« En thérapie » – la série sur arte

Seriez-vous passé à côté de cette information et les nombreux commentaires qu’elle soulève ? L’intérêt qu a, à mon sens, cette série du moment est qu’elle permet d’apprécier avec une certaine finesse ce qu’est un espace thérapeutique ; ni un « dépotoir », ni un espace où le professionnel apporte des réponses, mais un espace où, accompagnés, nous sommes renvoyés à nous-mêmes, dérangés et amenés pas à pas à déplier dans le sens de « sortir des plis » ce que nous « savons » et qui en même temps reste/restait inaccessible à notre conscience. La série permet également d’appréhender que le « psy » est tout autant humain et limité, et pas un « sujet supposé savoir », ni tout court ni ‘sur’ l’autre. Pour le reste la série est une reprise très proche de la version américaine « In Treatment » (années 2009 et suite) que j’avais beaucoup appréciée en la découvrant alors, et en ça elle manque d’originalité…

Je vous partage ci-dessous une interview longue mais intéressante parue dans Marianne le 11 février dernier, ainsi que, à suivre plus bas, l’interview d’un autre professionnel encore. Si Philippe Dayan, le « psy », est présenté d’obédience psychanalytique, si les interviews ci-dessous sont faits auprès de psychanalystes, la posture du « psy » de la série résonnera familière aux « psys » d’obédiences autres.

Le sujet « espace de thérapie » vous mobilise ? Bonne lecture !

Gabriel Byrne dans la version américaine.

« En thérapie » sur Arte : deux psychanalystes cinéphiles analysent la série

Propos par Nicolas Dutent, publié le 11/02/2021 dans Marianne. Original ici.

Éric Zuliani, psychanalyste à Nantes, membre de l’École de la Cause freudienne et Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre à Paris qui fut proche de Claude Chabrol dont elle a co-scénarisé plusieurs de ses grands films, commentent pour Marianne la série à succès « En thérapie » (Arte) signée Eric Toledano et Olivier Nakache.

Marianne : En tant que praticiens, comment jugez-vous la prestation de Philippe Dayan, le psychanalyste de la série En Thérapie (Arte) interprété par Frédéric Pierrot dont le professionnalisme rivalise avec la faillibilité ? Est-il comme nous, un peu trop humain ?

Éric Zuliani : La série a la prétention de s’inscrire dans le registre de la représentation artistique, ce dont je ne jugerai pas. Par contre, je me suis aperçu dès les premiers épisodes que ces représentations contenaient chacune une part de vérité de ce qu’on peut retrouver dans la pratique. Que révèle, par exemple, cette façon de montrer l’analyste faillible comme vous dites ? C’est imagé bien sûr mais ça souligne tout de même la priorité qui est donnée, en analyse, aux dits du sujet qui ont pour une part un tour d’avance sur le praticien. La psychanalyse ne s’est pas inventée autrement. L’œuvre de Freud témoigne de la manière dont les patientes avaient comme un pas d’avance sur lui ; mais pas sur leur inconscient dont elles étaient l’alphabet vivant. Côté « compétence », Philippe Dayan, un peu pataud, semble avoir un aperçu sur ce que parler veut dire, acquis par sa propre analyse, seul véritable chemin pour s’y former. Il va en contrôle auprès de Carole Bouquet, pratique nécessaire afin de nettoyer chez le praticien les préjugés pouvant faire obstacle au travail du patient.

Caroline Eliacheff: J’ai essayé (je dis bien essayé) de regarder cette série comme si je n’étais pas psychanalyste en imaginant ce que penserait un spectateur qui serait en analyse ou pas. Tout le monde a des a priori, positifs ou négatifs, sur « les psys ». La série les renforcera ou les modifiera : dans son cabinet, Dayan est une personne rassurante, présente, qui écoute et qui parle : il n’hésite pas à théoriser (sans imposer) ce qu’il comprend de façon assez didactique (pour le patient mais aussi pour le spectateur) mais a contrario, il ne répond pas aux questions. C’est son style. Cela rassurera ceux qui redoutent le fameux silence du psychanalyste. Faire parler son psy est le fantasme de tous les patients !

