne sont, encore une fois, pas anodins en termes de retombée sur les familles qui les écoutent !

Je vous conseille à ce sujet – plus que vivement – d’aller jeter un coup d’œil au témoignage bouleversant et très représentatif de la blogueuse « MADAMECAPTAIN », qui décrit très bien dans un billet intitulé « aliénation des mères 2.0 » sa descente aux enfers avec son fils aîné, à cause des principes écrasants de l’éducation bienveillante pratiquée de façon orthodoxe. Elle avait le sentiment que tout lui était reproché et que rien n’était assez bon pour son enfant… elle a glissé dans la honte, au point d’envisager le suicide.

« La parentalité positive fait semblant de croire que la haine et l’ambivalence n’existent pas », écrit le Pr Golse, chef du service de pédopsychiatre à Necker. Claude Halmos, psychologue extraordinaire que vous connaissez sans doute, rappelle que les émotions négatives, comme la colère, la frustration ou la peur ont leur rôle à jouer. « Il n’y a rien de malveillant dans le conflit (…) les parents doivent reprendre confiance en eux en ayant à l’esprit qu’un enfant qui est aimé le sait profondément. Il ne confond jamais un parent maltraitant avec un parent de mauvaise humeur ».

Et oui, je suis bien d’accord avec elle. Je l’ai évoqué plus tôt, l’amour et les limites sont deux chantiers structurels tout à fait différents, exactement comme « manger » et « dormir ». Personne ne songerait à mélanger les deux… pourtant, c’est bien par des « câlins » que ce « courant » encourage de répondre aux quêtes de limites éducatives des enfants. L’éducation bienveillante / positive considère que c’est au moment des crises d’opposition que les parents doivent apporter des preuves d’affection à leur enfant. Cette idée est vraiment farfelue. Encore une fois, c’est comme si on vous demandait si vous mangez assez de fruits pendant votre nuit de sommeil… Pourquoi à ce moment précis ? Pourquoi ne pourrait-on pas offrir des preuves d’amour à notre enfant tout le reste du temps, soit 23.30h/24, c.-à-d. quand il n’est pas en train de tirer les cheveux de son frère ; de jeter son assiette par terre ou de crier parce que sa sœur a un jus d’orange qui arrive 1 millimètre plus haut que le sien dans son verre ?

Je présente toujours la vie de famille aux parents de cette façon : la vie quotidienne avec des enfants, consiste à se promener au paradis avec eux…. Mais avec un extincteur sur l’épaule ! prêt à dégainer ! promenez-vous au paradis avec eux… Profitez de chaque moment pour être heureux ensemble, mangez du chocolat, faites-vous des guilis, moquez-vous du monde, dansez comme des zinzins, chantez comme des pioches, mangez des fondues au mois d’août, baignez-vous dans la mer au mois de décembre, câlinez-vous infiniment, bref, amusez-vous et profitez de la vie, autant que possible. Mais quand votre enfant déborde et nuit au confort des autres, sortez l’extincteur en toute décomplexion, et posez-lui les limites qu’il appelle. Comment, me direz-vous ? eh bien ça, vous le saurez en détail dans le prochain podcast, le numéro 3, qui s’appellera « établir les limites éducatives ».

La véritable psychologie de l’enfant n’a donc aucun mal à admettre cette réalité pulsionnelle moins reluisante de la vie psychique des enfants. Elle n’a pas pour projet de la nier. Elle souhaite amener l’enfant à se servir de cette énergie en la réorientant vers d’autres directions, pour enrichir sa personnalité. (… je parlerai de tout ça dans un autre podcast consacré aux vertus de l’humour et du « rire » dans l’éducation)

3/ La négation de la différence des générations

Il y a quelques années, une dessinatrice (Fanny Vella) a mis en scène des adultes en situation de vie d’enfants (des adultes se faisant gronder, se voyant imposés de sortir du bain, de prêter un jouet ou d’embrasser un visiteur pour lui dire au revoir). Ces dessins avaient pour objectif de mettre en perspective les exigences imposées aux enfants, qu’aucun adulte ne tolèrerait à leur place. Alors certains délivraient des messages justes (par exemple qu’il ne faut jamais laisser pleurer un nourrisson dans son lit sans venir le réconforter ; ou taper un enfant tout en exigeant de lui qu’il ne tape pas ; le forcer à finir son assiette ou le punir pour une mauvaise note…). Mais d’autres, absolument fantaisistes, donnaient à penser qu’enfant et adulte en seraient au même stade de maturité et qu’à ce titre, toute autorité parentale équivaudrait à un « abus d’autorité » :  

Par exemple un homme puni dans sa chambre par son épouse, car elle aurait reçu un appel de l’employeur de monsieur, insatisfait de ses résultats professionnels ; ou alors un autre forcé par son épouse de prêter sa voiture à un inconnu sous prétexte qu’il faut être gentil ; un autre sommé de sortir de son bain, contraint de se laisser embrasser et caresser la joue par deux femmes dans un magasin, etc.

Or, signifier cela, c’est dénier la réalité d’un enfant, qui par définition n’est pas encore construit : c’est d’ailleurs pour cela qu’on doit l’éduquer ! Pour Daniel Coum, chef de service, « le fait de faire de l’enfant un « partenaire de sa propre éducation » est une violence invisible causée par l’éducation positive. Ne pas reconnaître l’immaturité et la dépendance de l’enfant, revient à lui faire violence (…). Ça n’est pas parce qu’il y a pouvoir de l’adulte sur l’enfant qu’il y a abus de pouvoir… »

Le Dr Duc Marwood, médecin spécialiste de la maltraitance familiale, écrit qu’« il y a ici confusion entre reconnaître des droits et dire qu’un enfant a le savoir et les facultés de réflexion d’un adulte. L’enfant doit pouvoir se reposer sur l’adulte protecteur. La violence s’applique aussi quand on pense que l’enfant est un adulte comme les autres (…). Il faut parfois recourir à l’autorité, car l’enfant manque de certaines capacités de discernement ».

Tous les professionnels de terrain parlent du risque de violence associé à l’application idéologique de ce courant, censé la faire disparaître des liens parents/enfants ! Coum écrit que « la « libération des enfants » n’est rien d’autre qu’un fantasme d’adulte dont la réalisation conduit l’enfant au pire. Il ne s’agit pas de soumettre l’enfant à l’adulte, mais de l’initier à la loi, c’est une nécessité ». Et bien qu’elles s’en défendent, « ces thèses font le lit de l’enfant roi, rendu fou par le pouvoir qui lui est donné, et dont il ne sait que faire puisqu’il n’a pas, structurellement, l’aptitude pour en faire usage ».

Vous voyez l’ironie de faire revenir par la fenêtre une violence qu’on ne voulait surtout pas laisser entrer par la porte…

4/ Les limites de des applications concrètes de l’éducation bienveillante/positive

Car elle est avant tout une idéologie, une façon d’envisager la parentalité, pour combattre les violences éducatives du passé et celles du monde en général. Elle condamne par conséquent toute forme de répression parentale en énonçant tout ce qu’il ne faut pas faire (Par exemple Isabelle Filliozat explique que lorsqu’un enfant tape, il ne faut surtout pas lui dire de ne pas taper, car il entend alors une invitation à le faire. Idem face à l’encouragement de cesser de pleurer… On ne sait pas trop d’où viennent ces idées…)

Mais l’éducation bienveillante n’est pas très bavarde lorsqu’il s’agit de conseiller les parents sur les moyens de remplacer ces « mauvais réflexes ».

Face à une crise d’opposition, Filiozat conseille néanmoins aux parents de « prendre l’enfant dans les bras, de lui donner un verre d’eau, de courir ou de sauter avec lui ». Ce qui fonctionnera certainement pour calmer un enfant dépressif et polytraumatisé, mais certainement pas un enfant normal, en bonne santé psychique, sollicitant une occasion quotidienne d’apprendre les limites.

Ou alors il s’agira d’une accalmie ponctuelle absolument superficielle. Je rencontre parfois des enfants dont les parents ont suivi au mot la solution de « recherche d’apaisement par un câlin ». Ces enfants ont ensuite beaucoup de difficulté à se contenir face à la frustration, sans câlin ni tétine, même à un âge très avancé, ce qui pose bien évidemment des problèmes en collectivité. Je me souviens d’un enfant qui venait ainsi systématiquement réclamer un câlin, juste après avoir poussé un autre enfant dans les escaliers… vous imaginez la tête de la maîtresse. J’ai dû orchestrer, chez ces petits patients, un véritable sevrage de cette association tout à fait incongrue entre poussée de désobéissance et câlin régressif, pour les reconnecter aux « codes sociaux » du monde réel.

Plus lourd encore, l’éducation bienveillante invite fréquemment les parents à faire peser à l’enfant les conséquences émotionnelles de ses actes sur leur propre bien-être (par exemple : « tu rends maman très triste » ou « papa ne peut plus te supporter, il a envie de te taper »). Je trouve cette idée très préoccupante : car non seulement elle ne rendra pas l’enfant sage, mais elle risque en plus de le plonger dans une « tyrannie des sentiments » qui sera source de grande inquiétude pour lui (par exemple : « maman me rend triste parce qu’elle m’a interdit de tirer les cheveux de ma sœur, je rends maman triste par ma réaction violente à son interdit, etc. »). Elle risque aussi de le plonger dans une immense culpabilité, car un enfant n’a aucun moyen psychologique de se sortir de la honte d’avoir intenté au bien-être de ceux qu’il aime. C’est pour lui une véritable torture d’avoir eu le loisir de rendre ses parents tristes et de les avoir déçus. Car il les aime ! Le mieux est vraiment qu’il ne puisse pas accéder à un tel pouvoir de nuisance.

5/ L’éducation bienveillante, un marché, basé sur l’instrumentalisation culpabilisante et grossière de données neuroscientifiques

La culpabilisation est le moteur de ce business. Claude Halmos dit que l’éducation positive présente une version édulcorée de la vie à des fins marketing. Que « la culpabilité des parents est un marché. Qu’on joue sur un sentiment qui ne demande qu’à être réveillé pour vendre des livres et des stages de parentalité ».

Ce mouvement s’inscrit dans le marché plus large du développement personnel. La sociologue Eva Illouz, dans son livre Happycratie, avait très bien dénoncé ces « apôtres du bonheur » qui selon elle touchent de leurs activités des revenus absolument considérables. Je parlais tout à l’heure des formations de « coach en parentalité » d’Isabelle Filiozat : j’en ai vu passer une qui coûtait 13 475 euros (payables en 31 mensualités).

