« Quand la haine s’autorise du scientisme …(réponse à la tribune de Sophie Robert) »

Publié le 01/02/2020 dans le Journal International de Médecine (Jim)

Par le Dr Christine Gintz, psychiatre psychanalyste

 » Pour publier une tribune aussi agressive dans un journal médical, il est nécessaire que celle-ci apporte quelque chose à la médecine, et apporte également quelque chose aux patients concernés par les propos tenus.

Sophie Robert n’est pas médecin. Nous ignorons si elle est une patiente déçue, mais son acharnement contre la psychanalyse ne peut qu’interroger sur ce qui l’anime, sur cette carac_photo_1haine qui l’habite au point de consacrer une grande partie de sa vie à ce travail de destruction.

Est-ce que ceci apporte quelque chose à la science ? Est-ce que ceci rend service aux patients (aux usagers de soins) qui seraient concernés ?

En tant que médecin, comme en tant que mère, concernée par la maladie de mon fils, je soutiens que non.

Cette guerre des méthodes qu’elle attise constamment, est totalement destructrice pour les familles qui ne savent plus comment s’orienter, ni à qui faire confiance pour les soins à leurs proches.  Cependant si ses arguments étaient sérieux, nous pourrions faire abstraction de cette brutalité. Or il n’en est rien. Déjà par le film « Le Mur », il a été prouvé devant les tribunaux, que les interviews étaient manipulées au montage.  Bon, nous pouvons considérer que ce qui a été dit l’a bien été, mais cela n’excuse pas pour autant la manipulation qui témoigne d’une disposition d’esprit particulière.

Une approche subtile, sans diagnostic arrêté

J’ai regardé le film de l’entretien entre les Professeurs Serge Lebovici et Bernard Golse. Il date d’il y a 25 ans, ce qui a toute son importance, car la psychanalyse, et tout particulièrement celle pratiquée par Monsieur Bernard Golse, ne cesse de se remettre en question et de s’enrichir d’échanges avec les autres champs de recherche. Les différents colloques de la CIPPA  dont les actes sont publiés en témoignent.
Nous voyons ici Bernard Golse, jeune médecin, interroger avec beaucoup de délicatesse son aîné, Serge Lebovoci, sur le concept de « transgénérationnel », et cet entretien est ponctué de la présentation du film d’une consultation d’un couple, pour leur enfant présentant un retard de langage.
Sophie Robert ramène tout à l’autisme, et semble ignorer qu’un pédopsychiatre qui reçoit un enfant en consultation doit conduire une démarche clinique avant de poser un diagnostic. C’est ce que fait le Professeur Lebovici en interrogeant les parents sur leur vie, ce qui n’a rien de scandaleux. Les médecins de toutes spécialités le font. On ne traite pas de la même manière un enfant qui évite le regard d’une mère dépressive, et un enfant qui évite le regard parce qu’il est autiste. On ne traite pas de la même manière un enfant mutique pour des raisons liées à son histoire, et un enfant qui ne parle pas en raison d’un trouble autistique.
Or, cet enfant n’est pas considéré comme autiste par ces deux médecins. Il n’est pas non plus considéré comme psychotique. La position de Serge Lebovici est prudente, il met en évidence un secret de famille qui concerne le fait que le père de l’enfant ne sait rien de son propre père. Il dit qu’il ne se permettrait pas de dire que le trouble de cet enfant vient de là, mais qu’il n’est pas souhaitable, pour le bon développement de l’enfant, de maintenir des secrets de famille.

En cela, il fait son travail de médecin : il tente d’avancer sur un problème, laissant la porte ouverte à ce qui pourrait faire évoluer sa position, et propose aux parents de l’enfant un suivi en psychothérapie qui permettra, tout en aidant cet enfant, d’affiner la question du diagnostic.

Au regard de cette approche subtile par des médecins expérimentés, Sophie Robert, au contraire, n’a besoin de rien. Ni de rencontrer l’enfant, ni de questionner les parents sur leur histoire : au premier coup d’œil, elle sait que cet enfant est autiste. Elle sait comment il doit être traité. Elle pense que parce qu’une affection est à point de départ organique, le psychisme doit être exclu. Cette certitude va contre les connaissances scientifiques les plus élémentaires sur le développement cérébral, développement qui ne se fait qu’en interaction avec l’environnement, tout particulièrement affectif et langagier.

L’autisme est une affection neuro-développementale. C’est ce qu’affirment comme une rengaine les personnes pour lesquelles Sophie Robert travaille. Ils ont raison ! Sauf qu’ils ne semblent pas comprendre ce que cela implique : cela implique en effet qu’on ne naît pas autiste, même si on est porteur d’un gène qui mène de manière statistiquement significative à l’autisme. On naît avec une mutation génétique qui va pousser le développement des réseaux neuronaux dans un sens différent des schémas classiques. L’environnement peut avoir un effet à ce niveau, surtout dans les premiers mois de la vie.

En niant l’effet de l’environnement sur le développement cérébral, Sophie Robert se tire une balle dans le pied quant à l’efficacité des approches qu’elle promeut : elles ne réparent pas le gène muté, elles ne connaissent pas le mécanisme d’action de celui-ci, ni la nature des anomalies neuro-développementales de l’autisme. Elles se contentent d’une approche environnementale. Pourquoi pas ? Mais il conviendrait d’en préciser plus clairement les indications, les limites, et les contre-indications. Ceci laisse la place à d’autres approches comme celles envisagées par les psychiatres et les psychanalystes.

