« Écrire pour mieux vivre », entretien avec Michel Le Brigand

Propos recueillis par Andrea Ostojic, paru 

Michel Le Brigand

Formateur, consultant et poète, il a publié Écrire pour mieux vivre (Eyrolles, 2019), où il propose une trentaine d’exercices pour nous faire ML.Brigand_.jpgdécouvrir le pouvoir libérateur de l’écriture.


Comment l’écriture nous aide-t-elle à vivre ?

Par sa dimension de régulation émotionnelle et par sa dimension de partage. Dans mon livre Écrire pour mieux vivre, je m’intéresse avant tout à l’écriture de soi, une forme particulière, tout à fait différente de l’écriture de transmission : une écriture réflexive, intime, qui permet une libération de la parole. Car l’écriture est d’abord une prise de parole, qui répond au besoin fondamental de l’être humain de s’exprimer, de faire sortir ce qui est à l’intérieur, en régulant ses émotions. Dans un second temps vient l’écriture de transmission, en adressant son texte aux autres. L’émotion prend alors un autre visage : celui du lecteur.

Vous êtes formateur et consultant. Comment utilisez-vous l’écriture dans votre activité ?

Outre le fait d’animer des ateliers centrés sur l’écriture de soi ou sur le geste artistique, je forme aussi régulièrement des personnes qui exercent des métiers de la relation, dans l’accompagnement, le soin ou la pédagogie, et dont les émotions deviennent presque un outil de travail. Souvent, elles ont pris l’habitude de les réguler par le dialogue verbal, mais vont forcément manquer de recul face à certaines situations. En vue de les amener à davantage d’autonomie, je les encourage à débriefer les situations par écrit. Écrire permet en effet de mettre à distance les émotions pour rétablir la pensée, surtout lorsque les choses sont conflictuelles.

Je propose aussi de travailler sur les petites voix intérieures, qui nous dictent des comportements, liés au conditionnement venant de notre éducation. Ces injonctions, nous nous les imposons à nous-mêmes, pour être un bon professionnel ou une personne acceptable en société. Mais ces voix intérieures sont parfois envahissantes, et prendre la parole avec une autre voix permet d’ajuster notre présence et nos intentions dans l’action.

Comment passe-t-on de l’écriture à l’action ?

Récemment, lors d’un atelier, j’ai invité les participants à écrire sur « le petit truc qui est resté coincé depuis 24 heures », cette petite contrariété, ce grain de sable, « ce pas grand-chose » qui a affecté leur humeur. A partir de ce matériau, ils construisent alors une démarche ajustée à eux-mêmes, puisqu’ils en sont les auteurs.

Après cette première étape, qui est celle des « écrits de ressenti », j’invite les participants à s’exprimer sur ce qu’ils ont produit et sur les émotions éprouvées au moment de l’écriture. C’est un moment d’échange, de transmission, de partage émotionnel. A force de coucher ses ressentis sur le papier par différents exercices, arrive le moment où une pensée surgit, le plus souvent apaisante. Une synthèse apparaît comme une vérité élucidante. C’est un déclic, une révélation, semblable à ce qui peut advenir dans le cadre d’une thérapie, quand on a l’impression que notre inconscient s’exprime malgré nous, que notre parole a dépassé notre intention.

Cette pensée-là, je vais la surligner, l’entourer, la réécrire : elle sera mon cahier des charges, mon leitmotiv pour les temps à venir. C’est ce que j’appelle les « écrits de cadrage ». Progressivement, on ira plus loin, en prenant des engagements pour fixer cette orientation et passer de l’intention à l’action, en fixant soi-même un périmètre. Ce sont des décisions d’autant plus fortes qu’elles sont prises par la personne elle-même, qu’elles sont le fruit d’un dialogue intérieur.

Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui souhaitent, par l’écriture, mieux réguler leurs émotions et développer leur potentiel ?

Je leur conseillerais d’écrire fréquemment, comme on prend du paracétamol en cas de douleur, c’est-à-dire dès qu’elles sentent l’émotion monter au point de bouleverser leur identité. Mais on peut aussi choisir d’écrire à heures fixes. Se donner ainsi rendez-vous chaque jour permet de constater les variations, les évolutions de nos interprétations de la réalité… Je regrette que dans certains livres de développement personnel, les exercices soient si directifs, ce qui permet peut-être de canaliser la personne, mais peut avoir un impact infantilisant. Or l’écriture, en tant que moyen d’expression, doit être à l’image de notre identité. Elle doit offrir un espace de liberté, dans lequel la subjectivité est pleinement acceptée.

Dans l’écriture de soi, le vrai et le faux n’ont pas d’importance. On a aussi le droit de reconnaître ses émotions négatives. Ce qui compte, c’est la manière dont je me représente une réalité à un moment donné.

Il est aussi important de garder à l’esprit que nos écrits sont jetables. On nous a trop dit que l’écrit était engageant. On a pourtant le droit de s’en débarrasser, comme on balance à la poubelle des mouchoirs usagés ! Cela peut nous aider à tourner la page.

Qu’en est-il de ce que vous appelez l’écriture de transmission ?

J’entends cette expression avec l’idée de faire du beau avec ce qui pourrait parfois être vécu comme désagréable. Dans une optique artistique, ces moments, que l’on pourrait autrement qualifier comme des troubles anxieux ou de la déprime, deviennent une matière pour se retirer et ainsi faire jaillir des messages inédits. C’est la vertu sublimatoire de l’écriture… Baudelaire parlait de ses « miasmes ». Ces moments sont alors requalifiés en une magnifique mélancolie, pour générer de l’exaltation, véritable force de production. A la fin, les gens vous lisent, entendent votre voix : ce qui était à l’intérieur a trouvé une issue partagée.

Propos recueillis par Andrea Ostojic, paru 

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