Il n’hésite pas non plus à utiliser sa culture. Cela m’a personnellement frappée car j’ai mis très longtemps à oser le faire. Or, Dayan écoute des personnes qui ne sont pas venues lui demander une psychanalyse. Quel que soit le motif de la consultation, son écoute va toujours au-delà de ce qui dit son patient et c’est en ça qu’on peut parler d’une écoute analytique : écouter quelqu’un, c’est pouvoir s’identifier mais pas trop à ce qui est dit, c’est quelquefois faire l’hypothèse qu’un sens viendra plus tard transformer ce qui n’est pas lié. On comprend que la difficulté d’écouter vient de ce que cela provoque chez le psy : ça ne le touche pas ou ça le touche trop, ça le désunit, l’émotion peut le déborder. Et le patient le voit car aucun n’est sur le divan. Le titre de la série est à cet égard explicite : « En thérapie » et non « En psychanalyse ». « Savoir quelque chose de la vie privée de son analyste, les patients en rêvent tous »

On remarque aussi à quel point chaque patient est hypersensible à la moindre manifestation du psy qu’il interprète lui aussi, à sa façon. Dans son dernier atelier, qui avait pour thème « Petit dialogue entre l’interprétation des psys et celle des rabbins », Delphine Horvilleur a fait remarquer que dans la série israélienne « Betipul », celle qui a inspiré toutes les séries suivantes, le psychothérapeute était interprété par un acteur très connu en Israël, Assi Dayan, le fils de Moshe Dayan, décédé en 2014. Dans la série française, le psychiatre s’appelle… Dayan, mot qui en hébreu signifie « juge » avec la double signification d’évaluer et de juger. Une forme de transmission qui n’est pas un hasard. Savoir quelque chose de la vie privée de son analyste, les patients en rêvent tous et se servent du moindre indice pour l’imaginer (le décor, un coup de fil, une rencontre inopinée avec un enfant etc.) quand ils ne vont pas sur internet. Dans la série, les spectateurs ont non seulement accès à la séance elle-même, lieu secret par définition, mais à la vie privée de l’analyste, lieu encore plus secret. Pour le spectateur, ce n’est plus un fantasme mais ça le reste (en partie) pour les patients.

Pourtant, on ne se sent pas « voyeur ». Cela tient au fait qu’il s’agit d’une fiction, écrite, composée, mise en scène, remarquablement jouée par des acteurs dont certains comme Carole Bouquet sont connus, et non d’une « vraie » séance. On ne regarde pas par le trou de la serrure avec la culpabilité qui va avec. Notre curiosité est légitime car le spectacle s’adresse à nous. Le téléspectateur découvre que ce psy, ce « sujet supposé savoir », en sait plus sur les autres que sur lui-même. Est-il rassurant ou inquiétant de voir qu’il ne se débrouille pas mieux que ses patients dans sa vie privée ? Qu’il enfreint les règles de sa profession non sans culpabilité ? Je ne sais pas. Dans Une histoire érotique de la psychanalyse (Payot), Sarah Chiche raconte par le menu les histoires vraies de ces dérapages qui, pour être l’exception plutôt que la règle, n’en existent pas moins depuis que la psychanalyse existe. Cela donne du grain à moudre à ses détracteurs mais montre aussi que la psychanalyse n’est pas une assurance tout risque, ni pour le patient, ni pour le psy.

Qu’en est-il des représentations que la série véhicule de la psychanalyse en tant qu’expérience ?

É.Z. : La série a son importance en matière de ce qu’on pourrait appeler la politique de la psychanalyse. Elle révèle un état de fait, souvent masqué par la critique de la psychanalyse depuis… son invention, en fait ! En vérité, « les gens », terme auquel Lacan a donné sa dignité, savent parfaitement que quand quelque chose cloche sérieusement dans leur existence, rencontrer quelqu’un à qui parler est plus pertinent que de se mettre à la marche, à manger du chocolat ou à remplir tests et questionnaires ! La série a le mérite de percer le mur des opinions, et de se centrer sur l’expérience en tant que telle. Je crois bien que c’est la première fois qu’il s’agit d’une représentation plutôt lacanienne de la psychanalyse. Par exemple, régler la durée d’une séance sur le dit du patient plutôt que sur l’horloge, comme c’est le cas dans la série, ne fait problème pour aucun des patients que j’ai été amené à rencontrer.

C.E. : Ce n’est pas parce que la psychanalyse ne peut pas tout qu’elle ne peut rien. La série utilise tous les ressorts du roman policier et du feuilleton et une psychanalyse ressemble par bien des aspects à un roman policier et à un feuilleton. Quelle est la cause de mon désir ? Pourquoi un tel écart entre ce que je prétends vouloir être et ce que je mets en place pour ne pas y arriver ? etc. La série raconte que se questionner transforme le patient et le psy mais que le résultat est imprévisible. Il ne s’agit ni d’idéaliser la psychanalyse, ni de la dénigrer, mais on voit qu’elle a incontestablement des effets.