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un enfant est autiste, que les secrets de familles, les difficultés des parents de tous ordres n’ont aucun effet sur lui. On peut même dire que ces enfants ont une sensibilité exacerbée des affects des proches, au-delà des mots. Il est donc important de les prendre en compte, sans pour autant les considérer comme la cause de l’autisme.

Sophie Robert parle de « cruauté », alors que nous voyons un homme âgé, le Professeur Lebovici qui, peu d’années avant sa mort, vient s’asseoir par terre pour jouer avec un enfant, afin d’entrer en relation avec lui, et d’inciter, d’aider le père à le faire également ! La bienveillance de cet acte tranche incontestablement avec la malveillance de Sophie Robert dans son interprétation des choses.

Je me suis permis de faire ces remarques, afin de souligner la part subjective, et ostensiblement diffamatoire du propos de Sophie Robert, jugeant un film datant de 25 ans à l’aune de la manière de voir idéologique qu’elle cherche à imposer actuellement, qui est incontestablement à la mode, mais qui pourrait être rapidement périmée. Est-il nécessaire de rappeler qu’à l’époque du film, (et même plus récemment si nous en jugeons par les plaintes des familles), la méthode comportementaliste dont elle assure la promotion utilisait les châtiments corporels pour dissuader les enfants de leurs comportements jugés inacceptables .

Je passe sur le fatras d’accusations et d’affirmations énoncées en vrac, regroupées sous le chapitre « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », pour simplement faire remarquer que nous serions intéressés par une étude qui objective avec un peu plus de rigueur scientifique, les variations de prescriptions de psychotropes dans les établissements recevant des personnes autistes, en fonction des approches théoriques pratiquées dans ces établissements.

Münchhausen par procuration : discussion autour d’un cas médiatisé

Concernant le chapitre sur le syndrome de Münchhausen par procuration, qui fait référence à la fameuse affaire Rachel pour laquelle Sophie Robert a pris fait et cause : il s’agit d’une mère les enfants ont été placés suite à un signalement par l’Aide Sociale à l’Enfance. Ce placement a été reconduit par plusieurs juges successifs. Sophie Robert et des collectifs de familles se sont emparés de cette affaire pour tenter de discréditer la psychanalyse, alors que cette profession n’a pas grand-chose à voir avec ce qui est arrivé à Rachel.
Je souhaiterais simplement faire remarquer plusieurs choses :
– Tout d’abord qu’il est facile de diffamer des personnes qui ne peuvent pas se justifier, car tenues par le secret professionnel.
– Ensuite que les juges successifs qui ont ordonné le placement des enfants, ne sont ni psychiatres ni psychanalystes, de même que les personnes de l’Aide Sociale à l’enfance qui ont effectué le signalement. Malgré les fortes pressions qu’ils ont endurées, ils ont tenu à ces placements, alors qu’il leur aurait été plus facile de céder.
– Que j’ai connaissance du nom d’un des psychiatres qui a expertisé les enfants. Je puis affirmer que cette personne n’est pas psychanalyste.
– Que le point de vue du père des enfants n’apparaît jamais, ce qui est tout de même un peu étonnant !
– Enfin, que toute cette affaire est construite à partir d’un problème mal posé : la question qui prime et à laquelle il doit être répondu est la suivante : cette mère est-elle en mesure de s’occuper de ses trois enfants sans les mettre en danger ? On nous dit que l’autisme des trois enfants n’a pas été reconnu, et qu’ainsi on lui attribuerait à tort les troubles de ses enfants. Soit. Même si c’était le cas : les familles qui ont un enfant autiste, appellent à l’aide de toutes leurs forces tant leur vie est difficile. Comment peut-on imaginer que la personne fragile que nous voyons sur les films qui lui sont consacrés puisse s’en sortir seule, avec non pas un, mais trois enfants autistes ?

Le dépistage précocissime

Pour conclure : Sophie Robert ne connaît pas la psychanalyse et lance en pâture des termes sortis de leur contexte pour susciter une sensation d’opacité. Elle ignore délibérément les travaux actuels des psychanalystes. J’ai cité ceux de la CIPPA, mais le dépistage précocissime du risque autistique chez le bébé est également un apport de la psychanalyse qui tire toutes les conséquences du fait que l’autisme est une affection neuro-développementale : en accompagnant les bébés dès leur plus jeune âge, le développement vers l’autisme peut être évité pour nombre d’entre eux, même s’ils sont porteurs d’anomalies génétiques. Il est donc inadmissible qu’en attaquant la psychanalyse, Sophie Robert détourne des parents d’une démarche qui pourrait améliorer l’avenir de leur enfant.

L’autisme est une affection au sujet de laquelle il reste beaucoup à découvrir, et la science ne pourra progresser qu’à travers un travail main dans la main entre les différentes personnes qui ont l’expérience de ce trouble. Une véritable recherche est exigeante, et ne peut se permettre de perdre son temps à démolir le travail du voisin. Une véritable science doit aussi définir les limites de son champ de pertinence, ce que ne font jamais les personnes au service desquelles se met Sophie Robert.
Les familles ont besoin de savoir comment s’orienter en fonction des particularités du trouble de leur enfant, et les diagnostics à l’emporte pièce au nom d’un pseudo savoir les mettent à mal et les détournent de certaines approches qui pourraient les aider. Ceci est inadmissible. »

[1] CIPPA : Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes et membres associés s’occupant de personnes Autistes. Actuellement présidée par le Pr Bernard Golse.

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