À propos des « preuves » par les neurosciences si souvent brandies comme crédit scientifique par ce courant, Léonard Vannetzel, neuropsychologue, explique que « L’idée que les neurosciences « valident » ou « invalident » une méthode ou une technique éducative est généralement une illusion, parfois un effet de mode, souvent un argument marketing. Elles doivent toujours être croisées avec d’autres disciplines. » (2019)

Le Dr Ben Soussan dénonce « l’attraction du public profane pour les éléments neuroscientifiques ». Il explique que « des personnes non expertes acceptent ainsi plus facilement les théories qui reposent parfois sur de mauvaises interprétations de résultats de recherche et contribuent à la propagation de fausses théories, appelées « neuro mythes » (…) ». Selon lui, « la communauté des parents positifs en est particulièrement adepte, notamment grâce aux réseaux sociaux qui en ont constitué un propagateur extraordinaire de données indifférenciées « entre mensonge et vérité ». On retrouve ainsi, dit-il, « tressées ensemble, des informations vérifiées, d’autres, totalement fabriquées, d’autres encore, farfelues ; certaines sont partagées sans être évaluées et favorisent la diffusion large d’erreurs ou de mensonges ».

Je ne peux que vous recommander à ce propos, le formidable livre de Marie Chetrit qui s’appelle « Éducation positive : une question d’équilibre ? ». Elle est universitaire, scientifique, et a décidé de plonger son nez dans les arguments « neuroscientifiques » de l’éducation bienveillante. Elle n’a pas été déçue et a découvert des couacs à tous les étages.

1/ Dans la définition absolument pas claire de ce que sont ou ne sont pas des violences éducatives (imposer à son enfant d’aller chez le dentiste n’étant pas équivalent à le jeter au fond d’un placard pendant des heures) 

2/ dans la confusion entre stress chronique, stress aigu, amygdales et Cortisol (tout ça est bien mélangé)

3/ autour des résultats de recherche sur des bébés souris généralisés un peu vite aux bébés humains…

4/ et au sujet de l’imprécision des âges des enfants plongés en situation de stress (avoir 2 jours et 10 ans, ça n’est pas exactement pareil).

Elle déconstruit point par point ces abus d’interprétations et l’on réalise vraiment à quel point tout cet édifice est idéologique et certainement pas scientifique.

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J’ai donné la parole à de nombreux auteurs sérieux pour étayer ma propre analyse de ce paysage médiatique. Si ce podcast vous a intéressé, je vous renvoie à celui, un peu moins académique, auquel j’ai participé lors de mon passage à la Maison des maternelles le 15 septembre 2021 avec Benjamin Muller sur le thème « mon enfant est insupportable ! ».

Dans mon prochain et troisième podcast, je vous donnerai ma « recette magique » pour mettre en place les limites éducatives aux enfants (de plus d’un an) de façon respectueuse, non violente, mais néanmoins efficace. Parce que nos enfants attendent de nous qu’on le soit !

Voici les livres auxquels j’ai fait allusion dans ce podcast :

Le Pr Marcelli dans ses 3 derniers livres dont le dernier : « Moi, je. De l’éducation à l’individualisme » ; les Prs Duverger et Rufo dans « Qui commande ici ? » ou encore les Prs Golse et Coum dans le dernier numéro de la revue Spirale (2019) intitulé « La parentalité positive ?! ».

Le livre du Dr Patrick Ben Soussan intitulé : « Comment survivre à ses enfants ? Ce que la parentalité positive ne vous a pas dit ». (pour les psy et les non psy)

On trouve aussi des livres de psychologues (celui de Joly & Sécheret intitulé « Non coupables : sortir des injonctions de la parentalité positive » ou le mien « File dans ta chambre, offrez des limites éducatives à vos enfants ») ; ou encore des enquêtes journalistiques scientifiques (comme celle de Béatrice Kammerer « L’éducation vraiment positive »).

De nombreux livres-témoignages de mamans ont également émergé ces dernières années, comme celui d’Agnès Labbé, sympa et drôle, qui s’appelle : « L’éducation approximative ».

Des livres sur la tyrannie infantile : Jean-Pierre Chartier, 2002 sur « les parents martyrs » (pour les psy) ; ou Nathalie Franck et Haïm Omer, 2017 « accompagner les parents d’enfants tyranniques » (pour les psy et les non-psy).

Le Haut Potentiel Intellectuel par Caroline Goldman

A lire si le thème vous intéresse. Caroline Goldman, psychologue clinicienne, trace dans cet article les écueils d’une « tendance », celle de vouloir expliquer nombre de difficultés chez l’enfant par le « haut potentiel » – et elle propose quelques clefs pour y voir plus clair : « Il ne faut pas tester les enfants pour aller chercher un HQI, car une haute intelligence ne cause aucune souffrance. Cette démarche constituera donc toujours une fausse piste. Lorsqu’il y a souffrance, elle est ailleurs, du côté de l’affectivité. » (C.Goldman). Si ici elle s’intéresse aux enfants, nous pouvons affirmer les mêmes précautions à prendre dans l’accompagnement d’adultes.

Original sous forme de podcast, retranscrit par Le Carnet Psy, original ici.

Caroline Goldman est psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, auteure de plusieurs ouvrages de psychologie de l’enfant et réalisatrice de « Caroline Goldman, le podcast »

« HPI (Haut Potentiel Intellectuel) »

Les enfants dont le QI est supérieur à 130 sont-ils en souffrance ?  

Non, en tout cas, rien ne le prouve. Notre époque aime beaucoup les étiquettes diagnostic, et parmi elles, se trouve en bonne place depuis une quinzaine d’années l’idée assez saugrenue qu’avoir un HQI (c.-à-d. un haut quotient intellectuel) serait une espèce de maladie associée à des traits typiques de personnalité et à des symptômes plus ou moins douloureux.

Or, nous savons aujourd’hui que cette vision a été tronquée par ce qu’on appelle un « biais de recrutement » : les psychologues reçoivent par définition des enfants en souffrance et ne croisent pas les enfants à HQI en bonne santé psychologique, « dans la nature ». Donc généraliser des observations issues de leurs consultations n’était pas valide pour définir un « profil » d’enfants à HQI.

D’où provient ce malentendu entre ces réalités scientifiques et ce qui est véhiculé dans les médias ?

Je pense que ce malentendu vient de la rencontre entre deux sources : d’un côté, des souffrances parentales (de voir leur enfant souffrir sans explication) et de l’autre, une certaine paresse opportuniste de psychologues un peu légers sur le plan des capacités de discernement psychopathologique et ravis de faire plaisir à leurs patients en leur apportant une bonne nouvelle… et aussi, disons-le, de bien gagner leur vie hein puisque faire passer des tests de QI est un exercice facile et très rémunérateur ; distribuer des scores chiffrés est également très facile, et imputer tous les traits problématiques d’un enfant à des compétences intellectuelles chiffrées l’est encore plus.

Alors c’est gonflé hein… de créer une maladie qui n’en est pas une et d’inventer tout un marché autour (avec, il y a encore 5 ans, une pression au dépistage systématique. Heureusement, on n’a pas eu le temps d’en arriver là…), donc il fallait oser, mais comme vous le savez, dans une foule, il y a toujours quelqu’un qui ose, et qui montre le chemin aux autres !

En 2008, Jeanne Siaud-Facchin, qui sortait d’une carrière de publicitaire, a sorti un livre-slogan intitulé « trop intelligent pour être heureux », et il a selon moi lancé cette idée, avec l’efficacité du marketing, puisque les parents préfèrent en toute logique considérer leur enfant comme supérieurement intelligent, plutôt que simplement douloureux et symptomatique. Il est plus facile de dire pour un psy (et d’entendre pour un patient) qu’un enfant est infernal en classe « parce qu’il est vraiment beaucoup plus intelligent que tout le monde, ce qui le décale et lui cause un l’ennui impossible à supporter »… que dire (pour le psy) et entendre (pour les parents) : « votre enfant est déprimé par votre absence au quotidien, il est en manque d’amour, c’est ce qui le fait exploser à l’école, car la distance creuse et réactive le manque. Il appelle davantage de tendresse, rentrez plus tôt chez vous le soir et résolvez les problèmes de famille et de couple qui vous font tous vraisemblablement fuir la scène familiale. Nous allons faire ça ensemble si vous en êtes d’accord ». Ou encore : « votre enfant bouillonne de la proximité avec vous, madame (ou monsieur), vous l’investissez avec trop d’intensité, vous comblez tous ses désirs, vous l’écoutez trop, vous lui parlez trop, il a besoin de distance pour pouvoir se calmer ; là, il transporte l’excitation de votre promiscuité relationnelle sur la scène sociale, avec sa maîtresse et ses camarades qui ne peuvent pas suivre… » Tout ça est moins consensuel, moins facile… mais c’est en principe notre travail de psy, et il demande du courage. Et aussi une longue formation.

Depuis ce premier livre en 2008, une petite poignée de psy autoproclamés « spécialistes » du HQI règnent médiatiquement en France sur ce vaste marché à fantasmes sans aucune justification scientifique (ils ont toujours manœuvré en marge complète du monde scientifique), mais ils recueillent le soutien d’associations militantes très actives de parents qui ont été pris dans ce piège marketing et entretiennent la flatterie (je pense notamment à Adda, de Kermadec, Revol, Nusbaum…).

Jérôme Pellissier, maître de conférences en psychosociologie, a publié à ce sujet, en 2021, chez Dunod un livre absolument remarquable, très facile à lire et très drôle (« La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence »), je vous le conseille très vivement.

Des chercheurs en psychologie se sont enfin décidés à parler il y a environ 4-5 ans, autour de 2018 (je pense notamment à Nicolas Gauvrit, qui a eu le courage de pointer parmi les premiers cet égarement médiatique)… Cette prise de parole a obligé nos « spécialistes autoproclamés » à publier des ouvrages beaucoup plus souples dans leurs descriptions de ces enfants, dont ils ont peu à peu fini par reconnaître à quel point ils ne se ressemblaient pas, mais ils continuent néanmoins à les faire exister sous un groupe d’appellation lié à leur QI (surdoués, à haut potentiel intellectuel, précoces, zèbres, etc.), et aussi à leur imaginer un développement particulier.

Et ce mythe a malheureusement eu le temps d’infiltrer de très nombreux segments pédiatriques, institutionnels, et même politiques (je pense ici au rapport Delaubier de 2015 dont la conclusion était « bof, rien ne prouve que ce que disent ces gens est juste, mais dans le doute, compte tenu de la souffrance des familles, on va continuer à les écouter et poster un référent EIP dans chaque département, en attendant que la science valide cette intuition du public concerné…) Science qui n’a donc rien validé du tout depuis…

Les caractéristiques douloureuses qu’on leur impute généralement sont donc fausses ?

Oui. De nombreuses méta-analyses (c.-à-d. des croisements d’études de grande envergure) ont été répertoriées dans un numéro spécial de la revue ANAE [dont le titre était « Le haut potentiel en question », en 2018]. Elles ont démontré :

1/que la santé psychique de ces enfants, lorsqu’ils ne consultent pas, est la même que les autres enfants, donc qu’il n’y a pas de fragilité psychique particulière liée au HQI [et donc, encore moins « due » au QI].

