REFLEXIONS CROISEES SUR LE SILENCE

REFLEXIONS CROISEES SUR LE SILENCE
par Astrid Alemany-Dusensdschön et Bruno Rousseau

paru dans l’Etre, newsletter de la Société des Coachs Gestaltistes, n°7 printemps 2012.

 

Plaidoyer pour un « silence accompagné » en entreprise

Je suis dans le train vers Paris, de retour de Rennes, suite à un groupe ponctuel de thérapie co-animé avec Astrid Alemany Dusendschön. Je repense à certaines séquences de contact avec le groupe et à certains moments de silence, certains longs moments de silence…, qui ont eu lieu au sein du groupe. « Qui souhaite prendre un temps de travail ? » A cette question, posée après une pause par exemple, le groupe et donc chaque personne le constituant, a répondu par un silence de plusieurs minutes. J’apprécie ces moments de silence, qui me permettent de me centrer, de me connecter par le regard avec chacun / chacune, de me mettre à l’écoute de mon corps, de mes sensations. Ces précieuses minutes permettent également, me semble-t-il, à chaque client de se connecter avec ce qui est présent pour lui ou pour elle, de laisser venir une envie, un besoin, une question, … une émotion, un sentiment, et de l’exprimer, ou non, au groupe.

Nous sommes dimanche soir, je vais retrouver demain matin le « monde de l’entreprise » et je me dis que je ne vais pas retrouver ces moments de silence. Pourquoi ? Parce que le rythme de l’entreprise ne favorise pas ces moments de silence. Des périodes de « silence » existent en entreprise, mais elles sont le plus souvent synonymes de solitude plutôt que de silence accompagné : le manager s’assied dans le bureau de son chef et, à peine assis, il commence à poser une question ou à exprimer une idée ; un manager vient de terminer un exposé auprès d’une équipe, il a terminé de présenter ses « planches » (transparents, slides…) et il demande s’il y a une question, mais rarement en prenant le temps de laisser un silence, un long silence, qui permettrait l’intégration suffisante du contenu de l’exposé chez chacun et l’émergence d’une question suffisamment murie car ressentie.

Les longs silences sont souvent vécus de manière anxiogène, or ils permettent de laisser la place à l’autre, ils permettent de retrouver un flux, un rythme naturel, celui que chacun peut retrouver en marchant dans une forêt, en s’arrêtant et en se laissant le temps d’écouter, de regarder, de sentir…. Apparaissent alors l’écureuil, caché derrière le tronc d’un arbre, le champignon sur lequel nous allions marcher, le pic-vert que nous n’avions pas encore entendu… et tant de découvertes encore… tant de découvertes que les managers ne prennent pas le temps de découvrir en entreprise.

Bruno Rousseau

Plaidoyer pour une « solitude accompagnée »

Le premier écho qui me vient en lisant Bruno est : « Winnicott » !

Winnicott et « La capacité d’être seul », 1958 (DW Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, éd.Payot, 1993) : «Mon intention est d’étudier la capacité de l’individu d’être seul, présumant que cette attitude constitue l’un des signes les plus importants de la maturité du développement affectif. » (p.325). Winnicott entend par cela « […] la capacité d’être seul […] basée sur l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un […]. » (p.330). « Etre capable de savourer la solitude parallèlement à une autre personne qui se trouve également seule est en soi une expérience saine. » (p.327).

Me viennent parallèlement les propos de Patrice Huerre, psychiatre pour enfants et adolescents, entendus quelques jours plus tôt à l’occasion d’un reportage sur le bavardage, reconnu un des « fléaux » actuels dans les classes scolaires de tous âges. Constat est fait que la situation est telle que les élèves ne se rendent pas compte que le bavardage dérange, empêche (« avant », on bavardait en classe en essayant de ne pas se faire « prendre » par le prof ), et selon le témoignage de certains élèves, bavarder leur est irrépressible. Dans l’interview Huerre fait référence à la sur-stimulation à laquelle sont exposés enfants, collégiens, lycéens (via « agendas de ministres », activités, portables, consoles, ordi, télé,…) de manière quasi permanente – et dès leur plus jeune âge, car il faut tout de même bien le « stimuler », le petiot, pour qu’il se « développe bien ». Huerre dit en substance que les élèves ne savent se tenir tranquilles et se poser, ayant si peu expérimenté le « rien », le « vide », l’ennui – la capacité d’être seul en présence d’un autre ?

Résonances avec Winnicott : « C’est seulement lorsqu’il est seul (càd. en présence de quelqu’un) que le petit enfant peut découvrir sa vie personnelle. Le terme pathologique de l’alternative est une existence fausse, construite sur des réactions à des excitations externes. » (p.331). Et de préciser ce qu’il entend par « vie personnelle » : « […] il lui est donné d’exister sans être soit en réaction contre une immixtion extérieure, soit une personne active dont l’intérêt ou le mouvement suit une direction. Le terrain est prêt pour une expérience instinctuelle. » (p.331).

Du côté de la théorie gestaltiste quelque chose autour du silence m’apparaît plus précisément à deux endroits.

La séquence du contact chère à la théorie gestaltiste « commence » (pour des raisons pédagogiques, car dans les faits tout est toujours en cours) avec le pré-contact, l’indifférencié, le « vide fertile », ou encore, selon Winnicott : « […] un état de non-intégration, […] un état où il n’y a pas d’orientation. » (p.331). Ce temps du pré-contact en awareness soutient l’émergence d’une figure (désir, besoin,…) permettant la mise en contact, l’aller vers l’environnement, la direction de sens, l’adgressere.

Si le temps et l’espace ne sont pas donnés/pris pour ce pré-contact, l’aller vers l’environnement risque de ne pas être ajusté – Winnicott parle alors d’une vie « pleine de futilité. » (p.331).

Elle se « termine » avec le post-contact, temps d’intégration, d’assimilation de l’expérience. Temps de retrait, que Winnicott illustre en ces termes : « Après un rapport sexuel satisfaisant, vous conviendrez que l’on peut dire que chaque partenaire est seul et se trouve heureux d’être seul. Etre capable de savourer la solitude parallèlement à une autre personne qui se trouve également seule est en soi une expérience saine. » (p.327).

J’ai vécu ces temps de silence en groupe comme des temps pleins qui ont permis de laisser émerger des formes de « ça qui pousse » et des temps de retrait. « Du point de vue clinique, cela peut se traduire par un épisode de silence ou une séance silencieuse. Loin d’être une manifestation de résistance, ce silence constitue en fait pour le patient un aboutissement. C’est peut-être là qu’il est capable, pour la première fois, d’être seul. » (p.325).

Soutenir et accompagner la « capacité à être seul en présence d’un autre » pour un adgressere ajusté et une intégration de l’expérience, cela ne concerne pas uniquement les enfants et ados, les élèves en cours, les temps de thérapie. Cela concerne aussi les adultes que nous sommes dans nos vies dont celle en entreprise. En tant que professionnels de l’accompagnement des personnes dans leur vie professionnelle, un indispensable à soutenir et accompagner. Et à mon sens la Gestalt, en tant que posture intégrée et méthodologie (et non outil) est à cet endroit extrêmement puissante.

« Vide, paix, contentement, silence, vue globale, non-intervention, voilà la formule du Ciel et de la Terre, le secret du Tao et sa vertu » (Tchouang Tseu) (Le Maintenant, mini-bibliothèque de l’IFGT n° 110, 2008).

Astrid Alemany-Dusendschön

 

 

 

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