L’intrusion d’une caméra dans l’intimité sacrée d’un cabinet de psychanalyse n’a rien d’évident… Peut-on, selon vous, filmer la psyché ?

É.Z. : Votre question évoque deux plans différents. Le premier concerne la présence, l’intrusion dites-vous, à juste titre, d’une caméra dans l’intimité. La chose n’est possible que dans une série ou dans un film. Par contre des intrusions, il y en a en séance : faire un lapsus, s’entendre formuler une vérité, faire un rêve que l’on juge indécent… Lacan a forgé un terme pour dire cet intime pourtant méconnu et qui surgit en analyse : l’extime. Mais l’art, par contre, est parfaitement capable de pénétrer quelque chose de l’existence humaine et de la folie qui l’accompagne comme son ombre. Dans la littérature, le cinéma, les séries aussi, on a chance de se ressaisir des ressorts dramatiques d’une existence humaine toujours plus réduite, jusqu’à la niaiserie, par le psychologisme ambiant.

C.E. : Il serait illusoire de croire que filmer une séance réelle de psychanalyse (ce qui ne devrait jamais se faire) donnerait un accès à ce que vous appelez la psyché. Mais la fiction est une représentation. Ayant moi-même eu l’occasion d’écrire plusieurs scenarii (dont “La Cérémonie” de Claude Chabrol) je me suis bien sûr interrogée sur cette « représentation de l’âme » au cinéma. Ce n’est pas le dialogue qui y donne accès mais le corps. C’est magnifiquement montré dans la série, à la fois par le jeu très expressif et très juste des acteurs et par la façon dont ils sont filmés, chaque réalisateur ayant d’ailleurs son style grâce ou en dépit des contraintes communes à tous. Le texte raconte une histoire. Son interprétation avec ses failles (lapsus, silences), le corps par sa posture et ses déplacements et le visage dans ses expressions donnent accès à l’inconscient. Je trouve que la durée de chaque épisode, limitée à 25 mn alors que les séances chez Dayan durent 40 mn a aussi un effet de surgissement de l’inconscient par la concentration du temps et de l’attention. C’est une idée brillante !

La rencontre entre psychanalyse et cinéma n’est pas nouvelle. En tant que réalisateur, Woody Allen est un éclatant pionnier. Côté séries, on se souvient (notamment) des séances du mafieux attachant des « Soprano »…

É.Z. : Dans les films de Woody Allen, c’est une référence fréquente, en tant qu’il l’a pratiqué un bon nombre d’années. Cela donne un nouage entre ses films, la vie et ce qu’est une expérience analytique qui s’équivalent. C’est la langue qui en est le point commun. « Les Soprano », c’est très amusant : ça donne l’idée de ce qui peut surgir et qu’on appelle symptôme, qui se met en croix sur le chemin de ce que vous entreprenez, quelle que soit cette entreprise, fut-elle mafieuse ! Il y a eu « Freud passions secrètes », « A Dangerous Method » ou encore « Princesse Marie », mais cela reste des films sur des personnages, et non sur l’expérience analytique en tant que telle. Dans “En thérapie”, il y a une volonté de rendre compte de cette expérience. Est-ce possible ? Je ne sais pas. Je sais que des analysants, dans notre École, par exemple, témoignent, au terme de leur analyse, de ce que fut leur expérience : c’est plus convaincant !

C.E. : En regardant “les Soprano”, je me suis totalement identifiée à cette psychanalyste : on aspire plutôt à recevoir un patient n’ayant aucune culture analytique car ceux qui en ont s’en servent comme d’une armure qu’on appelle une « résistance ». Et l’idée de se confronter à un mafieux, personnage complexe qui à l’extérieur impose sa loi mais qu’un trouble intérieur conduit à rencontrer une personne qui ne va pas marcher, est pour le moins excitante. Chez Woody Allen, le psychiatre-psychanalyste est un personnage parmi d’autres. À ma connaissance, il est le premier à avoir montré que le fantasme de coucher avec son analyste attribué au patient est aussi un fantasme de psychanalyste. Nous rions de ce retournement quand la psychanalyste qui a couché avec son patient et l’a épousé lui reproche de coucher avec une de ses patientes ! En moins drôle, cette situation est reprise dans la série dont nous parlons. Les hommes sont plus conformistes ou plutôt plus conforme à l’idée qu’on se fait d’un psychanalyste et c’est leur caricature qui fait rire. Le but de la psychanalyse américaine est exprimé dans Zelig quand le docteur Fletcher dit : « Je suis heureuse de pouvoir rendre à la société un individu utile et sûr de lui ». Mais la névrose générique des personnages de Woody Allen, c’est Mia Farrow dans « September » qui le dit : « J’ai toujours voulu vivre, c’est ça mon problème ». Ses personnages sont à la fois des déçus et des drogués de la psychanalyse. Et la drogue, finalement, c’est toujours décevant car elle n’apporte pas ce qu’on en attend.