2/ Elles ont affirmé l’absence de singularité parmi les caractéristiques de leur cerveau, absolument équivalentes aux autres

3/elles ont aussi démontré que l’idée d’une pensée en arborescence (formule de Jeanne Siaud-Facchin) ne correspondait à aucune réalité observable (numéro d’ANAE, 2012).

4/ que leur réussite scolaire et professionnelle était plutôt meilleure que dans la population générale.

5/ que ces sujets n’étaient pas plus anxieux que la population générale (L. Martin en 2010)

6/ et leur sensibilité et leur émotivité étaient exactement les mêmes que chez les autres.

En bref, il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent pour justifier de maintenir cette entité de personnes “ HPI ” qui finalement se ressemblent aussi peu entre elles que les personnes blondes, brunes ou compétentes en art martiaux.

Ce qui est aussi passionnant que réconfortant, c’est que ces dernières avancées épidémiologiques, sociologiques et en neurosciences entrent en écho étroit avec les recherches sérieuses en psychologie clinique, mais aussi avec le positionnement plus particulier de la psychanalyse pour qui la sur-efficience intellectuelle, bien que largement étudiée, a toujours été un non-sujet pour orienter les prises en charge des patients. La psychanalyse parle de surinvestissement de la pensée, mais ce surinvestissement n’est absolument pas, en lui-même, perçu comme pathologique. Il peut être l’indicateur d’une défense lourde, comme chez “ les calculateurs prodiges ” étudiés par Serge Lebovici. Vous savez, ces patients à qui l’on donnait une date au hasard et qui retrouvaient immédiatement le jour de la semaine auquel elle correspondait. Par ex. : le 7 novembre 1932 ? C’ÉTAIT UN MARDI ! ». Il avait identifié que ces patients étaient au bord de la folie en fait, de la psychose autistique, et que ce surinvestissement de la sphère logique suppléait à leur vide identitaire, les maintenait dans un accrochage stérile au réel, constituait un ultime rempart avant de sombrer dans la désorganisation.

Mais ce surinvestissement de la pensée peut aussi signer un accès hyper sophistiqué à la sublimation intellectuelle sur fond de belle névrose… (donc ne peut en aucun cas être qualifié de symptôme). Pour la psychanalyse, finalement, le HQI ne témoigne de rien de plus que ce qu’il indique : un fort investissement de la pensée, pouvant être fondé par la pire des menaces psychiques, mais aussi par le meilleur des ressorts pulsionnels sublimés, entre plaisir de pensée et créativité. À ce titre, isoler le HQI et l’associer à un trait particulier n’aurait aucune pertinence.

Pourtant, de nombreux enseignants, parents, psychologues, éducateurs (etc.) reconnaissent à ces enfants des traits communs…

Alors en réalité ces enfants ont des profils très différents, je l’ai évoqué un peu plus tôt, qui finalement suivent essentiellement la logique de notre lieu de rencontre avec eux. Les enfants consultants de mon échantillon de thèse, par exemple, dont les QI étaient tous supérieurs à 140, provenaient de consultations psychiatriques et allaient mal (certains étaient au bord de la psychose, d’autres étaient très déprimés, etc.). Par contre, les enfants non consultants que j’avais recrutés dans un établissement scolaire lambda (et qui s’ignoraient) avaient révélé des profils très différents, dont certains étaient parfaitement sains [ce qu’on appelle « normalo-névrotiques »]. J’en ai moi aussi, de mon côté, déduit que souffrance et HQI pouvaient être dé-corrélés et que le HQI ne pouvait s’inscrire dans aucun « profil ». Je suis donc très heureuse de voir éclore toutes ces données épidémiologiques, neuroscientifiques et psychosociales qui entrent en écho étroit avec mes propres observations cliniques psychanalytiques.

Il y a par ailleurs quelque chose à comprendre du côté de la culture, qui me semble directement liée à tout ceci. Cette incongruité conceptuelle, d’ériger une qualité comme source d’exception inconfortable [« trop intelligent pour être heureux »] aurait-elle eu autant de succès il y a 50 ans ? Je ne crois pas. Elle arrive à une époque assez narcissique où les enfants sont devenus des faire-valoir de leurs parents et où la différenciation des générations est un peu gommée, notamment en termes d’autorité. Beaucoup de psy (sérieux ceux-là) ont abordé l’idée qu’aujourd’hui les parents étaient dans la séduction, plus que dans l’éducation… et tout cela a un retentissement sur l’évolution de la psychopathologie de l’enfant, c.-à-d. des symptômes des enfants. La majorité de ceux qui consultent dorénavant, qu’ils aient un HQI ou non, présente des problématiques de limites éducatives.

Ces enfants mal limités se distinguent tous par :

– une excitation psychique particulièrement vive (esprit critique, humour, avidité intellectuelle et/ou alimentaire, intolérance à l’ennui, irritation face aux répétitions d’informations, écriture bâclée, difficultés d’endormissement…),

– par un manque de distance avec les gens et les évènements (hyperréceptivité, sensibilité à l’injustice, hyperempathie),

– et par un intérêt précoce pour des thèmes renvoyant aux limites (tels que les dinosaures, les planètes et la mort)…

Lorsque ces enfants mal limités ont un HQI, la pensée est prise dans l’excitation psychique globale de ces enfants et se métabolise à travers une grande avidité ; sauf que cette soif d’apprendre et de maîtriser l’information apparaît aussi comme un moyen inconscient :

1/de nourrir une illusion de force et d’ascendant sur les interlocuteurs adultes (ces enfants supportant plus généralement très mal l’échec et de se confronter à leur impuissance),

2/, mais aussi de constituer le seul moyen de se canaliser (c.-à-d. de trouver un contenant à leur excitabilité — d’ailleurs, dès qu’ils quittent la tâche intellectuelle, le débordement pulsionnel reprend).

Pourquoi est-ce que je vous détaille ici les traits des enfants mal limités, qui constituent une bonne moitié des enfants consultant des psy contemporains en France ? Parce que cette description est exactement celle dressée par nos faux spécialistes du HPI dans les médias…

Vous m’aurez comprise, je pense donc que nos pseudo spécialistes ont attribué cette symptomatologie, cette excitation, au HQI de leurs petits patients, alors qu’elle découlait d’une problématique de limites éducatives. Et ont donc, sans le savoir, consacré l’ensemble de leur théorisation (livres, interviews, interventions dans les colloques…) à décrire une autre réalité que celle qu’ils pensaient définir [ils décrivaient simplement des « enfants mal limités consultant en cabinets libéraux », et non « les enfants à HQI »].

Comment expliquer que de nombreux psychologues se soient laissés séduire par cette vague médiatique ?

Je vous l’ai dit, ce fantasme de sujets « trop intelligent pour être heureux » ou « marginalisés par leur sentiment de différence » (autre formule cocasse, cette fois-ci de Monique de Kermadec, 2011)… ce fantasme est séduisant, car simple et positif.

Je pense aussi que le manque théorico-clinique en psychologie de l’enfant autour de ces problématiques de limites éducatives a sa responsabilité.

Dans l’enseignement en psychologie, l’enfant « débordant » continue à exister tel qu’il était décrit dans la littérature du début du XXème siècle : incompris, carencé et déprimé. Or, la psychopathologie de l’enfant a évolué et tous les acteurs de la pédopsychiatrie contemporaine s’accordent à dire que les consultations concernent dorénavant autant des problématiques de « trop » (donnant lieu à des troubles du comportement), que des problématiques de « pas assez » (donnant lieu à des dépressions). Je parle ici d’enfants choyés à la maison (par des parents présents, sains, hyper mobilisés et empathiques), mais présentant néanmoins une excitation permanente, une intolérance à la frustration et de la violence… Ces enfants sont « trop » curieux, trop exigeants, trop généreux, trop aimants, trop bruyants, trop sensibles, trop agités, etc.

Les psychologues n’ont pas été formés à cette problématique de « trop » d’amour, ils ne savent pas guider les parents pour rétablir les limites éducatives sur la scène familiale. Et l’enfant, qui est par ailleurs heureux, sensible, curieux, à l’aise dans la relation…, est ainsi fréquemment renvoyé chez lui au motif qu’« il va bien », mais sans solutions pour le rendre moins pénible avec son entourage.

On se trouve alors face à une impasse : que faire si les psychologues ne souhaitent pas plus que les parents incarner cette fonction limitante (donc frustrante) que l’enfant appelle à travers ses symptômes ?

Sans diagnostic ni prises en charge appropriées, ces parents tentent de trouver des solutions… et cet « espace diagnostic sans nom » se voit traité depuis des années par toutes sortes d’inspirations pseudoscientifiques dans lesquelles ont germé le « HPI », mais aussi les abus de « TDAH », les TOP ou « l’hypersensibilité »…

Quelles conséquences sur vos jeunes patients ?

S’entendre dire que tous nos symptômes sont dus à une intelligence supérieure, c’est très confortable. N’importe qui préfère recevoir un compliment plutôt qu’un diagnostic… Mais l’effet est de courte durée, car le vrai souci qui se trouve sous les symptômes, perdure.

Je vois arriver dans mon cabinet de consultation des enfants et des adolescents qui cohabitent depuis des années avec cette étiquette flottante qui a tenu lieu de diagnostic et a pris l’espace qui aurait dû être tenu par de véritables soins. Cela a généré chez certains des préoccupations anxieuses sur leur fonctionnement (ils disent se sentir « différents »), et chez d’autres un fantasme élitiste qui les a éloignés des autres (par ex., un discours méprisant sur la bêtise de leurs camarades, ou sur la lenteur des profs…). Il m’est même arrivé plusieurs fois d’entendre parler de drames en partie causés par ce faux diagnostic (suicide d’une adolescente).

Que conseillez-vous aux parents d’enfants diagnostiqués « haut potentiel intellectuel » et dont la souffrance ne s’est manifestement pas atténuée au fil des mois/années ?

Voici mes conseils.

À ceux qui envisagent de faire tester leur enfant pour savoir s’il est HPI ou non, vous l’aurez compris, je leur conseille d’y renoncer, car ça ne servira à rien. Il ne faut pas tester les enfants pour aller chercher un HQI, car une haute intelligence ne cause aucune souffrance. Cette démarche constituera donc toujours une fausse piste. Lorsqu’il y a souffrance, elle est ailleurs, du côté de l’affectivité.

