Un petit peu de grain à moudre…
par Géraldine Mosna-Savoye, émission « Carnet de philo« diffusée du lundi au vendredi à 8h50 sur France Culture
Réunions, coups de fil interminables, conversations sans intérêt… pourquoi supporter ces moments pénibles plutôt que d’en finir ?
Peut-être avez-vous déjà entendu ou déjà vu cette campagne du Ministère des Solidarités et de la Santé pour l’application TousAntiCovid.
Ce que j’aime tout particulièrement dans ce spot, c’est l’implication avec laquelle est dit le mot “pénible”, comme si tout à coup, la réalité faisait irruption, que cette personne devenait réelle et nous disait : “moi non plus, comédienne, voix de pubs, je n’en peux plus d’enregistrer ce genre de messages, je vous en prie, sortez-moi de là”.
Je sais bien que c’est tout le propos de cette campagne, mais ça reste toujours bon à entendre : enfin, une parole qui a le mérite de dire ce que j’aurais pu crier devant mon poste, à savoir : « arrête avec ton covid, j’ai pas envie de télécharger ton appli, j’ai juste envie que tout ça s’arrête… »
Et voilà comment j’en suis venue à ma question du jour : quand est-ce qu’on en aura fini ?
De la finitude
Si j’étais philosophe, je vous dirais que, covid ou pas, on en a toujours déjà fini. D’abord, parce qu’on va mourir, ensuite, parce qu’on a beau travailler, hélas, notre entendement reste limité, enfin, parce qu’il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas agir (revenir dans le temps par exemple). Bref, c’est le principe de la finitude, on est finis et il faut faire avec.
Reste donc la grande question philosophique : comment. Comment faire avec cette fin qui nous menace en permanence ?
En entendant cette publicité, j’ai toutefois imaginé la question inverse : est-ce qu’on pourrait tout arrêter nous-mêmes ? est-ce qu’on pourrait dire “bon, ben j’en ai marre, c’est fini pour moi là” ?
Je sais qu’il y a le suicide, les personnes qui s’enfuient… mais je ne pense pas à cela, je pense à toutes ces situations banales où, sans en venir à ces extrémités, on pourrait tout simplement s’en aller, mais que l’on préfère pourtant supporter.
Ces réunions, ces appels interminables, ces discussions sans intérêt, ce film très mauvais, cette file d’attente infinie… mais pourquoi on reste, pourquoi on attend, pourquoi on ne dit pas, comme dans cette pub, que c’est pénible ?
Quitte à être de fait condamnée à la finitude, qu’est-ce qui me condamne à ne pas en finir par moi-même ?
L’idée d’en finir… mais sans le faire
Imaginez, si comme ça, en pleine chronique, je partais… car c’est ça, le grand mystère : qu’est-ce qui me fait rester (et je ne parle pas de cette chronique) alors que je pourrais partir ? Alors bien sûr, vous pourrez me dire que c’est la possibilité de le faire qui compte et vous pourrez me citer cette phrase d’Emil Cioran :
Sans l’idée du suicide, je me serais tué depuis toujours ».
Le problème avec Cioran, c’est qu’il est toujours dans le drame et qu’il aurait dit la même chose à propos d’une file d’attente dans une boulangerie, du genre : “sans l’idée de pouvoir en partir, je ne serais jamais rentré”.
Mais pourquoi se complait-il dans ce genre de paradoxe selon lequel on peut bien ne pas en finir parce qu’on sait justement qu’on peut en finir ? Car le paradoxe n’est pas là pour moi, il est là : ne pas en finir alors qu’on sait qu’on peut en finir.
Et c’est tout le problème de cette idée de fin : on s’y condamne, on ne supporte pas de la devancer, comme si elle devait forcément s’imposer, nous guider.
Mais pourquoi la fin est-elle toujours vue comme notre but à atteindre coûte que coûte et pas comme un simple moment, une petite rupture salutaire, un arrêt choisi ?
Et si on tentait d’en finir avec cette idée de grande fin, d’en finir avant la fin ?
Merci Géraldine et Astrid pour ce billet… Par association d’idée il m’emmène à cette phrase que l’on entend souvent dans les entreprises juste avant les vacances « Je ne sais pas comment je vais pouvoir tout finir ». Cette idée qu’il serait un jour possible de « tout » faire, et donc d’avoir fini, qui bien entendu est immédiatement défaite par la simple notion qu’une entreprise donne à chacun plus de travail qu’il ne peut délivrer.
Faute donc de pouvoir jamais tout finir, et obligés de reconnaître que nous ne décidons pas de finir, mais plutôt que « ça se finira », nous en revenons au « que faire », à déterminer nos priorités, à choisir nos batailles et nous battre pour nos choix, et nous voici la proie d’un va et vient incessant entre la finitude et la responsabilité. Je souhaite accomplir un grand oeuvre, mais il me faudrait dix vies. Si je suis fini, que faire de ce temps limité? Si je n’ai qu’une vie, qu’une semaine, qu’une heure, a quoi sera-t-elle le plus utile? Ha la la… Decisions decisions, comme disent les angliches… 🙂
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