« Contre la résilience » par Thierry Ribault

La résilience est un concept proposé en psychologie en 2001 par Manciaux, Vanistendael, Lecomte et Cyrulnik comme suit : « Capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit d’« événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes sévères ». Aujourd’hui proposée à tout va dans tous contextes, elle fait l’objet de critiques.

Dans « La couleur des idées » du 24 juin dernier : La résilience est-elle une mode dangereuse ?

Les scénarios du pire, la question de la souffrance, de la perte et des catastrophes s’invitent dans La Couleur des idées, qui vous propose de partir de l’hypothèse suivante : et si, ce qui ne nous détruit pas ne nous rendais pas plus fort ? 

Et si le malheur n’enseignait rien et si rebondir après l’épreuve n’était pas une valeur ? Et si les politiques de résilience étaient une imposture en même temps qu’une réponse à la mode, très largement médiatisée et surévaluée ? C’est ce que questionne un essai de Thierry Ribault publié à L’échappé sous le titre de « Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs ». 

Funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours et à venir, la résilience érige leurs victimes en co-gestionnaires de la dévastation. Tel est le constat du chercheur en sciences sociales Thierry Ribault. Tout concourt, selon lui, à transformer l’humain en une matière malléable, capable de « rebondir » à chaque embûche, de faire de sa destruction une source de reconstruction et de son malheur l’origine de son bonheur, l’assujettissant ainsi à sa condition de survivant.

Il explique à Pascale Seys pourquoi la résilience constitue l’une des nombreuses impostures solutionnistes de notre époque

Regarder la vidéo ici : https://www.rtbf.be/auvio/detail_la-couleur-des-idees?id=2774182

« Nous ne sommes pas des huîtres » par O. Steiner

Ce court texte m’a plu pour ce qu’il interpelle sur des mots devenus « concepts » comme celui de « résilience », utilisés à tire-larigot, et devenant porte-bannière d’une vision du monde implicite qui ne se questionne pas.

Paru dans Libé du 5 janvier 2021, par Olivier Steiner, écrivain, original ici.

Que cache le terme de «résilience» élevé au rang d’idéologie ? Telle l’huître qui fait de sa souffrance une perle, on nous enjoint de sortir plus forts du malheur.

Tribune. A l’origine, le terme était physique, «la résilience» était la capacité d’un métal à résister aux chocs et à reprendre sa structure initiale – chaque matière ayant son propre coefficient de résilience. Puis le terme est devenu une qualité de l’esprit, celle de résister aux traumatismes et aux aléas de la vie, le fameux (et fumeux) «pouvoir de rebondir».

Ce fut ensuite au tour des ONG qui voulaient renforcer la «résilience des plus vulnérables». C’est arrivé ensuite dans le monde de l’entreprise et de l’économie, les ressources humaines se sont mises à considérer la résilience comme une qualité d’embauche sine qua non, une sorte de «monnaie positive». Puis le télétravail s’est imposé, devenant une norme au nom de la résilience en temps de confinement, et ça a contaminé tout le vocabulaire comme un cancer qui métastase : résilience du marché de l’auto, balles de tennis à haute résilience, résilience climatique, etc. Jusqu’au champ lexical des politiques : la «start-up nation» se devra d’être résiliante, on donna même ce nom à une opération militaire ainsi qu’à une capsule spatiale. Puis c’est devenu une valeur morale, un but, un objectif, une injonction : une vertu sans vertu. Et le développement personnel de nous répéter qu’il faut aller de l’avant, avancer, ne pas se plaindre, positiver, se relever, bla-bla-bla.

La résilience est partout, on parle même de villes résiliantes, inventives, connectées entre elles. Mais que cache ce gentil terme de «résilience» ? Il part d’une image a priori inoffensive, celle de l’huître qui pour se protéger du grain de sable qui la blesse, sécrète du calvaire (lapsus, du calcaire) faisant ainsi de sa souffrance une perle. Et cette image a la vie dure ! Peu à peu nous sommes sommés de fabriquer des perles. Une sorte d’idéologie de la croissance appliquée au malheur. Car la résilience qui était le nom d’une faculté ou d’une qualité exceptionnelle est devenue une idéologie aux inquiétants accents darwiniens, une croyance en une sorte de résurrection qui est de moins en moins appelée ou souhaitée mais plutôt exigée et attendue.

Plus grave encore, elle gomme la souffrance, la négativité, les blessures voire les morts. Un monde résilient ne veut pas remettre en cause un fonctionnement mais impose une sorte de devoir psychologique à bien aller quoi qu’il arrive en demandant aux gens de s’accommoder au système en place, qu’il soit économique ou politique.

C’est pratique, la résilience ! Exit la résistance mais vive la résilience ! Et si la résilience était la version positive de la soumission ? C’est ainsi qu’un gilet jaune résistant fera entendre sa voix dans la rue, un gilet jaune résilient restera devant sa télé. Imagine-t-on De Gaulle appeler «la Résilience» son mouvement contre le nazisme ? C’eût été perdu d’avance. La Résilience aurait cherché à faire avec, à composer avec l’occupation nazie. Résistance, qui suppose combat et communauté, tend à disparaître sous le mot de Résilience qui implique individualité et passivité. Macron ne s’y est pas trompé en appelant «Résilience» son premier plan d’action contre le Covid-19, il disait en sous texte qu’il ne s’attaquerait pas aux causes structurelles de l’épidémie, le politique aujourd’hui cherchant à sauver le système en place, pour tenter de survivre jusqu’à la prochaine épidémie.

Mais je ne suis pas une huître, je ne fais pas des colliers de perles de mes blessures, ce qui ne m’a pas tué ne m’a pas rendu plus fort, au contraire. J’ai eu du temps en 2020 mais c’était un temps empoisonné, négatif, morbide, peu favorable à la création, et non je n’ai pas été résilient, non je n’ai pas été «gentil», j’ai même été malade au point de passer à deux reprises par la case hôpital. Je ne suis pas mort, certes. Mais ce qui ne m’a pas tué m’a tué autrement. Serai-je résilient en 2021 ? On verra. Mais il est possible que je ne le sois jamais. Nous sommes toujours dans le temps du traumatisme, et je crois qu’il va durer, en appeler encore et toujours à la sempiternelle résilience (subito Résilient, Santo subito) c’est nier cela : ce temps de nos blessures, de notre douleur, de nos maux. Car enfin, si je ne suis pas cet être résilient que la société attend de moi, où sera ma place dans ce monde croissant, toujours plus positif, celui des héros résilients, et des autres culpabilisés et passés sous silence ?

Olivier Steiner est un écrivain, producteur de radio et chroniqueur français. Il publie en mars 2012 aux éditions Gallimard son premier roman, Bohème, et est récompensé du prix Rives Gauche à Paris avant de continuer avec La Vie privée en 2014. Il publie un nouveau roman en 2016, La Main de Tristan, qui est un récit intime entre l’auteur et le metteur en scène Patrice Chéreau, sélectionné pour le Prix Wepler.

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