En plus de ça, j’aimerais vous sensibiliser à un aspect déontologique que je trouve très important. Je pense, comme Weschler (qui est l’inventeur des tests d’intelligence qui sont utilisés partout dans le monde aujourd’hui) que ces évaluations du QI ne devraient être proposées qu’en cas de suspicion de DIFFICULTÉS intellectuelles, de difficultés autour des apprentissages. Je rappelle ici que le psychologue est censé être un soignant qui choisit ses outils d’investigation, et pas un vendeur de QI qui teste les enfants sur demande du public, pour assouvir la curiosité des parents… Le psychologue ne devrait jamais se laisser instrumentaliser dans l’exploration et la mise à nu d’un psychisme d’enfant. Ça n’est pas du tout anodin, c’est même potentiellement très effractant, et il faut qu’il y ait une grande souffrance chez l’enfant pour justifier de cette exhibition de son monde interne. Imaginez-vous entre vos deux parents à 8-10 ans, une dame leur décrivant en menu détail votre intelligence, donc également votre inintelligence (car on n’est généralement pas intelligents en tout)… alors ? Est-ce que la scène est confortable ? franchement…

Un autre problème provient du fait de prendre le risque que des scores moyens déçoivent des parents ou freinent l’enfant dans ses futures ambitions académiques ou professionnelles. Je m’explique. Je me souviens d’un centralien que j’avais reçu pour MENSA et qui avait majoré sa promotion en maths. Le bilan avait révélé un QIP (score de raisonnement logique) de 105 (soit dans la moyenne). J’avais recalculé 4 fois ce score… et je le lui avais annoncé un peu penaude. Or, lui n’avait pas été si surpris et il m’a tout de suite dit qu’il avait travaillé 200 fois plus que les autres pour prouver à son père qu’il en était capable. Sa performance a donc jailli d’ailleurs que de son équipement intellectuel évalué par le QI. Le désir, la revanche, l’ambition, le plaisir… sont autant d’ingrédients (de moteurs) impliqués de façon décisive dans la réalisation de soi… et pourtant ils ne non évalués par le QI Est-ce que j’aurais maintenu ces portes ouvertes à ce monsieur si je l’avais testé sur la demande de ses parents lorsqu’il avait 8 ans ? Avec un raisonnement logique de 105, je pense qu’il n’aurait jamais entrepris d’impressionner son père. Ce chiffre l’aurait découragé, comme un parchemin futuriste déterminant…

Mon conseil aux parents des enfants dont les symptômes ont déjà été imputés à ce chiffre de QI, c’est de ne pas tomber dans les solutions stéréotypées de sauts de classe, sur-stimulations ou hyper-tolérance à leurs excès. Lorsque certains psy peu scrupuleux vous expliquent qu’un enfant à HQI ne peut pas rester silencieux en classe, ne peut pas attendre et tolérer l’ennui 5 minutes : ils s’égarent. Produire un effort n’a jamais propulsé aucun enfant, même très intelligent, dans un malheur insurmontable. Si la mise en passivité lui est intolérable, c’est qu’il y a un problème d’un autre ordre (par exemple une dépression ou une problématique limite — peut-être autre chose) qui nécessitera, lui, d’être traité, et ce tout à fait indépendamment de son QI.

Voilà ce que je souhaitais vous dire d’essentiel aujourd’hui, en 2022, à propos du HQI. Je pense qu’il est vraiment temps que l’édifice de ce fantasme d’intelligence maudite se fissure, par respect pour la souffrance des enfants consultants qui en appellent à de véritables diagnostics et de véritables prises en charge, comme tous les autres enfants.

Mes conseils bibliographiques pour aller plus loin :

– Le premier livre absolument incontournable (au sujet de l’état des lieux de la recherche) : Le haut potentiel en question des Dr BRASSEUR et CUCHE, professeures de psychologie en Belgique (2017, éditions Mardaga).

– Le second, pour sa dénonciation du « marché » derrière l’entretien médiatique de ce fantasme : Dr Jérome PELLISSIER, maître de conférence en psychosociologie La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence, Dunod, 2021.

– À propos de la prise en charge de ces patients à HQI :

– Approche neuropsychologique et TCC : le podcast « métadechoc » avec Stéphanie Aubertin, psychologue.

– Approche psychodynamique : mon article dans Le journal des psychologues paru en 2012 : Soigner l’enfant surdoué ?

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Kermadec (de) M., L’adulte surdoué, apprendre à faire simple quand on est compliqué », Éditions Albin Michel, 2011

Marcelli D., L’enfant, chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Éditions. Albin Michel.

Golse B., « Les états-limites chez l’enfant et l’adolescent », revue Adolescence, 2015/4 (T.33, n° 3), p.771-778.

Siaud-Facchin J., L’enfant surdoué : l’aider à grandir, l’aider à réussir, éditions Odile Jacob, 2012

Besancon M. et Lubart T. (2012), A.N.A.E, 199, 425.

Goldman C., Établir les limites éducatives : Évaluation, diagnostic, action thérapeutique, Éditions Dunod, 2019

Goldman C., « Enfants surdoués : génie ou folie ? Articulations théoriques et projectives », Thèse de doctorat d’État en psychologie clinique et psychopathologie, université Paris V-Descartes.

Goldman C., « Le surinvestissement de la pensée chez l’enfant surdoué : trois études de cas », revue La psychiatrie de l’enfant, PUF, Paris, numéro 50, 2007/2, pp.527-570.

Goldman C., « Soigner l’enfant surdoué ? », Revue Le journal des psychologues, 2012.

Brasseur S. & Cuche C., Le haut potentiel en question, éditions Mardaga, 2018

Martin L. et al., Gifted Child Quarterly, 54, 31, 2010

Pellissier J. (2021), La fabrique des surdoués : dangers et imposture du marché de l’intelligence, Dunod, 2021.

Ramus F. & Gauvrit N., « La légende noire des surdoués », revue La recherche, mensuel 521, mars 2017.

Revol O., Poulin R., Perrodin D., 100 idées pour accompagner les enfants à haut potentiel, Éditions Tom Pousse, 2015.

Gauvrit N. & Guez A., « Réussite scolaire et professionnelle des personnes à haut potentiel intellectuel », revue A.N.A.E., 2018, Vol 30, N° 152 à 157.

Kermadec (DE) M., L’enfant précoce aujourd’hui, Éditions Albin Michel, 2015.

Guenole F., Baleyte J-M & Speranza M., «La santé mentale des enfants et adolescents surdoués : synthèse des données quantitatives », revue A.N.A.E, 2018, Vol 30, N° 152 à 157.

Ramus F., « Les surdoués ont-ils un cerveau qualitativement différent ? », revue A.N.A.E., 2018, Vol 30, N° 152 à 157.

Brasseur S. & Grégoire J., « Les jeunes à haut potentiel sont-ils hyperémotifs ? », revue A.N.A.E, 2018, Vol 30, N° 152 à 157.

Siaud-Facchin J. (2008), Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué », Éditions Odile Jacob, 2008

Rufo M. & Duverger PH. (2018), Qui commande ici ? Conseils aux parents victimes d’enfants tyrans, Éditions Anne Carrière, 2018

Colloque Parentel & la revue L’Autre : « Les traversées, d’une rive à l’autre », juin 2023

Grand plaisir d’annoncer que l’association Parentel et la revue L’Autre organisent les 15 et 16 juin 2023 un colloque qui aura lieu sur l’île d’Ouessant, dans notre magnifique « bout du monde » finistérien.

Ce colloque aura lieu en présentiel (places limitées – si la proposition vous intéresse, prenez dès à présent contact par courriel à cette adresse :  colloqueouessant@parentel.org ). Il sera également accessible par visio.

Ci-dessous l’argument et l’appel à communications.

Au plaisir de nous y rencontrer, et déjà un grand merci et bravo aux équipes de Parentel et à notre partenaire, la revue L’Autre et sa directrice scientifique, Marie-Rose Moro, pour cette extra-ordinaire proposition.

« Pourquoi se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France ? » par Emmanuel Hirsch

Un article intéressant pour aider à comprendre les questions complexes que le débat citoyen devra soulever.

Article publié le 13 septembre 2022 dans theconversation.com, original ici.

L’auteur, Emmanuel Hirsch, est professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay.

Le président de la République a lancé une concertation nationale sur la fin de vie, à l’occasion de la publication le 13 septembre 2022 de l’avis que le Comité consultatif national d’éthique consacre notamment à l’évolution possible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Dans cet avis n° 139, le CCNE revient sur sa position de 2013. Le Comité considère en effet « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte. »

Politisation de la fin de vie

Après s’être sécularisée, individualisée puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée, suscitant des débats de société. À défaut de recours moraux ou religieux incontestés, des législations tentent de « l’encadrer ».

Depuis les années 1980 se discute un art de mourir qui suscite des tensions profondes et des positionnements idéologiques controversés. Ce parcours complexe, dans un domaine intime qui concerne les valeurs profondes des sociétés humaines, est jalonné d’événements et d’étapes, dont témoigne l’évolution de notre législation entre 1999 et 2016, que nous détaillerons plus loin.

Chacun aspire à vivre jusqu’au terme de son existence, chez soi, de manière digne, en société. La vision d’une mort instrumentalisée et anonyme dans le contexte technique d’un service hospitalier est une source d’effroi que l’on refuse, quitte à solliciter de la médecine le dénouement anticipé, faute d’autres solidarités espérées.

Est-il désormais l’heure d’envisager en France, de manière responsable, une conception de la fin de vie médicalisée qui autoriserait, avec un encadrement strict, une pratique de l’euthanasie ?

Évoquer les conditions de la mort lorsque l’on n’y est pas confronté, pour soi ou un proche, laisse la liberté d’y penser sans autre enjeu que de s’y préparer. Mais face à la réalité, les circonstances sont toujours inattendues, spécifiques, délicates, douloureuses, pour ne pas dire exceptionnelles.

Un événement « exceptionnel » face à la routine et l’idéalisation

Il n’y aurait rien de plus redoutable que de systématiser des procédures et des protocoles selon des critères inspirés par une idéalisation compassionnelle de la mort dans la dignité, voire dans la liberté.

L’histoire doit nous rendre vigilants à l’égard de représentations, de discours, de normes et d’un esprit de système donnant prétexte à justifier l’injustifiable, y compris en respectant les formes de la légalité.

L’expérience pervertie et criminelle d’une euthanasie politisée et institutionnalisée, au nom de considérations légitimant la transgression, nous force à un devoir de rigueur, de retenue et à une exigence éthique insoumise aux tentations des renoncements.

« La notion de mort dans la dignité me paraît respectable comme une existence qui l’aurait été. L’idée même d’euthanasie me révulse car je sais, d’expérience, qu’elle peut être appliquée de manière dogmatique, mécanique, inhumaine. » (Bernard Kouchner, « La mort douce », France-Soir, 18 janvier 1999)

L’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide médicalement assisté, en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort. « Celle-ci consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable ».

Une législation octroyant au médecin le droit de donner la mort est-elle la réponse civilisée aux défis d’une souffrance existentielle dans notre exposition à la finitude, aux détresses des maladies ou des handicaps, voire aux altérations du grand âge qui parfois entament la force et l’envie de les surmonter ?