L’acteur principal de la série, c’est peut-être la parole. Que peut la parole dans la psychanalyse ?

É.Z. : C’est sans doute le tour de force de la série que de réussir à nous faire captif de cette parole rendue réelle. Ce n’est sans doute pas dû seulement à un travail de metteurs en scène mais aussi à celui des scénaristes. Cette parole, pour devenir réelle, nécessite d’être accueilli par un silence, ce que Dayan essaie de faire tant bien que mal (rires). Du côté du praticien il y a aussi un « apprendre à se taire ». En somme, il ne s’agit pas de faire parler, mais de laisser parler, ce qui n’est pas la même chose. J’ai été frappé dans les premiers épisodes par le côté difficultueux de cette parole pour chacun des personnages, ce qui se vérifie dans la pratique. Il ne s’agit pas là de la version bavarde de la parole, dont on peut user tous les jours. Le dispositif analytique modifie l’usage que l’on fait de la parole. Et ce que peut alors la parole ? C’est dire, bien dire.

C.E. : Voilà ce qu’en dit Freud dans L’introduction à la psychanalyse : « Avec des mots, un homme peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir, et c’est à l’aide de mots qu’un maître transmet son savoir à ses élèves, qu’un orateur entraîne ses auditeurs et détermine leurs jugements et décisions. Les mots provoquent des émotions et constituent pour les hommes le moyen général de s’influencer réciproquement ».

L’attentat terroriste du Bataclan hante l’esprit des patients ici. Avez-vous constaté  dans votre cabinet que cet événement était un tournant traumatique ?

É.Z. : Je trouve très malin d’avoir pensé la série, et donc les personnages dans leur rapport à un tel événement. On aperçoit, du coup, qu’au regard d’un tel événement, chacun à sa façon d’y répondre, d’en répondre pourrait-on dire, y compris le praticien. Pourquoi d’en répondre ? Parce que chacun s’y trouve impliqué, à son corps défendant. Et à sa manière, il se trouve dans une sorte de devoir d’en faire quelque chose, de résoudre son implication. Il ne peut s’en laver les mains. C’est particulièrement illustré par le policier. Il entre dans le Bataclan et voilà qu’une main ensanglantée lui saisit le bas de son pantalon. Le voici impliqué, n’ayant pas pu secourir la personne, éprouvant les retentissements de ce fait apparemment anodin, jusqu’au plus profond de lui-même. On ne mesure pas bien la puissance des mots : ceux qui sont dits – que vous dites ou qu’on vous dit -, et ceux qui ne sont pas dits tout autant.

C.E. : L’attentat du Bataclan montre que les événements extérieurs entrent dans le cabinet du psychanalyste mais que ses effets dans la cure sont imprévisibles et tout à fait personnels : le présent renvoie au passé. La période que nous vivons a bien entendu des effets, les patients en parlent énormément mais, quoi qu’on en dise, ces effets ne sont pas généralisables. Quant aux personnes qui vont bien, elles n’osent pas le dire…

Que dire des profils retenus ? Sont-ils archétypaux, probants ? Vos propres patients ont-ils vu et commenté la série ?

É.Z. : Archétypaux oui sans doute, en tant qu’ils sont des personnages de fiction. Mais cependant, comme je le disais ils recèlent des éléments bien réels. Bien sûr que le personnage de la chirurgienne, par exemple, est excessif dans les manifestations de ce qu’on appelle le transfert. Pourtant, ça dit une chose vraie sur un point de ce qu’on appelle le transfert. Le psychanalyste devient un élément important dans la vie du patient, en tant qu’il permet un lien authentique que constitue une analyse, et un lieu où se loge le plus précieux de vous-même. La jeune patiente au plâtre représente plutôt pas mal une certaine considération de la jeunesse aujourd’hui toujours plus réduits à ses performances. Recevant des jeunes, je constate l’extrême délicatesse avec laquelle ils abordent les problèmes auxquels ils sont confrontés : être vivant et sexué, traversés comme chacun par des passions. Le policier souligne la difficulté à se faire à la permission de dire, qui se vérifie dans la pratique. Le couple soulève des questions… de couple : c’est peu et c’est tout dire ! Dans la pratique les problèmes de couple se disent et se surmontent plutôt au singulier : à chacun son symptôme !

