« Remboursement : la psychologie a-t-elle un prix ? » par L.Darmon dans le JDP d’octobre

Dans le numéro du Journal des Psychologues 2021/10, un article de Laetitia Darmon qui reprend les questions que soulève la forme de proposition de remboursement des consultations auprès de psychologues faite par le gouvernement.

Original ici.

Les annonces d’Emmanuel Macron concernant l’accès gratuit à des séances de psychologie en ville bouleversent la profession. Sans pour autant parvenir à l’unifier, une majorité d’acteurs en appellent au boycott du dispositif. Ce dernier soulève en effet, dans sa mouture actuelle, des questions cruciales quant à l’avenir de l’exercice en libéral et à la capacité des psychologues de fournir des soins conformes à leur éthique.

Des séances de psy gratuites pour tous chez le psychologue en ville dès 2022. Le président de la République n’a pas ménagé son effet en présentant l’une des « mesures phares » des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie le 28 septembre dernier. Les modalités pratiques du dispositif sont désormais détaillées sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé. Les consultations concerneront des personnes de trois ans et plus, souffrant « de troubles légers à modérés ». Elles se feront sur prescription médicale, pour 8 séances, au tarif de 40 euros la première séance d’évaluation (durée estimée par le ministère : 55 minutes) puis de 30 euros les suivantes (40 minutes), sans dépassement d’honoraires possibles. Les psychologues seront libres de se conventionner ou non et pourront conserver un exercice libéral non conventionné en parallèle. Le dispositif « fera l’objet d’une évaluation d’ici à 2025, dans l’optique de poursuivre l’intégration des psychologues dans le parcours en santé mentale ».

Uber-psy

L’annonce présidentielle a créé une onde de choc dans la profession. Dans les communiqués des organisations syndicales et collectifs de psychologues, dans les groupes d’échange sur Facebook, dans les interviews et manifestations qui ont suivi l’annonce présidentielle, s’exprime largement la colère de n’avoir pas été entendus malgré des négociations menées ces derniers mois, mais aussi le sentiment de « mépris et d’incompétence des pouvoirs publics », de « maltraitance des psychologues et des patients » via une « ubérisation de la profession » et une « psychologie au rabais pour les plus pauvres ». Les sources d’inquiétude sont multiples, au premier rang desquelles le tarif, beaucoup trop bas pour être viable, et la prescription des consultations qui, outre qu’elle compromet « l’accès direct et libre » des patients au psychologue de leur choix et l’autonomie de ce dernier dans l’exercice de ses fonctions (deux éléments inscrits dans le code de déontologie de la profession), génère aussi beaucoup de complexité administrative. Allers-retours du patient entre le médecin généraliste et le psychologue pour obtenir sa prise en charge, difficultés du professionnel à se faire payer, paperasse : des témoignages de psychologues désabusés essaiment actuellement sur les réseaux sociaux, à la suite de leur participation à l’expérimentation de remboursement lancée en 2018 ou aux dispositifs de type SantéPsyÉtudiant et PsyEnfantAdo.

Paramédicalisation

Mais, pour Camille Mohoric-Faedi, cofondatrice du Manifeste psy, le mal est plus profond encore. « Il réside dans le fait de ne respecter ni le sens du travail psychique et de la psychothérapie, ni notre éthique, ni la souffrance des patients pour lesquels ce dispositif va être maltraitant, puisqu’il impose un parcours du combattant et engendrera des ruptures brutales de soin au terme des huit séances », explique-t-elle. Ce sont aussi les compétences des psychologues qui sont dénigrées. « Car remettre l’orientation première des patients au médecin généraliste qui est bien moins formé que nous en psychopathologie, nous limiter aux troubles légers et modérés ou encore nous imposer les modalités de la thérapie, c’est renier nos capacités cliniques et psychothérapeutiques ». Le psychologue devient un professionnel paramédical, soumis aux exigences des médecins et des caisses primaires d’assurance maladie. « Tous les arrêtés de ces derniers mois visent à mettre les psychologues sous tutelle médicale. Le gouvernement répond en cela à un courant très fort au sein du ministère de la Santé », renchérit le président du Syndicat national des psychologues (Snp), Patrick-Ange Raoult.