Penser la fin de vie

Autrefois valorisée, la souffrance était spiritualisée et rédemptrice. Aujourd’hui, la personne malade veut qu’on lui épargne l’insupportable et n’admet plus les consolations de l’au-delà. Elle revendique comme un droit fondamental l’apaisement de souffrances indues. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé indique dans l’article L. 1110-5 que :

« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reconnaît ce droit, au point même d’admettre que son « double effet » pourrait abréger l’existence de la personne (sans intention pour autant de provoquer directement sa mort) :

« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […] »

« Le droit de ne pas souffrir » justifierait-il, en certaines circonstances, l’exercice d’une « aide active à mourir » ?

Assister la fin de vie

Au moment où le président de la République souhaite engager une concertation nationale sur la fin de vie, rappelons l’article 1 de la proposition de loi donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie adoptée par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 1er avril 2021, ayant fait l’objet d’un vote favorable en séance plénière le 8 avril 2021.

Il est assez évident que cet article constituera le point déterminant de la future législation relative à la fin de vie :

« Toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée active à mourir. »

« L’assistance médicalisée active à mourir est définie comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin […] »

Cette « assistance médicalisée active à mourir » vise donc à répondre par l’euthanasie à la sollicitation d’une personne malade ou en fin de vie éprouvant une « souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».

Témoigner par un acte d’euthanasie notre respect à la personne qui n’en peut plus de l’existence qu’elle subit, est-ce la réponse humaine que notre société doit lui apporter, est-ce celle qui est attendue de notre part ?

La question mérite d’être posée, car plus complexe que l’injection létale déléguée à un médecin, assumer nos devoirs de non-abandon à l’égard de celui qui va mourir est un engagement éthique et politique au fondement même de la responsabilité humaine. Et c’est à cette valeur inconditionnelle qu’il nous faut être attentifs, d’une tout autre portée qu’une position favorable ou non à l’euthanasie, favorable ou non aux soins palliatifs.

Le devoir d’humanité envers celui qui part

Oui, être présent à ce que vit la personne dans la maladie et à l’approche de sa mort, lui témoigner la persistance de ce qui nous est commun en humanité, c’est avoir le souci d’apaiser et de consoler ses souffrances mais sans postuler que cette tâche est impossible ou inutile au point d’y renoncer en déterminant les règles de son euthanasie.

Trop de personnes vivent leurs dernières heures dans l’exiguïté et l’inconfort d’un box aux urgences de l’hôpital, faute de bénéficier de l’hospitalité et de la bienveillance que nous leur devons. D’autres meurent dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux encore peu préparés à leur prodiguer l’attention et le réconfort d’une assistance humaine digne.

Le « mal mourir » interroge les lieux de soin et d’accompagnement, y compris le domicile, là où, pour toutes sortes de raisons, la préoccupation du « bien vivre » a été reléguée au regard d’autres contingences, notamment d’ordre gestionnaire, organisationnel, voire économique.

Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances que certains ne supportent plus. Doit-on se résigner à admettre ce que le constat de carences institutionnalisées semble révéler de notre détachement social aux plus vulnérables ? Doit-on se résoudre aux normes et aux protocoles médicalisés d’une mort par compassion ?

Les techniques de la réanimation médicale, l’évolution sur un long temps de maladies dont le pronostic annonçait par le passé une échéance de mort rapprochée, ainsi que la longévité de l’existence, rendent parfois indistincte la frontière entre vie et « survie artificielle ». Solliciter de la part du médecin une « aide active à mourir » peut alors sembler préférable à la continuation d’une existence ramenée au sentiment d’une souffrance dont il faudrait se délivrer.

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les services hospitaliers de longs séjours au même titre que des établissements accueillant des personnes en situation de handicap sont apparus ces dernières années comme les symboles du « mal mourir ».

Si les scandales de fins de vie indignes doivent être dénoncés, il ne faudrait pas pour autant renoncer à évoquer ces morts intimes qui se vivent dans la sollicitude et la pudeur d’un accompagnement respectueux, au domicile ou en établissement. Nous y découvrons les valeurs d’une présence humaine jusqu’au bout, fort éloignées de toute « obstination déraisonnable », attentive à l’histoire d’une personne reconnue dans le droit de vivre sa vie jusqu’à son terme.

Nos visions péjoratives de la mort médicalisée, en réanimation ou dans l’isolement et l’anonymat d’une institution, ne sauraient nous inciter à conclure qu’une mort choisie et anticipée est la seule réponse adaptée.

N’a-t-on pas à repenser les conditions d’une fin de vie préservée dans son intégrité et son intimité, vécue dans un environnement humain et social à la hauteur d’attentes et de considérations vraies ?

Une difficile législation

Dès le 6 avril 1978, une législation favorable à l’euthanasie a été envisagée pour reconnaître le « droit de vivre sa mort » :

« Ce texte donne le moyen de s’épargner les douleurs, et d’épargner aux autres le tragique spectacle d’un corps convulsé ou celui triste, d’un corps étale et inerte. Il prétend non pas désarmer l’homme face à la mort, mais l’armer devant la douleur. Ne renversons pas la proposition. La vie reste le sursis. Le glissement vers la mort, le répit. Et non l’inverse. Les temps primitifs sont révolus. L’homme est avant tout un être doué d’intelligence et non un être de chair. Prétendre le contraire réduirait l’homme à peu de choses. » (Proposition de loi n° 301 relative au droit de vivre sa mort, Assemblée nationale, 6 avril 1978)

Pour autant, quatre textes législatifs successifs ne sont pas encore parvenus à instituer l’euthanasie dans notre pays :

La législation française actuelle est opposée à l’euthanasie, lui préférant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. À la demande de la personne malade ou en fin de vie, une injection est pratiquée en vue de la plonger dans un coma jusqu’à sa mort.

Une controverse porte cependant sur l’assimilation de cette sédation profonde et continue à une forme d’euthanasie ou d’agonie lente, l’exécutif n’ayant pas estimé politiquement opportun de soutenir explicitement le droit à l’euthanasie.

La loi ne concerne d’ailleurs pas seulement « des personnes en fin de vie » mais également, indistinctement, « des malades […] atteints d’une affection grave et incurable », qui, décidant « d’arrêter un traitement [qui] engage [leur] pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable », peuvent solliciter « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience main – tenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. »

Sommes-nous, en 2022, dans un contexte sociopolitique favorable à considérer que la réflexion développée depuis près de 40 ans aboutisse à l’ultime étape du parcours législatif : celle de la légalisation ou de la dépénalisation de l’euthanasie ?

Maîtriser ou subir ?

La prise en compte de l’autonomie d’une personne et de sa volonté de maîtriser son existence, en restant préoccupé jusque dans les conditions de la mort de sa dignité et de sa qualité de vie, est-elle l’argument justifiant de relativiser ou d’abolir des principes d’humanité qui ne se discutaient pas ?

Sénèque, dans un contexte culturel bien différent de notre modernité, affirmait déjà :

« Je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je veux habiter ; j’ai le même droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 26.)

La société française s’est sécularisée et, dans un domaine aussi sensible que celui qui concerne la fin de vie, les convictions traditionnelles ont évolué. Être soucieux de la dignité de la vie en certaines circonstances extrêmes peut inciter à discuter les justifications d’une vie encore digne d’être vécue. Il ne s’agit donc pas tant d’affirmer le « droit de mourir dans la dignité » que de revendiquer celui de ne pas poursuivre une existence qui s’avérerait incompatible avec des valeurs personnelles.

Le 24 février 1987, le sénateur Henri Caillavet, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), affirmait dans Le Monde :

« Il y a deux façons d’aborder la mort. La maîtriser ou la subir. En cela, le suicide conscient est l’acte authentique de la liberté de l’homme. Pour tous ceux qui considèrent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, que d’un bien elle est devenue une malédiction, nul pouvoir, serait-il religieux, médical, législatif, moral, ne saurait se dresser contre leur décision de mourir, parce qu’ils sont seuls juges de la qualité de leur vie. » (Henri Caillavet, « L’euthanasie : un mot qui ne doit pas faire peur », Le Monde, 24 février 1987.)

Le contexte social de la mort a changé

La médicalisation de la fin de vie est venue remplacer les rites du trépas. À l’exception d’événements exceptionnels, la perte d’un membre de notre communauté n’est plus inscrite dans le paysage social. Les endeuillés sollicitent des psychologues là où, auparavant, les solidarités et les accompagnements spirituels conféraient un sens aux moments du départ.

Les derniers témoins de notre vie seront plus souvent des professionnels de santé que les personnes auxquelles nous étions attachés. On meurt en anonyme dans un lieu qui n’est pas familier, avec comme ultime demande à faire reconnaître celle d’une « assistance médicalisée active à mourir ».

La société est sollicitée aujourd’hui non plus pour témoigner sa sollicitude à celui qui meurt mais pour lui reconnaître le droit d’abréger une existence qui semble ne plus être digne d’une considération sociale. Un tel constat est révélateur de nos conceptions du vivre ensemble et de notre souci du bien commun.

Il ne s’agirait donc pas tant d’instituer les conditions recevables d’une pratique de l’euthanasie que d’estimer, dans certaines circonstances exceptionnelles, que pouvoir solliciter l’aide active d’un médecin pour mettre un terme à l’évolution inexorable des souffrances d’une maladie relève d’une conception de nos obligations politiques.

Les évolutions des avis du Comité consultatif national d’Éthique

Le 27 janvier 2000, dans son avis n° 63 « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », le CCNE proposait le concept « d’exception d’euthanasie » et en développait certaines justifications :

« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. Mais, ce qui ne saurait être accepté sur le plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d’engagement solidaire. »

Dans son avis n° 121 du 13 juin 2013 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », le CCNE revient sur cette option :

« Certains membres du CCNE considèrent que le suicide assisté et l’euthanasie doivent – au moins dans certaines circonstances – être légalisés. Ils estiment que le respect de la liberté des individus doit aller jusqu’à ce point et permettre d’autoriser des tiers qui accepteraient de leur prêter assistance à le faire, sans risque majeur pour les liens de solidarité au sein de la société. Le Comité estime cependant majoritairement que cette légalisation n’est pas souhaitable : outre que toute évolution en ce sens lui paraît, à la lumière notamment des expériences étrangères, très difficile à stabiliser, il souligne les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie. »

Dans son avis n° 139 du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » le CCNE revient sur sa position de 2013 pour retenir cette fois « l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie » : « Certaines « situations limites » qui avaient déjà été évoquées par le CCNE dans son avis n° 129 conduisent à nous interroger à nouveau sur l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie. Il s’agit de la situation des personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, évolutive, mais conservant leurs capacités de discernement, et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, n’étant pas en capacité physique de se suicider, mais qui en expriment le désir de façon constante ; comment justifier que le soulagement des souffrances – s’il était permis à d’autres, physiquement valides, via l’assistance au suicide – leur soit refusé du fait de leur handicap ? La discrimination que générerait un tel refus pour les personnes non valides mais mentalement autonomes serait éthiquement critiquable. »

Il ne m’appartient pas ici de me prononcer sur ce qui est « éthiquement critiquable »

L’euthanasie est parfois assimilée à un meurtre :

« Plus qu’un meurtre, l’euthanasie est considérée comme un assassinat en raison de la préméditation qu’elle implique et de la faiblesse de la personne concernée, qui constituent des circonstances aggravantes. La volonté de la victime, même expressément démontrée, ne modifie en rien la qualification pénale du geste, et l’auteur d’une euthanasie ne peut s’en prévaloir. » (Robert Holcman, Inégaux devant la mort. « Droit à mourir, l’ultime injustice sociale », Paris, Dunod, 2015)

La question des limites

De ce fait, autoriser l’euthanasie, considérer cet acte comme l’ultime expression de nos solidarités suscite des controverses à la hauteur de ce qui apparaît comme une transgression. D’autant plus que dans les quelques pays européens qui ont dépénalisé l’euthanasie, les stricts critères encadrant au départ les pratiques ont évolué au point de donner droit à des demandes qui ne relèvent plus des principes édictés pour éviter les risques d’extensions incontrôlables des pratiques.