C.E. : Il n’y a pas d’archétype de patient. C’est ce qui fait le charme de notre métier : chaque personne est unique, elle nous enrichit, nous enseigne et nous transforme. Mais les choix qu’ont fait les créateurs de cette série montrent que qui l’on soit, homme ou femme, jeune ou vieux, d’un milieu modeste ou pas, quelle que soit la nature de la demande initiale, que l’on croit ou non au bienfait d’une cure, on peut tenter l’expérience bien que ce ne soit pas toujours une partie de plaisir. Tous les patients parlent de la série, parfois sur le pas de la porte, parfois en commençant, comparant ma pratique avec celle qu’ils découvrent : « leur » psy n’est pas comme Dayan ! Chaque patient est différent mais chaque psy aussi ! Ils sont surpris (et je l’ai été aussi) par l’agressivité manifestée lors des premières séances, celle que peut-être ils n’ont jamais osé exprimer où qu’ils n’ont jamais ressentie. Je dois avouer que si la série a un effet sur les patients, elle en a aussi sur moi : il m’arrive fugitivement de penser en me moquant intérieurement de moi-même : « Que dirait Dayan s’il était à ma place » ?

La psychanalyse sort-elle gagnante de ce qui peut être compris comme un effort de banalisation ?

É.Z. : J’ai été surpris par la réception et le succès de cette série. Et plutôt étonné de la qualité après le visionnage de quelques épisodes. Des analysants m’en ont dit quelques mots assez justes. Comment interpréter ce moment ? C’est un peu comme Souchon qui débarque en 93 et qui dit au Français, en fait, vous êtes une « foule sentimentale », à rebours de toutes les valeurs qui circulaient à l’époque. Succès immédiat. Cette série que dit-elle ? Elle pointe peut-être quelque chose qui court dans les profondeurs du goût, qui ne s’est pas oublié, qui ne fait pour autant pas la Une des médias, et auquel pourtant l’on tient : qu’il y ait des lieux où dire ce que l’on ne comprend pas de soi-même, des lieux – qui se font rares -, où l’on peut loger sa folie aussi. Il y a une utilité sociale d’une pratique orientée par la psychanalyse, en cabinet ou en institution, qui fait accueil tous les jours à ce que « la langue que parlent les gens » dit de réel, et qui ne trouve sa matérialité ni dans le cerveau ni dans les neurones. Ce qui se dit en séance troue le mur des discours courants et des savoirs établis qui égarent sur le sens de ce qu’est une existence pour chacun. Ceux qui font une analyse témoignent du plus de vie qu’elle permet d’introduire dans son existence grâce à un usage retrouvé du désir.

C.E. : On ne peut nier que l’aura de la psychanalyse n’est plus ce qu’elle était ! Paradoxalement, les cabinets sont pleins. La série montre que le docteur Dayan, psychiatre et pychothérapeute qui prescrit des médicaments s’il le juge nécessaire a heureusement su adapter son cadre à des patients qui témoignent d’une souffrance dont la cause leur échappe. La psychanalyse a tout à gagner à se remettre en question sans se flageller ni céder sur l’essentiel de ce qui fait sa richesse. Je ne sais pas si la série aura pour effet de faire venir de nouveaux patients mais j’aimerais que les jeunes psychiatres qui s’en détournent réalisent qu’ils se privent d’un instrument d’une incomparable richesse.

Et à suivre quelques autres « psys » dans la vraie vie, que les éditions érès ont invité à réagir sur cette série. Un chouette moment de lecture de confrères !

les blogs érès, original ici.

La psychanalyse en série

La série En thérapie montre le travail mené par le psychanalyste Philippe Dayan avec cinq de ses patients et avec sa superviseure. Les séances illustrent ce qu’habituellement personne ne voit ni n’entend en dehors des protagonistes impliqués. Devant l’engouement suscité par cette série, nous avons pensé que ce serait un bon moment pour parler de la psychanalyse autrement. En effet, alors que cette discipline a été largement décriée dans les médias, à l’université, dans les institutions médico-sociales, sa mise en scène artistique contribue à en donner un visage humain et à démocratiser sa pratique. Dans ce blog « La psychanalyse en série », les auteurs érès psys sont invités à commenter l’un ou l’autre des épisodes, expliquer une notion qui y est évoquée, apporter des compléments théoriques ou cliniques, des lectures pour prolonger la réflexion, etc. selon leur inspiration. L’objectif est de parler de leur métier, de leurs pratiques, d’une manière ouverte, sans jargon, à destination d’un large public intéressé mais non spécialiste.

Accès à tous les contributeurs : cliquer ici.

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