Sectes : la Miviludes bientôt placardisée?
par Thomas Rabino, publié le 13/12/2019 dans Marianne
Il en va de même pour les locaux exigus originellement accordés à la Miviludes : « Il n’a jamais été question de limiter à ce point l’espace dévolu à la Miviludes, assure le service communication de Matignon. Celle-ci disposera de l’espace suffisant pour que les agents puissent travailler, recevoir les personnes et entreposer les archives. L’identification des surfaces et locaux concernés est en cours et les décisions sur ce point seront prises dans les semaines à venir. » Des éléments plutôt rassurants aux airs de rétropédalage… Affaire à suivre.
Ces dernières semaines, une série de réunions au ministère de l’Intérieur – où sera versée cette Miviludes diminuée, a permis d’en savoir plus sur son avenir : « Personne n’a prévu quoi que ce soit pour notre déménagement », souffle, dépité, un collaborateur qui, à l’instar de ses collègues, ne se sent pas le « bienvenu » place Beauvau. Difficile de soutenir le contraire quand seulement deux bureaux, destinés à accueillir quatre fonctionnaires chacun, plus celui du responsable, ainsi qu’une salle de réunion, constitueront leur nouvel espace de travail. « C’est la fin de la confidentialité pour les victimes et leurs familles », constate-t-on en interne, où l’on parle volontiers de « mise au placard ». Le problème n’est pas qu’une question de superficie des locaux : « Jusqu’ici, les victimes des sectes venaient en toute confiance, on pouvait s’isoler pour échanger, et ils n’avaient pas à remplir toutes les procédures d’identification propres au ministère de l’Intérieur. La nouvelle organisation va en décourager beaucoup. »
SITE INTERNET BIENTÔT SUPPRIMÉ
Plus étonnant encore, le site internet de la Miviludes serait également menacé. « Sans site dédié, plus de visibilité », résume un proche de cette structure. « Sur Google, la Miviludes est très bien référencée. La plupart des victimes nous contactent par ce biais », témoigne un proche de l’institution. Mais la nouvelle qui a créé le plus de remous est la destruction programmée de vingt-trois années d’archives. Une documentation ô combien précieuse, ultra-sensible et utile par exemple aux policiers spécialisés dans la lutte antisecte : « Pour nous, c’est une source irremplaçable qui concentre un nombre colossal d’informations », témoigne l’un d’eux. « Quand je suis amené à enquêter sur un individu ou une organisation, je commence par examiner les archives de la Miviludes. On perd des décennies de travail, c’est tout simplement honteux. »
À l’heure où l’Église de scientologie s’implante de plus en plus fortement en France, il est en effet nécessaire de plonger dans ces archives : « Nous avons les premiers textes de Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, qui disent en substance que ‘‘les handicapés sont un poids pour la société’’ et qu’‘‘ils ne sont pas indispensables’’. Nous avons aussi les questionnaires autrefois soumis aux nouveaux adeptes, leur demandant s’ils avaient ‘‘fréquenté quelqu’un d’une autre race ou d’une race inférieure’’ ! Ce sont les racines de la Scientologie. Mais on efface l’histoire », s’indigne un proche de la Miviludes. « On a un savoir-faire, mais pas de faire-savoir », regrette-t-il.
S’il est en effet fréquent que le ministère de l’Intérieur communique sur les attentats terroristes déjoués grâce à l’action de ses services, rien n’est dit sur les massacres évités grâce à la Miviludes. « En 2012, on avait repéré un certain nombre de mouvements apocalyptiques, convaincus de l’imminence de la fin du monde, prêts à perpétrer des crimes similaires aux suicides collectifs de l’ordre du Temple solaire, entre 1994 et 1997 », affirme notre source. Le drame du Vercors -ces seize Français immolés par le feu, en 1995, sur un total de 74 victimes dénombrées en Suisse et au Canada, avait poussé le gouvernement à créer en 1997 la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, devenue Miviludes en 2002.
« INFILTRATION AU SEIN DE L’ETAT »
Chez les acteurs de ce combat, la question revient avec insistance : « Pourquoi dissoudre la Miviludes ? » Selon un policier qui travaille sur le sujet, « il y a probablement une infiltration au sein de l’État. » L’anthroposophie est par exemple présentée comme bien introduite. Né au début du XXe siècle et riche à milliards, ce mouvement international aux relents mystico-scientifiques était mentionné en 1999 dans un rapport parlementaire sur « les sectes et l’argent. » Fin connaisseur de cette mouvance à laquelle l’émission Complément d’Enquête vient de consacrer un reportage, le journaliste Olivier Hertel explique à Marianne : « L’anthroposophie dispose de moyens importants et de relais bien placés. Elle est présente dans l’éducation avec ses écoles et dans de nombreux secteurs de l’économie, y compris la santé, où il vend un médicament à base de gui dans le traitement du cancer. »
Bien qu’aucune étude scientifique sérieuse n’ait jamais prouvé l’efficacité du produit, la Miviludes avait été condamnée en avril 2018 par le tribunal administratif de Paris pour avoir mentionné dans son guide « santé et risques sectaires » la « médecine anthroposophique », évoquant sa « dangerosité potentielle » et des docteurs qui engrangent des « revenus très confortables. » Si la Miviludes entendait faire appel, celle-ci avait été stoppée dans son élan. En février dernier, Serge Blisko, ex-président de la Miviludes, admettait dans un courrier électronique : « Sur les conseils du cabinet du Premier ministre [Édouard Philippe, NDLR], nous devons rester en stand-by sur cette question. »
Seule certitude : alors que les associations antisectes voient leurs subventions rognées, voire supprimées, force est de constater que cette problématique ne fait plus partie des priorités gouvernementales. « Réduire le nombre de fonctionnaires » est ainsi la seule raison brandie par le service de communication de Matignon, qui n’a pas répondu aux questions de Marianne.