À terme, des limites tiendront-elles, dès lors que toutes sortes de bonnes raisons sont avancées pour les dépasser ? Défend-on les droits de la personne affectée de souffrances psychiques ou atteinte d’une maladie d’Alzheimer, voire seulement trop âgée pour avoir envie de poursuivre son existence, en convenant possible de lui permettre de bénéficier de cette libération d’une mort donnée par un médecin ?

Dans son avis n° 139, le CCNE pose encore quelques limitations « éthiques » au recours à l’euthanasie : « Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale. »

On a observé l’inconsistance de cette résolution formelle à l’usage extensif des législations qui ont précédé la France dans la dépénalisation ou la légalisation de l’euthanasie.

Il nous faudrait être plus attentifs à cette tentation de recourir à des instances éthiques pour cautionner, « au nom de l’éthique », des choix politiques qui justifiaient une intelligence du réel soucieuse de valeurs qui ne se bradent pas.

La concertation nationale débute en ce mois de septembre 2022, alors que la société française est confrontée à d’autres urgences qui auraient pu justifier, plus que l’euthanasie, un débat public.

Le président de la République estime le temps venu de cette conquête prioritaire du « droit de mourir dans la dignité » en bénéficiant « d’une assistance médicalisée active à mourir ». Anticiper les conditions de sa mort, les limites que l’on pose au temps de son mourir relève d’une démarche respectable et nécessaire à la fois philosophique et politique.

Les conditions sont-elles pour autant favorables à une délibération collective sur la fin de vie, dans un contexte sanitaire marqué par les tragédies de la pandémie, l’effondrement du système hospitalier, les difficultés d’exercice au quotidien auprès des personnes en situation de dépendance ou de handicap, et tant de précarité qui affectent le vivre ensemble ?


Emmanuel Hirsch est notamment auteur de : « Faut-il autoriser l’euthanasie ? » (First, 2019), « Vincent Lambert. Une mort exemplaire ? » (Le Cerf, 2020) et « Apprendre à mourir » (Grasset, 2008)

« La santé professionnelle » par Xavier Camby

Je dis régulièrement mon plaisir à partager les articles de Xavier Camby. En voilà un qui retient plus particulièrement mon attention parce qu’il me mobilise. Mon expérience – certes partielle et partiale – de manager durant 16 ans en entreprise m’a rendue sensible aux questions de la souffrance et du plaisir au travail, là où nous passons une grande partie de notre temps et vie. En partageant cet article avec une connaissance, sa réaction a été : « Vais-je oser partager cela à mon N+1, va-t-il seulement comprendre ? ». J’en ai été désolée, pour elle, mais aussi pour l’entreprise. Probablement, à certains endroits les mouvements de fond, qui sont perceptibles plus clairement ailleurs, sont encore pris pour des signaux faibles et interprétés à une grille de lecture passée. L’avenir notamment et aussi en RH se prépare aujourd’hui. Bonne lecture !

La santé professionnelle

Ou comment l’employeur peut être ou devenir un efficace partenaire de santé.

Article par Xavier Camby paru en mai 2022 dans HR Today.

La crise sanitaire finissante s’accompagne d’un profond renouvellement des perceptions de notre vie laborieuse (laquelle emporte environ 53% de notre existence).

Déjà perceptible avant l’intrusion du méchant microbe mais de plus en plus évidente au sein de nos économies occidentales, une pandémie de démission se répand. Le paradigme ancien, chimère née du taylorisme scientifique (seul ce qui se mesure est vrai) et d’un fantasme financier (seul l’actionnaire mérite d’être servi), semble sur le point de disparaitre, malgré son emprise encore sur certains empires… Tout récemment, un célèbre dirigeant confiait : « lorsqu’un salarié est heureux, c’est qu’il y a un problème de performance ». Un autre m’expliquait innocemment, que, nonobstant sa certification RSE, les formations imposées de santé/sécurité ou de leadership et ses engagements ESS comme ESG… si sa DRH était en burnout et sa secrétaire générale, à l’hôpital psychiatrique… c’était bien sûr imputable à leur vie privée ! Je brûlais de lui demander de me montrer leurs certificats médicaux d’arrêt de vie privée…

Une troisième pandémie, antérieure aussi et tout autant mise en exergue par celle du Covid, s’impose, perdure et croît, de plus en plus aiguë : celle des détresses psychiques – affectant premièrement les plus fragiles. Isolés et privés de contacts humains, matraqués d’incessants discours anxiogènes, privés de trop nombreuses libertés, celles et ceux, qui, au sein de nos communautés divisées ou disloquées développent de pénibles et durables souffrances psychiques, sont de plus en plus nombreux.

Dans les faits, cette forme de souffrance était déjà endémique en entreprise et dans beaucoup d’organisations, depuis plus de 3 décennies. Portée par nos croyances toxiques (et nos meilleures intentions) elles provoquent d’innombrables accidents psychiques professionnels, trop souvent maquillés. Le cloisonnement entre vie privée et travail, visant le respect intégral de nos vies personnelles semble légitime ; il se révèle pourtant irréaliste, dans la vraie vie. Et a peu à peu constitué – pour trop de dirigeants – un alibi ou un déni : le lieu du travail ne saurait en effet être, ni en aucun cas devenir, celui d’une détérioration de la santé psychique ! Cette santé au travail, la santé professionnelle, ne se limite pourtant pas à la seule prévention des accidents physiques, à la nutrition ni au sport, au babyfoot dans la cafeteria, à la mutuelle complémentaire ni aux éco-gourdes offertes à tous…

Définie en 1946 par l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » L’arrêt du Tribunal fédéral suisse du 9 mai 2012 sur l’Ordonnance 3 du Travail (OLT 3) dispose que : « Tout employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer et d’améliorer la protection de la santé et de garantir la santé physique et psychique des travailleurs. »

Le processus semble désormais inéluctable : le salarié talentueux choisira son employeur, non plus en fonction d’un salaire, mais en considérant d’abord le plaisir qu’il aura quotidiennement au travail et le respect intégral de sa personne. Et la garantie donnée de cette bonne santé physique, sociale et mentale deviendra déterminante pour l’attraction et/ou la rétention de nos collaborateurs.

Concrètement, cette santé professionnelle naît de comportements simples et de bon sens (donc très exigeants): des relations harmonieuses (non-conflictuelles, courtoises et respectueuses), la possibilité d’une authentique contribution individuelle et collective (et non pas seulement la soumission quotidienne à des carcans imposés de consignes péremptoires) et la prise en compte des besoins de développement personnel et professionnel (grandir et apprendre, non pas par sacrifice, au seul bénéfice de l’organisation, mais comme une authentique performance).

Notre monde change. Cette nécessaire santé professionnelle n’est pas une nième mode managériale. Chaque organisation aura à se réinventer, loin des paradigmes obsolètes et des croyances toxiques. En interrogeant premièrement toutes les personnes humaines qui la compose, pour ensuite ensemble co-décider d’une organisation collective solide et pérenne.

« Thérapie individuelle ou thérapie de couple ? » par Gaetana Vestamente

La question que pose Gaetana Vestamente est intéressante, et la vignette clinique sur laquelle elle s’appuie dans son article ci-dessous évocatrice. Rappelons, suivant le joli titre d’un livre de Philippe Caillé, psychiatre systémicien et psychanalyste, « Un et un font trois » (éd.ESF, 1991), que dans un couple on est toujours déjà « trois » : chacun des partenaires et le couple. Chacun des « ces trois » peut être reçu en consultation : chacun des partenaires du couple, qui sera alors reçu en thérapie individuelle, et de fait auprès de thérapeutes différents ; et l’entité « couple » constituée par les deux partenaires, qui seront alors reçu en thérapie de couple par un professionnel dûment formé à cet accompagnement. La question la plus intéressante à mon sens, qui surgit également dans mes consultations en individuelle, est celle de ce à quoi travaille chaque espace. Un espace en individuel pour quoi, un espace couple pour quoi ? Quelle que soit la thématique que mon patient aborde (son couple, son partenaire de vie, son boss, une relation familiale, amicale, sociale, etc.), la chose que nous pouvons mettre au travail dans un espace de thérapie individuelle est comment ce patient-là qui vient me consulter est affecté, vit, pense, à ce sujet. Il ne s’agit donc pas de « parler sur » (« sur » le couple, « sur » le partenaire, « sur » le boss, « sur » la relation familiale, amicale, sociale etc.) mais bien avec ce patient-là de ce qui lui, il vit. Pour le dire autrement, les questions sur un couple, sur un partenaire, sur un boss, etc. sont toujours bienvenues dans un espace de thérapie individuelle. Elles y seront de facto mises au travail sous un autre angle que dans un espace de thérapie de couple. Et, à mon sens et dans mon expérience, ces différents espaces et leurs angles de travail sont riches et complémentaires.

Pour les professionnels intéressés par la thérapie de couple, et aussi par celles et ceux que cela intéresse, j’invite à explorer le site L’Ecole du Couple fondé par mes collègues Anne Sauzède-Lagarde et Jean-Paul Sauzède en suivant ce lien : ici. Au-delà des propositions de formation, le site regorge aussi d’articles et de références bibliographiques. Bonnes découvertes !

Quel rôle prend le thérapeute individuel dans le Couple ? Que permet-il ? Qu’empêche-t-il ?

Article de Gaetana Vastamente paru en janvier 2022.

J’ai reçu un couple de 27 ans au bord de la rupture, madame hésite à quitter monsieur, elle a une relation extra conjugale depuis quelques mois. Pour lui c’est la douche froide !

