Extrait d’un article paru dans
Les Cahiers de Gestalt-thérapie
n° 23, « Finitude », printemps 2009
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© adé
« Ce qui est important à l’approche de la mort,
c’est qu’à un certain moment
nous ne pouvons plus pouvoir ;
c’est en cela justement que le sujet
perd sa maîtrise même de sujet. »[i]
« Comment quelqu’un comme vous peut-il s’intéresser à quelqu’un comme moi ? »
« Quelqu’un comme vous » : moi, jeune (de son point de vue), en bonne santé, fraîchement diplômée démarrant mon activité professionnelle dans ce poste de psychologue clinicienne d’un réseau de soins palliatifs intervenant à domicile.
« Quelqu’un comme moi » : lui, un peu plus de 70 ans, corps amaigri, alité permanent dans son lit médicalisé installé dans le séjour-salon réaménagé de sa maison, dépendant de son épouse et intervenants extérieurs pour tous ses gestes quotidiens, les traitements « curatifs » ayant été arrêtés, cancer de la gorge, trachéotomie, difficilement compréhensible lorsqu’il s’exprime. « En fin de vie » selon la formule en cours. « En attente de », pourrais-je ajouter, mais en attente de quoi. Partir, certainement. Mais peut-être aussi en attente, espoir d’autre chose ?
Mon premier malade « en fin de vie ». La formulation me surprend, toujours… ne le sommes-nous pas tous, finalement – mais c’est comme si certains l’étaient davantage que d’autres. Pour ma part, j’entends cette formulation non pas comme « le malade est en bout de course, sur la pente descendante, reléguable. » Car j’expérimente toujours avec « ces malades-là » que « tant qu’il y a de la vie, il y a de la vie ». C’est dans ce sens que j’entends cette expression. Il n’y a pas d’état de « plus ou moins en vie ». Soit on est en vie, soit on est mort. Peut-être une formulation plus appropriée pourrait être malade arrivant « à la fin de sa vie » ?
Je l’ai rencontré cinq fois, les cinq semaines avant qu’il ne décède.
© Astrid Alemany-Dusendschön
[i] Levinas, E., Le Temps et l’Autre, Paris, PUF, 1983, p.62.
Bien sûr que certains sont davantage « en fin de vie » que d’autres. Le critère c’est : « Est-ce que je peux encore me raconter des histoires ? »
– Si oui, vous êtes un vivant ordinaire : il se peut que vous mourriez dans la minute qui suit, mais vous disposez de ce luxe formidable de l’ignorer, donc de pouvoir faire « comme si » la mort n’existait pas.
– Si non, la mort vous a rfait signe, d’une façon ou d’une autre, et force vous est de reconnaître que vous êtes « en fin de vie » (même si, d’ici votre trépas, seront passés ad patres des centaines de terriens pétants de santé qui auront pu, jusqu’à leur dernier souffle « se raconter des histoire ». Les veinards !