« Les incestes, clinique d’un crime contre l’humanisation » par Jean-Luc Viaux

Dans cet ouvrage de 2022 JL Viaux, docteur en psychologie, professeur des Universités, expert honoraire et enseignant en psychologie légale propose un regard sur la clinique des incestes et ses conséquences dévastateurs sur la communauté des humains. Il expose notamment en quoi l’interdit de l’inceste, avec l’interdit du meurtre, est fondateur de ce qui fait société et humanisation. Il explicite également comment les « liens innommables », selon ses termes, se fabriquent, et comment les incestes peuvent être pensés en lien avec l’originaire du crime et l’ordre social. Sa contribution est plus que pertinente dans la mesure où la déconstruction et l’atteinte de la logique de la filiation dans les incestes est peu pensée. S’il y a trauma sexuel, il n’y pas que cela : il y a aussi désordre et chaos générationnels et dans les filiations qui déshumanisent. L’auteur pose également qu’il serait erroné de penser l’inceste père/fille comme paradigmatique – cf. l’article ci-dessous. Si le sujet vous intéresse, lecture recommandée.

ARGUMENT de l’éditeur.

 » Cet ouvrage entend renouveler le regard sur l’inceste : L’inceste est un crime contre la famille et l’humanisation autant qu’un crime sexuel. À partir de nombreux exemples cliniques recueillis en quarante ans de pratique, l’auteur décrit les différentes configurations familiales menant à l’inceste et son effet de déshumanisation.

À partir de nombreux exemples cliniques recueillis en quarante ans de pratique, Jean Luc Viaux entend renouveler le regard sur l’inceste ou plus exactement les incestes, car il n’est pas une seule façon de fabriquer une famille incestueuse. L’inceste n’est pas qu’un crime sexuel. C’est un crime généalogique qui attaque la filiation en créant des liens innommables. 

Revenant sur l’inceste père-fille dit « paradigmatique », l’auteur apporte une analyse des multiples configurations familiales construisant les incestes des pères, des mères, des fratries, etc.,  et leurs effets de déshumanisation. Le traumatisme de l’inceste ne se réduit pas aux seuls symptômes cliniques, c’est aussi un meurtre psychique par destruction des repères.

Les mouvements sociétaux récents, qui permettent que l’on entende la parole des victimes, ont engendré une frénésie législative pénale (quatre lois en cinq ans !). Or on ne peut combattre par la seule force répressive une problématique plurimillénaire et surtout solidement ancrée dans nos inconscients individuels et collectifs. Avant d’énoncer des réponses pour entendre/traiter/punir, il est important de s’interroger sur ce qu’il y a de plus troublant : pourquoi ce crime universellement réprimé continue de se perpétrer sur des millions d’êtres humains ? « 

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L’article suivant dont je copie quelques paragraphes apporte sa part d’éclairage dans la suite de l’ouvrage de JL Viaux.

Article publié en octobre 2022 par « Face à l’inceste« . Original et article en entier ici.

ENQUETE : Les femmes incestueuses, le grand tabou

Si dans l’écrasante majorité des cas, ce sont les hommes qui commettent un inceste, quelques femmes le font aussi.

Ces violences sexuelles perpétrées par des mères, des sœurs ou autres femmes de la famille restent un tabou, dans l’ordre de l’impensable. Ce non-dit se reflète sur les survivants et jusque dans les instances juridiques ou policières, lorsque les survivants prennent la parole. Face à l’inceste a mené une enquête auprès de ses adhérents et des professionnels des violences intrafamiliales relatant ces cas. Nous avons retenu les témoignages de neuf victimes, sur la quarantaine qui nous ont sollicités pour répondre.

Concevoir la violence sexuelle chez les femmes

Dans plus de neuf cas sur dix en France, les violences sexuelles sont masculines. En effet, les hommes représenteraient 92,6 % des agresseurs dans l’espace de la famille et des proches, selon l’enquête Virage conduite en 2015 par l’Institut national d’études démographiques (Ined), dont les derniers résultats ont été rendus le 23 novembre 2019. La violence sexuelle perpétrée par des femmes relève de l’exceptionnel. Dans le débat public et dans les sciences humaines et sociales, la question reste ainsi peu explorée. Ces femmes sont rares et leurs actes sont tellement noyés dans le flot de violences masculines qu’elles ne sont pas assez représentatives des violences incestueuses. Une première étude d’envergure sur ce sujet provient de la criminologue Franca Cortoni de l’université de Montréal (Female sexual offenders : theory, assessment and treatment, Franca Cortoni et Theresa Gannon, éd. Wiley-Blackwell), où elle a cherché à comprendre et déterminer l’ampleur du phénomène.

Les agressions sexuelles et incestueuses provenant des femmes sont difficiles à concevoir. Ces violences étant essentiellement masculines, elles sont d’abord associées à la virilité. Les femmes, -et surtout les mères- sont généralement écartées de l’idée même de la violence, étant idéalisées, elles sont perçues comme « naturellement » innocentes. Aujourd’hui encore dans la croyance collective, rien ne pourrait entraver l’« instinct maternel », cette idée reçue d’une alchimie bienveillante, naturelle et incontestable entre la mère et son enfant. Dans son témoignage, Karine*, survivante d’inceste à la fois par son père et par sa mère, nous explique qu’il lui a été plus compliqué de distinguer une agression sexuelle à un rapport « normal » avec sa mère qu’avec son père. Pour Véronique Wyck, psychothérapeute et professionnelle de la maltraitance intrafamiliale, il est aussi difficile de s’accepter en tant que victime d’inceste maternel : on a « du mal à se considérer comme victime car l’inceste maternel est impensable. C’est comme accepter un matricide. On tue la mère. Comme dans tout inceste, on s’expose à éclater le système familial. Mais encore plus avec la mère, car il y a eu l’attachement précoce. L’attachement maternel est le tout premier attachement » explique-t-elle. Pourtant, cette violence sexuelle des femmes et des mères existe, au même titre que celle des hommes et des pères.

Les violences sexuelles féminines et masculines

Les violences sexuelles intra-familiales et féminines sont-elles différentes des masculines ? Les femmes incestueuses feraient la même chose que les hommes incestueux. A l’instar des hommes, elles peuvent exercer un viol sur autrui, et cela au sens de la définition pénale. Depuis 1980 dans la loi, la relation sexuelle imposée par une femme sur un homme par pénétration digitale ou avec un objet est considérée comme un viol. Les femmes commettant l’inceste peuvent également exercer d’autres violences sexuelles, telles que l’exhibitionnisme ou les les confessions sur leur sexualité, par exemple. La plupart des patients de Mme Wyck ayant été violés par une femme membre de leur famille ont d’abord dû écouter des confessions de l’agresseuse sur sa sexualité.

(…)

Recevoir les plaintes des survivants d’inceste de femmes

De nos jours, parler en tant que survivant d’inceste féminin à son entourage reste une tâche difficile. Notamment à cause des stéréotypes de genre, représentant les femmes comme des coupables impossibles. Notre témoin Emmanuel déplore aussi l’approche viriliste de l’éducation des hommes, qui consiste grossièrement à garder pour soi ce que l’on subit. Il témoigne aujourd’hui auprès des associations pour faciliter la libération de la parole des hommes survivants de violences sexuelles.

(…).

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