Ce qui m’a frappée dans ce couple, c’est à quel point tout se fait séparément, isolément et qu’ en 27 ans, il ne se sont disputés qu’une seule fois… rien n’est jamais dit ! Elle exprime enfin : « je me sentais de plus en plus seule et ne l’ai jamais dit. » Lui :  « je travaille énormément et tout allait bien. »

Madame est en thérapie depuis plusieurs année, sa thérapeute individuelle est même devenue comme une amie ! Je les questionne sur la place , l’impact qu’elle pourrait avoir dans leur couple… la question leur semble saugrenue…  Pourtant, elle démarre la 2e séance, en disant que cela lui a fait un électrochoc : «  cela fait 10 ans que je me réfugie chez ma thérapeute plutôt que d’aborder les choses avec lui. Je voulais son avis à elle pour tout… même dernièrement sur la manière de rompre ou de continuer avec lui. J’allais toujours chez elle pour gérer mes frustrations dans mon couple…Je me suis rendue compte que je prenais ainsi soin de moi, je me sentais enfin écoutée, comprise… mais je ne prenais pas soin de mon couple»

Ce couple a ainsi pu aborder ensemble ce tournant … parler ensemble de ce qui a mené à cette crise, cette relation extra-conjugale…. Ne plus se retourner vers un tiers mais amener les frustrations, besoins, désirs dans le Nous. Ils ont ensemble réfléchi à comment elle allait rompre avec son amant, que dire aux enfants, aux amis…

Le Nous se crée, un nouveau couple se dessine de séance en séance… ils se parlent, décident ensemble, et découvrent que c’est possible

Mais pourquoi pas avant ? Elle : « parce que j’avais le prérequis qu’il n’était pas capable de me comprendre, d’échanger sur le plan émotionnel avec moi…. Et je retournais chez ma thérapeute… alors que je découvre à ma grande surprise que oui, il en est capable et cela ravive le Nous »

Lui : « je gérais ma vie de couple comme mon entreprise : si rien ne grippe, c’est que ça fonctionne … je ne m’étais pas rendu compte qu’elle n’était pas satisfaite »

Je ne peux m’empêcher de me demander … et si l’espace de la thérapie individuelle n’avait pas existé, qu’est-ce que cela aurait-il changé dans la circulation des frustrations, l’expression des besoins et la recherche commune de solutions au sein de ce couple ?

En tant que thérapeute individuelle qui reçoit de plus en plus de personnes amenant des problèmes de couple, quel rôle je joue au sein des couples que je ne vois pas?

Quel est mon rôle dans le développement du Je ? Quelle place je  prends en renforçant le sentiment que le partenaire ne participe pas comme il devrait au bien – être de mon client … « Il ne me comprend pas … ça ne sert plus à rien que je lui parle, je parle et ça ne sert à rien » ou  « je ne dis rien, il ne comprendrait pas… »

L’espace de dialogue du couple se déplace entre la thérapeute et son client , le mutisme augmente, l’incompréhension aussi  … car souvent le partenaire ne se rend compte de rien… Comme le disait Monsieur : « on fait de moins en moins de choses ensemble mais bon, c’est normal, il y a le travail, les enfants , la maison … et on va recommencer à voyager dès qu’on aura plus de temps… »

Le temps passe et le partenaire devient aux yeux de celui qui est en thérapie individuelle de plus en plus inadéquat.

Le client évolue, il change, …le partenaire ne le reconnait plus… cela le stresse et l’amène à répéter les mêmes attitudes, les mêmes comportements… La crise amplifie…. Jusqu’où ? La rupture ? La relation extra-conjugale ? La thérapie du couple ?

Même au plus fort de la crise, on peut remettre du dialogue, de la compréhension, changer la dynamique du couple et recréer du Nous… si les deux le veulent et se mettent au travail, c’est possible…

Aujourd’hui en tant que thérapeute individuelle et thérapeute du Couple, chaque fois qu’une personne me parle d’une difficulté avec l’autre partenaire, je propose une thérapie du Couple car je sais que l’espace privilégié pour faire grandir chaque individu par rapport à son couple est le couple lui-même, et que la thérapie individuelle encombre cet espace.

Stages de Hatha-Yoga – Morlaix – été 2022

Loïc Alemany – Hatha Yoga Bretagne – animera trois stages à Morlaix durant l’été, sur des thèmes variés.

Une séance de 2,5h chaque matin du lundi au vendredi,

chacune des trois semaines

du 11 au 15 juillet, du 25 au 29 juillet, et du 15 au 19 août.

Infos et inscriptions : 06 13 29 71 6

À PROPOS de Loïc ALEMANY, enseignant de yoga

 » Après plusieurs années comme élève, j’ai décidé de me former comme professeur de yoga pour enseigner à mon tour. Le yoga m’a en effet permis de trouver un équilibre de vie ainsi qu’une discipline, et m’apporte énergie, joie et discernement.

Je suis diplômé de l’Ecole Française de Yoga d’Aix-en-Provence. En parallèle, je poursuis des études universitaires en Master cursus « Langues, Littératures et Civilisations Etrangères ».

J’aime apprendre, et suis heureux de transmettre les enseignements, enchaînements, postures et techniques de méditation que j’ai acquis auprès de mes différents professeurs et enseignants.

J’enseigne en cours collectifs depuis septembre 2020 dans la salle de Jean-Michel Creisméas, professeur de yoga et docteur en sanscrit.

En 2021, je décide de faire un pas de plus et ouvre parallèlement ma propre salle à Morlaix, en centre-ville.

Je vous propose de découvrir ou affiner une pratique favorisant le bien-être tant physique que mental, basée sur une pédagogie précise, sérieuse, bienveillante, ajustée à chacun et laissant au pratiquant une grande liberté tout en bénéficiant de ma présence attentive et guidante.

L’ESPRIT D’ENSEIGNEMENT QUE JE PROPOSE

Le Yoga est une pratique et une discipline ouverte, qui se doit de pouvoir s’adapter à nos vies contemporaines pour que nous puissions bénéficier de ses bienfaits.

Remise en forme, reconnexion avec le corps, préparation physique et mentale, travaux méditatifs, le yoga se révèle utile dans de nombreuses situations.

Le Hatha-Yoga, une des formes du Yoga, est une pratique traditionnelle d’origine indienne, qui s’est transformé régulièrement au cours du temps. De nos jours, cette pratique est bien implantée dans notre monde moderne contemporain.

En constante adaptation, le Yoga a su se transmettre et se transformer, en tant que discipline du corps et du mental, à travers divers contextes culturels et sociaux, religieux ou athéistes. Aujourd’hui il permet tout autant de travailler le mieux-être corporel que la présence à soi, et de contribuer à l’unification de ces dimensions.

INTERVENTIONS

Je donne des cours en groupe et en individuel sur Morlaix et St Pol de Léon.

Je propose des cours à domicile sur l’ensemble du territoire du Nord-Finistère.

J’enseigne également dans la salle de Jean-Michel Creisméas, à Morlaix.

https://www.bibli.yoga/
https://www.bibli.yoga/equipe/loic-alemany

Je suis enseignant de Yoga, dans la résidence pour seniors Domitys, à Morlaix.

J’interviens également en entreprise et suis disponible pour répondre à toute requête spécifique. »

« Euthanasie en Belgique : après 20 ans de dépénalisation, le constat d’un échec »

Concernant la question de l’euthanasie, l’on trouve peu d’articles qui proposent au lecteur des éléments étayés factuellement permettant d’enrichir sa réflexion et qui ne se perdent pas dans un versant affecté, partiel et partial sur le sujet. Les deux articles ci-dessous sont publiés par le Gènéthique, « 1er site d’actualité bioéthique« . A lire.

Euthanasie en Belgique : après 20 ans de dépénalisation, le constat d’un échec

Publié le 24 mai 2022, original ici.

Il y a quelques jours le Journal International de Médecine interrogeait : en matière de fin de vie, un débat apaisé est-il possible ?[1] En guise de réponse, et alors que la nomination de Brigitte Bourguignon inquiète le milieu des soins palliatifs[2], l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) occupe l’espace médiatique. « Euthanasie: la loi belge permet “un accompagnement à la mort serein” » titrait l’AFP aujourd’hui, consacrant la dépêche à un entretien avec la présidente de l’ADMD. Une dépêche accompagnée d’une seconde : « Vingt ans après la loi sur l’euthanasie, un médecin belge raconte le “soin final” ». La mort, devenue un « soin » ?[3]

Une dépénalisation toujours plus large

A cette communication, l’Institut européen de bioéthique veut opposer de l’information. Avec la publication d’un dossier intitulé « L’euthanasie, 20 ans après : Pour une véritable évaluation de la loi belge », il propose une analyse factuelle de la situation en Belgique (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?).

Le Parlement belge a dépénalisé l’euthanasie en 2002 pour les personnes majeures. Avec un double objectif selon les auteurs de la loi : « offrir une solution d’exception aux patients atteints d’une affection “grave et incurable” provoquant chez eux une “souffrance constante, inapaisable et insupportable », et « mettre un terme aux euthanasies clandestines alors pratiquées ». L’euthanasie reste une exception à l’interdit de tuer, aucun « droit à l’euthanasie » n’a été instauré.

Dès son adoption en 2002, l’euthanasie est autorisée pour cause de souffrance psychique, que celle-ci soit associée ou non à une souffrance physique. Ce qui pose la question de la compatibilité d’une telle pratique avec les politiques publiques de prévention du suicide mises en place par les autorités, pointe l’Institut européen de bioéthique (cf. Tine Nys : la loi euthanasie devant la Cour constitutionnelle). En 2014, les mineurs sont autorisés à recourir à l’euthanasie, dès lors qu’ils sont « dotés de la capacité de discernement ». Et en 2020, la loi contraint les établissements de santé à accepter que soient pratiquées des euthanasies en leur sein.

Pour parvenir aux objectifs fixés par la loi, les moyens sont de deux ordres : « autoriser exceptionnellement un médecin à mettre fin à la vie de son patient à sa demande, dans le respect de conditions strictes, tant du point de vue de l’état du patient que de la procédure à suivre », et « garantir le respect de ce cadre légal à travers un contrôle systématique et rigoureux par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie ».

Une dérive tous azimuts

Vingt ans après, le constat est clair. Alors que l’euthanasie devait relever de l’exception, le nombre d’euthanasies a été multiplié par plus de dix depuis 2003, première année d’application complète de la loi. L’année dernière, un décès sur 40 en Belgique était le résultat d’une euthanasie.

Et alors que l’euthanasie devait s’adresser « aux patients atteints d’une affection “grave et incurable” », pour 16% des personnes euthanasiées en 2021, le décès n’était pas attendu à « brève échéance ». Un nombre d’euthanasies qui a doublé sur les dix dernières années.

D’ailleurs, « le patient a le droit de refuser un traitement de sa douleur (y compris palliatif), et de demander dans le même temps l’euthanasie en raison du caractère inapaisable de sa souffrance », pointe l’Institut européen de bioéthique.