Ne pas entrouvrir la porte

Suivis par d’autres mouvements et collectifs, le Snp et le Manifeste Psy en appellent au boycott du dispositif. D’autant que, pour Camille Mohoric-Faedi, ce protocole risque de n’être qu’une première étape avant une généralisation du conventionnement et la fin du travail libéral tel qu’il se pratique aujourd’hui. « C’est ainsi qu’il faut lire l’annonce d’une évaluation en 2025 en vue d’une poursuite de l’intégration des psychologues dans le parcours en santé mentale », estime-t-elle. Si des professionnels mordent à l’hameçon, elle redoute qu’il soit difficile de stopper le mouvement. La cofondatrice du Manifeste Psy veut croire à la possibilité d’un boycott, se raccrochant au fait que les dispositifs SantéPsyÉtudiant et PsyEnfantAdo ont été massivement boudés par les psychologues. Mais d’autres sont persuadés que des psychologues y entreront. « Emmanuel Macron le sait bien. Il a exprimé avec cynisme que le conventionnement n’intéresserait pas des psys aguerris, mais qu’il serait bien profitable à leurs jeunes confrères peinant à boucler leurs fins de mois », relate Patrick-Ange Raoult.

PiS que tout ou mieux que rien ?

Pour l’heure, en tout cas, les négociations sur les modalités du « remboursement » se poursuivent. Ayant évoqué dans un communiqué son intention de « boycotter le dispositif s’il pass[ait] en l’état » [ndlr : c’est-à-dire avec une notion de prescription et non d’adressage], la Fédération française des psychologues et de psychologie (Ffpp) a choisi, au contraire du Snp, de rester présente dans les discussions avec la Caisse nationale d’assurance maladie. Une nouvelle réunion de travail a eu lieu le vendredi 7 octobre. La présidente de la Ffpp, Gladys Mondière, quoique défavorable au tarif proposé pour les séances, estime en effet qu’il ne faut pas balayer les avancées obtenues ces derniers mois dans le cadre des négociations. « Le public concerné par le dispositif a pu être étendu aux 3-18 ans, et la Cnam, longtemps arc-boutée sur la question de la prescription, a accepté par oral, depuis la rentrée, la notion d’adressage. Nous allons veiller à ce que cela s’officialise et travaillons sur l’idée d’un échange avec le médecin généraliste, sans bilan de fin de prise en charge ni allers-retours entre ce dernier, le psychologue et le psychiatre », indique-t-elle. Se voulant pragmatique, elle note que l’enveloppe budgétaire pour le financement des séances n’est pas illimitée, et que proposer huit séances gratuites est « mieux que rien pour la population ».

Que valons-nous ?

Pour Caroline Fanciullo, présidente d’une jeune association de psychologues, Propsy, il s’agit maintenant de questionner comment un dispositif à moindre coût, aussi éloigné de l’exercice professionnel des psychologues, peut être présenté par le gouvernement comme une panacée. Comment, sinon parce que la spécificité de ce métier n’est pas comprise ? Aussi faut-il à moyen terme effectuer « un profond travail de pédagogie et d’information pour que nous soyons catégorisés de façon plus adéquate ». Propsy a lancé avant les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie un sondage sur l’expérimentation du remboursement de séances de psychologie, auprès de 4 000 répondants médecins, psychologues et patients. Il y est notamment apparu que la reconnaissance de la spécificité du psychologue était soutenue par les jeunes médecins généralistes. « C’est avec eux qu’il faut œuvrer, communiquer. Les médecins ne nous écrasent pas volontairement, mais parce qu’ils ont une vision ancienne de notre métier qui est jeune, trop peu défini et structuré », estime la présidente de Propsy. « À ne rien vouloir expliquer, les psychologues restent invisibles, donc inintelligibles. Et renvoient juste l’image selon laquelle être psychologue, c’est savoir tendre un mouchoir. C’est tout cela qu’on doit changer. »

Le symptôme d’une débâcle ?

Mais beaucoup replacent ce dispositif dans le contexte de la paupérisation de la santé mentale en France. Animateur du collectif national des psychologues Ufmict-Cgt, Gilles Métais y voit le symptôme d’un processus global de libéralisation de la santé. Persuadé que le faible tarif proposé par le gouvernement ne sera pas tenable, il anticipe la mise en place d’honoraires libres, avec deux solutions : soit un paiement du complément par les patients soit par les mutuelles « qui ont bien compris l’intérêt d’investir dans la prise en charge psychologique ». Or, explique-t-il, « ce système va fragiliser la Sécurité sociale et nous faire basculer vers une protection santé sociale toujours moins performante, plus inégalitaire, là où le service public assurait autrefois la prise en charge de qualité de la population. Ce modèle est catastrophique et extrêmement coûteux pour certaines personnes, notamment celles nécessitant des soins pluridisciplinaires ». Aussi, après avoir défendu les psychologues en libéral sur la question des tarifs et de l’absence de prescription, son syndicat entend-il se recentrer sur la défense du service public. « Sans quoi beaucoup ne pourront pas être soignés. » Ce n’est en effet pas le recrutement de 800 etp (Éducateurs thérapeutiques du patient) de « personnel non médical » dans les cmp adultes et enfants, annoncé le 28 septembre, qui permettra de régler la crise profonde que traverse la psychiatrie.

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