Les patients euthanasiés alors qu’ils souffrent d’affections psychiatriques telles que la dépression ou l’autisme sont au nombre de plusieurs dizaines chaque année. Quand de nombreux psychiatres remettent en cause la notion de « caractère définitivement incurable » de telles pathologies.

Un contrôle inopérant

Plusieurs études montrent un « décalage important » entre la proportion d’euthanasies déclarées et la proportion d’euthanasies de fait, ainsi qu’entre la part d’euthanasies consenties et non consenties. 26 % des euthanasies réalisées en 2013 en Flandre n’étaient pas consenties[4] et 35,5% des euthanasies réalisées en 2013 dans la même région n’ont pas été déclarées à la Commission[5].

En outre, « l’appréciation du caractère “volontaire, réfléchi et répété” de la demande d’euthanasie, telle que le prévoit la loi belge, peut en réalité s’avérer délicat en pratique, s’agissant en particulier de la vérification de l’absence de “pression extérieure », souligne l’Institut européen de bioéthique. Car il existe un risque « non négligeable » que « la demande d’euthanasie trouve son origine dans une perte d’estime de soi voire une dévalorisation de sa propre existence par la personne malade et/ou en fin de vie ». Des sentiments qui « peuvent être notamment liés à l’accent – explicite ou implicite – mis par la famille, les proches, le corps médical ou la presse (à travers la médiatisation de certaines affaires) sur le lien entre le choix de l’euthanasie et la préservation de la dignité de la personne, pointe l’Institut. Se forme alors l’idée, chez le patient, que rester en vie et mourir naturellement constituerait un choix indigne, voire égoïste, ainsi que le sentiment d’être une “charge” pour ses proches ».

Vingt ans après, le constat d’un échec

Ainsi, « vingt après son adoption, le bilan de la loi belge sur l’euthanasie conduit à un double constat d’échec » conclut l’Institut européen de bioéthique. Le contrôle du respect des conditions légales par la Commission fédérale est « défaillant », et le nombre d’euthanasies clandestines n’a pas baissé et reste « préoccupant ». « Les arguments fournis en 2002 pour justifier la dépénalisation de l’euthanasie sont donc aujourd’hui caduques », résume l’Institut.

Et la loi a des effets collatéraux. Puisque « la pratique extensive de l’euthanasie en Belgique a aujourd’hui rendu impossible la mise en œuvre d’une véritable politique d’accompagnement des patients en fin de vie à travers les soins palliatifs, affirme l’Institut européen de bioéthique, en particulier dans un contexte où la disponibilité de ces soins reste contrainte budgétairement. » (cf. Euthanasie : des enjeux financiers)

[1] JIM Fin de vie : un débat apaisé est-il possible ?, Léa Crébat (21/05/2022)

[2] Le Figaro, Favorable à une «exception d’euthanasie», la nouvelle ministre de la Santé inquiète le milieu des soins palliatifs, Agnès Leclair (23/05/2022)

[3] La Haute Autorité de Santé définit un acte de soins comme « un ensemble cohérent d’actions et de pratiques mises en œuvre pour participer au rétablissement ou à l’entretien de la santé d’une personne ».

[4] K. Chambaere et al., « Recent Trends in Euthanasia and Other End-of-Life Practices in Belgium », The New England Journal of Medicine, 2015, vol. 372, p. 1180.

[5] S. Derickx et al., « Drugs Used for Euthanasia: A Repeated Population-Based Mortality Follow-Back Study in Flanders, Belgium, 1998-2013 », Journal of Pain and Symptom Management, 2018, vol. 56, n° 4, pp. 551-559.

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Euthanasie : des enjeux financiers

Publié le 13 avril 2021, original ici.

Le magazine l’Incorrect a mené une enquête sur l’euthanasie en Europe, mettant en évidence les enjeux financiers de la légalisation de cette pratique.

En Belgique comme aux Pays-Bas, le coût d’une euthanasie est « proche de 100€ ». On dénombre dans ces pays respectivement 2000 et 5000 euthanasies chaque année. En Suisse, cinq associations vivent de la pratique du suicide assisté : EXIT, EXIT A.D.M.D. Suisse Romande, DIGNITAS, EX International et Lifecircle. La plus connue, Dignitas, demande 9000€ pour un suicide assisté. En 2014, elle en a pratiqué 1700.

Quant à la France, où la loi n’autorise pas l’euthanasie ni le suicide assisté, la Fédération des mutuelles françaises y est favorable. « Les mutuelles n’ont pas du tout envie de se retrouver à devoir financer la dépendance » explique l’Incorrect, chiffrant les années de vie des retraités. 2000 euros par mois hors forfait de soins en Ehpad, auxquels s’ajoutent 2200€ mensuels si la personne âgée doit être gardée en permanence, « sans compter les aménagements du logement si la personne reste chez elle, dont le coût atteint en moyenne 4280 euros ». Si à ce jour « le coût de la dépendance est estimé à 30 milliards d’euros par an, dont 12 milliards correspondent à des dépenses de santé », il faut noter qu’en 2050 « une personne sur trois sera âgée de plus de 60 ans ».

Devant ce constat, les « mutuelles se battent pour que l’État finance cette dépendance en créant une nouvelle branche de la Sécurité sociale ». Mais leur fédération approuve l’euthanasie. Et les soins palliatifs manquent de financement.

Source : L’incorrect, Emmanuel Rechberg (12/04/2021)

« Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? » par Dr Jean-Marie Gomas et Dr Pascale Favre

Je reproduis ci-dessous la présentation du livre par l’éditeur, ainsi qu’une présentation des idées principales développées dans ce livre, présentées par le site Gènéthique d’une part ; par le Dr Eric Fossier d’autre part, avec qui j’ai eu le plaisir et la chance de travailler quelques années en EMSP – Equipe mobile soins palliatifs – au centre hospitalier de Morlaix, en milieu des années 2000.

Les auteurs

Dr JM Gomas est médecin généraliste, praticien hospitalier, formateur, enseignant universitaire. Spécialisé en médecine générale, en douleur, en soins palliatifs et en gériatrie, il a été secrétaire général fondateur du mouvement des soins palliatifs en France (SFAP : Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs) en 1989, puis expert relecteur et/ou co-auteur de quasiment tous les textes officiels sur ce sujet de 1990 à 2005 . A ce titre, il a été consulté par le comité consultatif national d’éthique, le Sénat, le Ministère, la Sécurité Sociale, l’HAS et le Conseil de l’Ordre pour la préparation de différents rapports et recommandations, et auditionné par la commission parlementaire préparant la Loi Leonetti.

Dr Pascale Favre est médecin, diplômée d’un DEA de droit de la santé. Doctorante en philosophie, elle est l’auteur en 2020 d’un mémoire de recherche en éthique médicale sur la position du médecin dans l’acte euthanasique.

Commentaires sur cet ouvrage

  • Par le site Gènéthique

L’humilité comme loi, le respect du patient comme guide

C’est ainsi que l’on pourrait décrire les motivations des deux praticiens auteurs de cet ouvrage. On peut y ajouter, si on ne craint pas l’abus d’évidences dans un domaine tel que celui de la médecine de fin de vie, l’intelligence et la rigueur. En effet, ce bel ouvrage nous invite à un effort de réflexion en trois étapes : il s’agit d’abord de nous aider à préciser notre vocabulaire sur des notions de base comme l’euthanasie, le suicide assisté, la sédation, la mort même ; ensuite, de tordre le cou aux préjugés et idées toutes faites véhiculées par les médias et autres penseurs plus ou moins officiels : « je veux choisir ma mort », « on ne peut pas le laisser souffrir comme ça », « mourir dans la dignité », etc. ; tout cela est passé en revue de manière sainement critique. Le lecteur est alors prêt à aborder la troisième étape, la plus importante, au cours de laquelle nos auteurs proposent un parcours de (re) découverte approfondie de l’univers redouté de l’accompagnement des patients en fin de vie. Nous sommes guidés par des praticiens qui nous font part de leur expérience des signes cliniques, du comportement psychologique des personnes en fin de vie, de celui des proches, amis et parents, pour évoquer enfin la partie délicate et mystérieuse des derniers instants ; le tout dans un constant esprit de respect du patient et de défense de la vie.

Aucun aspect n’est éludé, pas même celui de la spiritualité, même s’il est très rapidement abordé. Il faut saluer dans cet ouvrage l’honnêteté scrupuleuse et l’humanité dont ses pages sont empreintes. (par le site Gènéthique, premier site d’actualité de bioéthique ; publication originale ici).

  • par le Dr Eric Fossier

« Je veux choisir ma mort, c’est ma liberté ! » Cette parole de personne « bien portante » témoigne du décalage avec la réalité de ce que vivent les malades à l’approche de leur fin de vie. La question de l’euthanasie, masquée derrière l’expression trompeuse « d’aide médicale à mourir » est à nouveau dans l’actualité politique, le président nouvellement élu ayant annoncé vouloir lancer rapidement un débat citoyen sur la fin de vie, et suivre les conclusions qui en émergeront. Le sujet est régulièrement abordé avec des confusions majeures : ainsi un suicide assisté n’est pas une euthanasie. Si la société, au nom d’une revendication autonomiste, persiste à vouloir absolument une évolution, la moins destructrice des transgressions serait de faciliter l’accès à un produit létal telle qu’elle se pratique dans l’état américain de l’Oregon. Mais toute facilitation de l’administration de la mort resterait une régression sociétale et une rupture anthropologique. Et le médecin engagé dans le soin ne peut pas être celui qui administre la mort, à la lueur des expériences étrangères, et de leurs dérives, le chemin qui pourrait nous attendre !

  • dernière de couverture de l’ouvrage

« Je veux choisir ma mort, c’est ma liberté ! » Cette parole de personne bien-portante témoigne du décalage avec la réalité de ce que vivent les malades à l’approche de leur fin de vie.La question de l’euthanasie, masquée derrière l’expression trompeuse « d’aide médicale à mourir », s’avère très présente dans l’actualité politique. Or le sujet est régulièrement abordé avec des confusions majeures concernant le suicide assisté, l’euthanasie, la sédation profonde…

Ce livre clarifie le vocabulaire et propose de revisiter les croyances et préjugés qui obscurcissent la question de la fin de vie, en interdisant un véritable débat. Il donne les éléments éthiques et médicaux nécessaires à la compréhension des enjeux de la mort provoquée.Beaucoup plus largement, il y est question du chemin du mourir et de la finitude. Chaque fin de vie se révèle une histoire singulière jusqu’au bout, imprévisible, appelant des soins adaptés et toujours créatifs.Basé sur une longue expérience clinique des auteurs dans le domaine des soins palliatifs et sur un travail universitaire autour de l’impact de l’acte euthanasique sur le praticien, il est à destination du grand public comme des professionnels du soin.

Editions : Artège

Date de parution : 6/04/2022

Nombre de pages : 256

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